
Et si l’échec était la clé de la réussite ?
On ne compte plus les publications consacrées aux vertus de l’échec. Va-t-on enfin accepter le fait que commettre des erreurs fait partie du processus d’apprentissage ? Apparemment oui, et c’est une excellente nouvelle !
Ne plus cacher ses erreurs et ses échecs, n’est-ce pas un peu contradictoire à l’heure où les réseaux sociaux, eux, font la part belle à la réussite et aux vies de rêve? Et la barre est placée très haut! Les jeunes grandissent avec l’idée qu’on ne peut parler de quelque chose qu’à condition d’avoir vécu un moment d’exception!
Pourtant, on note une évolution depuis quelques années. La vulnérabilité, la perte… ont droit de cité. On brise enfin le tabou de l’échec, jusque dans le monde du sport qui reste avant tout régi par la performance.
La peur du jugement
Qui dit échec dit aussi peur d’être jugé. «C’est exact, confirme Gert De Kinder. Je parle d’ailleurs plus volontiers de peur du jugement que de peur de l’échec. La peur du jugement se situe à trois niveaux:
- cognitif (à l’école, au travail)
- social (vis-à-vis des amis)
- et sportif
En ce qui concerne le cognitif, nous sommes nombreux à avoir grandi avec l’idée que l’échec était inacceptable. Il faut avoir de bons points à l’école pour espérer réussir dans la vie. Ce qui peut provoquer des blocages. Que ce soit à l’école, au travail, lors de nos interactions sociales ou activités sportives. Or, on devrait intégrer le fait que se tromper fait intégralement partie de l’existence. Et ce, depuis toujours. C’est en se trompant qu’en apprend! Et sûrement pas en se mettant la pression pour réussir à tout prix.»
Dans le domaine sportif, nombre de clubs sont devenus des écoles où on vous coache pour être dans la performance et le dépassement. Dommage, car c’est perdre de vue l’essentiel: l’apprentissage. Dans le sens le plus large du terme: interagir avec les autres, s’accorder du plaisir, savoir gérer le succès comme l’échec.
«Lors d’une thérapie traitant la peur de l’échec ou du jugement, nous amenons la personne à oser «faire», à se reprendre en main. On essaie de l’exposer à ce qui l’angoisse. C’est en essayant qu’on apprend, et pas autrement. On peut ainsi faire de nombreuses expériences et abolir ce préjugé selon lequel on n’a pas le droit d’échouer.»
Le mythe de l’entrepreneur à qui tout réussit
Oui, on a le droit d’échouer… et même de le dire! «Les programmes TV, les podcasts et les livres sur le sujet ont leur importance, estime Gert De Kinder. L’être humain a naturellement tendance à ne montrer que ce qui va bien et à cacher tout ce qui va mal. C’est vrai dans tous les domaines, y compris professionnel. On voit la réussite d’un homme d’affaires, mais on ne voit pas les revers ou les obstacles qu’il a dû franchir pour en arriver là. En focalisant sur le succès, on escamote les années d’efforts, la nécessité de tomber et de se relever. Or, c’est un parcours logique quand on entreprend quelque chose.»
A la tête de Studio Copain, l’agence de marketing qu’il a créée, Floris Benoit a écrit un livre (« Tussen Slagen en Falen », paru en néerlandais, Standaard Uitgeverij, mars 2025) dans lequel il casse le mythe des entrepreneurs à qui tout réussit. Il donne la parole à plusieurs d’entre eux qui n’hésitent pas à revenir sur leurs tâtonnements et leurs échecs.
«Les entrepreneurs que j’ai rencontrés pour le livre ont tous été confrontés à des difficultés avant de réussir. Pour tous, ce fut un parcours du combattant: ils ont essayé et se sont trompés. L’une s’est montrée un peu naïve et avait trop dévoilé ses projets en amont, l’autre a fait de mauvais choix et a lancé un produit qui ne correspondait pas au marché. D’autres encore ont pris des risques financiers qui n’ont débouché sur rien.
