Pourquoi une amitié brisée peut faire si mal: l’explication des psy
Les amitiés profondes sont des repères essentiels dans nos vies. Quand un lien aussi fort se rompt, la douleur peut être aussi vive que celle d’une séparation amoureuse. Forme d’amour souvent sous-estimée, l’amitié reste un sujet très peu abordé lorsqu’elle s’achève.
Nous savons tous à quel point un(e) meilleur(e) ami(e) peut nous réchauffer le cœur. Des recherches menées dans le monde entier ont d’ailleurs confirmé à quel point l’amitié est bénéfique. « Les amitiés fortes influencent autant notre santé mentale que physique », explique la psychologue Marie-Anne Vanderhasselt (UZ Gent), qui travaille notamment sur la signification profonde de l’amitié. « Ces amitiés entretiennent notre vivacité d’esprit, nous gardent en forme et nous protègent aussi contre la dépression, l’anxiété, les maladies cardiaques, les troubles du sommeil et le stress. »
Le deuil d’une amitié perdue
Comme dans toute relation, les amitiés traversent des hauts et des bas. Mais parfois, la rupture est inévitable. Si les deux personnes sentent que le lien s’est naturellement distendu, la douleur reste relative. En revanche, quand la décision vient d’un seul côté, la blessure est alors souvent profonde.
Alors qu’on trouve quantité de livres, films et séries sur les ruptures amoureuses, le chagrin lié à la fin d’une amitié demeure largement méconnu. Il n’existe même pas de mot pour le désigner dans le dictionnaire. Résultat : il n’existe aucun modèle, aucun mode d’emploi pour traverser cette épreuve.
«Pourtant, la douleur provoquée par une rupture amicale peut être tout aussi intense qu’un chagrin d’amour, poursuit Marie-Anne Vanderhasselt. Les mêmes zones du cerveau sont en effet activées, et les conséquences physiques – nausées, fatigue, boule dans la gorge – s’avèrent similaires. On peut alors entrer dans un véritable processus de deuil, avec tout son cortège d’émotions telles que la colère, l’incompréhension et la tristesse. Et ce manque peut persister des années. Une personne qui perd son partenaire reçoit souvent compréhension et soutien. Mais quand elle perd un ami cher, la société reste silencieuse.»
Relativiser et minimiser
La psychiatre et spécialiste du deuil Uus Knops souligne elle aussi, dans son livre co-écrit avec la psychologue Julie Minnaert Zijn we nog vrienden ? (Sommes-nous encore amis ?), à quel point la fin d’une amitié profonde peut vous anéantir, surtout lorsque ce n’est pas votre choix. Même si les émotions ressenties sont intenses, beaucoup de personnes essaient de les minimiser, de les cacher ou de les refouler. «On se répète souvent des phrases pour relativiser : ce n’est qu’un(e) ami(e), j’en ai d’autres, cela fait partie de la vie. Mais c’est rarement ce qu’on ressent vraiment.»
Même si les émotions sont intenses, beaucoup de personnes tentent de les minimiser.
Comme Julie Minnaert, elle a perdu une amie qui avait joué un rôle essentiel dans sa vie et qui, à certains moments, lui était plus proche qu’une sœur, un parent ou un partenaire. «Quand quelqu’un à qui vous avez montré toutes vos vulnérabilités et vos failles disparaît, on ne peut pas parler d’une perte anodine.»
Parce qu’on en parle peu, il est souvent difficile de faire son deuil et de combler ce vide. Une forme de honte entoure le sujet. «Quand un ami vous quitte, votre confiance vacille de toute façon, et vous ne voulez surtout pas faire fuir vos autres amis, raconte Julie Minnaert. Je n’en parlais presque jamais, et je n’ai donc jamais vraiment pu faire le deuil de cette amitié.» Il arrive aussi qu’on ait l’impression de perdre une partie de soi, tant cette rupture peut ébranler l’image que l’on a de soi, la confiance que l’on se porte et le sentiment de sécurité dans ses autres relations sociales.