Un sentiment de honte
Ces échecs s’accompagnent souvent d’un sentiment de honte. Et s’il y a bien un frein, c’est bien la honte qui vous empêche de chercher de l’aide. Or, quand on attend, il est souvent trop tard… Surtout si la faillite guette, qui sera ressentie comme un échec personnel. Cela peut aller très loin: je connais une femme qui n’osait quasiment plus sortir de chez elle après avoir fait faillite. Finalement tout s’est arrangé. Elle témoigne dans le livre et assure qu’un projet ne peut grandir que si on a soi-même grandi.»
Un échec personnel
Tout ce qui touche à un projet personnel a un énorme impact, et c’est normal. «Quand votre entreprise va mal, vous allez mal aussi, analyse Inge Geerdens (CVWarehouse).»
« En tant que gérant, confirme Floris Benoit, vous êtes intimement et personnellement impliqué. Plus vous êtes attaché à votre société, plus vous allez tout prendre de plein fouet.»
On souligne souvent l’énorme différence de mentalité entre l’Europe et l’Amérique. «Je ne dispose pas de chiffres, mais il est vrai qu’aux Etats-Unis, l’échec est presque vu comme un label d’expertise: «Untel a vécu une faillite, il a donc accumulé une bonne dose d’expérience!». En tout cas, l’échec n’est pas considéré comme une faute personnelle. Chez nous, on pensera plutôt «Cet entrepreneur a échoué, méfiance!»
«Lorsque les choses tournent mal –sans qu’il soit forcément question de faillite– les entrepreneurs ressentent une terrible solitude, poursuit Floris Benoit. Ils ne veulent pas ennuyer leur famille ou leurs amis, et encore moins inquiéter leurs collaborateurs, si bien qu’ils se retrouvent très seuls avec leurs problèmes.
Pour contrer cette solitude qui entoure l’échec, une entrepreneure a mis sur pied un forum pour partager son expérience et son ressenti. Parler et échanger aide. Cela permet surtout de se rendre compte qu’on n’est pas tout seul à traverser une période difficile.»
Un tabou
«J’ai moi-même longtemps considéré qu’il valait mieux ne pas se tromper, conclut Floris Benoit. Mais essayer à coûte que coûte d’éviter tout faux pas ou mauvaise décision me mettait une pression, un stress terrible. Alors que si on apprend à considérer les erreurs comme une étape normale, c’est apaisant, rassurant. En tout cas, c’est ce que j’ai retenu de ces nombreux entretiens. On apprend de ses échecs. Quelque chose de beau et de fort naît souvent de l’imperfection.»
Il n’en reste pas moins qu’échouer reste un tabou assez fort –au même titre que parler de salaire– dans le milieu professionnel. « Pourtant, c’est primordial, car il s’agit d’une responsabilité partagée. L’employeur doit créer un contexte rassurant au sein duquel il faut pouvoir se tromper. L’employé doit pouvoir reconnaître ses erreurs et en parler sans perdre son estime de soi. »
Echouer et en tirer du positif, ce sont des choses qu’on aborde désormais lors des entretiens d’embauche. L’accent n’est plus uniquement mis sur les réalisations, mais aussi sur les tâtonnements ou les erreurs. «J’y fais désormais attention lorsque je recrute pour Studio Copain, approuve Floris Benoit. Nous avons des réunions hebdomadaires avec toute l’équipe. Là aussi, j’incite chacun à partager ses erreurs avec les autres. C’est en normalisant les échecs qu’on progresse collectivement.»
Trouver d’autres mots
L’enseignement, ce par quoi tout commence, connaît aussi une évolution. «J’ai l’impression qu’on commence à voir les choses différemment et que les méthodes d’enseignement ne sont plus uniquement axées sur le résultat. L’apprentissage ne se résume pas à la répétition ou à la théorie. Savoir interagir, relever des défis, s’exprimer à l’oral… c’est tout aussi important.»
En parlant de défis, l’une des entrepreneuses interviewées dans le livre de Floris Benoit plaide pour qu’on change de vocabulaire. «En effet, échouer, quel vilain mot, s’offusque Floris Benoit. Le vocabulaire qu’on utilise dans ce domaine est souvent très dur. Je préfère de loin parler de défis à relever.»
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