Ce que les amitiés disent de nous
Si l’impact d’une telle perte est si profond, c’est parce qu’il est intimement lié à ce que les amitiés proches représentent pour nous. «Nous y pensons rarement, mais chaque ami intime fait ressortir une facette différente de notre personnalité, explique Marie-Anne Vanderhasselt. La plupart des gens entretiennent trois à cinq amitiés vraiment profondes qui les aident à se développer personnellement grâce à cette interaction sincère et réciproque. On pense souvent qu’on devient ami avec quelqu’un pour ce qu’il est. Ce n’est que partiellement vrai : en réalité, nous nous lions d’amitié avec ceux qui nous permettent d’être la personne que nous aspirons à devenir, ceux qui nous aident à façonner notre identité. Chaque amitié est unique et fait vibrer quelque chose de différent en nous. Quand l’un de ces amis très proches disparaît, cela peut être profondément déstabilisant.»
Pour sauver un vrai lien d’amitié, il faut oser exprimer ce qui dérange, sans reproche ni accusation.
Comme pour toute perte essentielle, le processus de deuil demande du temps. «Partager honnêtement votre histoire et votre chagrin avec d’autres amis proches peut vraiment aider, poursuit Marie-Anne Vanderhasselt. Comme le dit le proverbe, un chagrin partagé est un chagrin à moitié soulagé – et c’est très juste. Ce n’est qu’en laissant les émotions vous traverser que vous pouvez commencer à les apprivoiser.»
Mais il y a aussi de l’espoir après la perte d’une amitié. Après avoir interviewé de nombreuses personnes ayant vécu cette expérience, Uus Knops et Julie Minnaert ont constaté que beaucoup en avaient tiré des enseignements sur elles-mêmes et sur la nature de l’amitié. Certains ont compris qu’ils devaient apprendre à être plus honnêtes dans leurs relationsfutures — oser dire, par exemple, quand un rendez-vous ne convient pas. D’autres ont réalisé qu’ils ne voulaient plus entretenir des liens trop fusionnels, ou qu’ils devaient laisser davantage d’espace à leurs amis pour évoluer et changer.
Quand savoir que c’est fini ?
Pour le découvrir, mieux vaut se concentrer sur ce que vous ressentez vraiment dans la relation, plutôt que sur ce que vous pensez devoir en ressentir. «Nous sommes toujours moins critiques envers les amis de longue date. Il est donc plus difficile de prendre du recul. En cas de doutes, demandez-vous : Est-ce que je me sens mieux après avoir passé du temps avec cette personne ? Cette amitié me donne-t-elle de l’énergie ? Suis-je vraiment moi-même en sa présence ou fais-je des choses que je n’ai pas envie de faire ? Ai-je confiance ? Bien sûr, toute relation intime traverse des hauts et des bas, mais si les réponses à ces questions sont systématiquement négatives, il est temps de réévaluer cette amitié.»
Cette prise de conscience est rarement facile, surtout s’agissant d’une amitié de longue date. «Pour sauver le lien, il faut oser exprimer ce qui vous dérange, sans reproche ni accusation. Vous pouvez même le faire avec humour. Une vraie amitié peut vaciller sous le poids d’un échange difficile, mais elle en ressortira plus solide grâce à cette honnêteté. Si, au contraire, vous laissez le problème s’envenimer, les frustrations risquent de s’accumuler et, à terme, une remarque banale pourra déclencher une violente dispute. Quant à l’autre option – ignorer complètement un ami ou le ghoster – elle est à proscrire. Vous ne feriez qu’aggraver sa peine et ses blessures.»
Dites à vos amis combien ils comptent pour vous
La fin d’année est idéale pour repenser à la manière dont vous avez vécu vos amitiés au cours des derniers mois. «Profitez-en pour dire à vos amis proches à quel point vous avez aimé passer du temps avec eux cette année, et combien ils comptent pour vous, suggère la psychologue Marie-Anne Vanderhasselt. À nos partenaires et nos enfants, nous disons souvent combien nous lesaimons, mais à nos amis, nous oublions trop souvent de le faire.»
Consacrer plus de temps à ses amis, voilà une excellente résolution pour l’année à venir. Tout comme la lecture de ces deux magnifiques romans sur le thème de l’amitié. À offrir ou à s’offrir.
- L’amie prodigieuse, Elena Ferrante, éditions Gallimard, collection Folio, 9,50€.
- La Route des Lucioles, Kristin Hannah, éditions Michel Lafon, format broché (48,19€) et poche (10,45€)
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