© Frédéric Raevens

Rencontre avec la baronne Diane Hennebert: “Voir notre patrimoine mourir m’attriste!”

La restauration de l’Atomium? C’est elle. De la Villa Empain? Elle aussi. Aujourd’hui, Diane Hennebert sauve le Palais chinois (ne dites plus Pavillon).

En bordure du domaine royal de Laeken, deux édifices exotiques n’échappent à personne. Le Palais chinois et la Tour japonaise sont nés du rêve de Léopold II, après une visite à l’Exposition universelle de Paris en 1900. Le roi, qui souhaitait faire de l’édifice chinois un restaurant de luxe, ne verra pas son projet aboutir car il décède en 1909. Inauguré en 1913, le bâtiment abritera finalement une exposition valorisant le commerce avec l’Extrême-Orient (soies, porcelaines, broderies…) puis deviendra, avec la Tour japonaise, les Musées d’Extrême-Orient. Pile un siècle plus tard, c’est la fermeture pour raisons de sécurité.

Un trésor architectural aux influences multiples, laissé à l’abandon

«Au lieu de réparer, on a fermé. Un gros gâchis!», déplore la baronne Diane Hennebert. En cette belle journée printanière, des passants glissent leur smartphone à travers les grilles de chantier pour immortaliser la magnifique façade en bois, soutenue par des étais, alors que nous avons le privilège de pénétrer dans le bâtiment... Oh surprise: ce joyau est en relativement bon état. Dans le silence de ce lieu où le temps semble arrêté, on découvre un mélange incroyable de styles artistiques avec notamment de splendides toilettes Art nouveau, des faïences de Delft, du marbre rose belge qu’on retrouve au Vatican et à Versailles, des exceptionnelles broderies japonaises.

Comment vous est venue l’idée de restaurer le Palais chinois?

Un peu par hasard, en discutant avec des amis et en nous plaignant ensemble de cette négligence assez généralisée du patrimoine dans la capitale. En remarquant aussi que la restauration d’un bâtiment emblématique, abandonné pendant longtemps, remporte un franc succès auprès des gens, fiers de le montrer à leurs enfants, amis, aux visiteurs étrangers. Nos institutions publiques n’ont pas conscience de l’importance de l’héritage historique pour les citoyens et des énormes possibilités commerciales et touristiques. C’est dommage... Laisser mourir le patrimoine semble être une spécialité belge, surtout bruxelloise. Heureusement, certains politiciens, ainsi que nos souverains -la reine Mathilde patronne le projet- ont compris l’importance et l’urgence du projet.

Que représente cet édifice ?

Par son éclectisme stylistique, il illustre de manière surprenante les grands échanges associés aux Routes de la soie, c’est-à-dire ces liens commerciaux, politiques, artistiques tissés entre l’Europe et l’Asie depuis l’Antiquité. Ces routes ont nourri notre civilisation, nos cultures, par l’enrichissement mutuel. Je suis toujours étonnée qu’elles soient peu abordées dans les manuels scolaires, alors que ces Routes ont façonné le monde, qu’elles ont permis aux Européens de rêver de longs voyages, notamment à travers les récits de Marco Polo. N’oublions pas que la Chine était considérée comme le paradis sur Terre pendant des siècles. La diversité des styles de ce lieu -Louis XV, Louis XVI, Empire, Art nouveau, chinois, japonais, indien- permet à tout le monde de s’y retrouver. Il incarne des dialogues culturels possibles. Je trouve ça très beau, c’est un édifice unique au monde! On l’a rebaptisé «Palais chinois et des Pays des Routes de la Soie» car il est plus qu’un simple «Pavillon chinois». Un vrai Palais! Le mot «pavillon» est souvent associé à l’Expo 58 mais l’histoire de ce bâtiment est antérieure à cette exposition universelle.

Le plus précieux ici, pour vous?

Le salon japonais du premier étage est la plus belle pièce. Ses murs sont tapissés de grandes broderies encore en bon état. Il en reste peu de cette qualité dans le monde. Au niveau extérieur, j’admire la façade principale en bois, confectionnée à Shanghai dans un orphelinat dirigé par des Jésuites belges. Rien ici n’a été fait dans un esprit d’économie! Quant aux «chinoiseries», elles amusent beaucoup les Asiatiques aujourd’hui. C’est un peu comme des caricatures qui reflètent une vision paternaliste que l’Occident avait de l’Orient à l’époque.

Que ressentez-vous en voyant l’état de ce trésor?

Ça me rend triste et en colère. J’ai toujours envie de nettoyer quand je vois un bâtiment abîmé. Je suis un peu la femme de ménage du patrimoine bruxellois! Je pense que le passé rejoint le présent avec le patrimoine. On en est les dépositaires, on a le devoir d’en prendre soin. Sans ces racines, qui sommes-nous? On dirait qu’on a une sorte de déficit identitaire en Belgique quand j’observe de telles négligences.

La réouverture du Palais chinois est prévue au printemps 2028.Diane Hennebert

Un chantier ambitieux et un pari sur l’avenir

D’où vient votre amour du patrimoine?

Je suis née dans une famille où la culture était très importante. Enfant, on m’emmenait souvent dans les musées et autres lieux culturels. J’ai aussi découvert la diversité des courants d’art en voyageant avec mon père, ingénieur architecte.

Combien de temps dureront les travaux?

J’espère qu’ils commenceront rapidement pour l’annexe, soit les anciennes écuries. Ils devraient durer six mois car il n’y a pas de dégradation grave. Quant au Palais, les travaux les plus lourds seront liés à la stabilité du balcon en bois de la façade et à la toiture en raison d’infiltrations d’eau. Pour le reste, beaucoup de choses sont stockées dans les caves ici et au Musées Royaux d’Art et d’Histoire du Cinquantenaire. Et le bâtiment est très bien archivé. On espère faire venir des artisans d’Orient pour les détails asiatiques. La réouverture au public est prévue au printemps 2028. Ce sera un succès immense, je le sais!

Quel est le budget prévu?

Il avoisine les 6 millions d’euros. La rénovation de l’Atomium en a exigé 30 et la Villa Empain près de 20! Le Palais chinois est propriété de l’Etat au travers de la Donation royale. En 2024, on a créé une ASBL composée de représentants publics et d’administrateurs privés (Diane Hennebert en est l’administratrice-déléguée, ndlr). Cette association a reçu la concession du site pour trente ans, renouvelable une fois. Elle devra gérer le suivi de la restauration du Palais, son entretien et son animation. Le partenariat public-privé est une formule efficace, je pense.

Où comptez-vous trouver les fonds?

Surtout auprès d’entreprises européennes qui ont des intérêts en Chine et inversement. Les récentes fanfaronnades de Donald Trump tombent un peu mal car on va certainement passer par une période de crispation au niveau des sociétés à dimension internationale mais les marchés se redresseront! Il ne faut jamais céder à la peur.

Que deviendra le Palais?

Un lieu qui reste orienté sur cette thématique des Routes de la soie avec un programme culturel et artistique très riche: expositions, concerts, conférences, réceptions, etc. Le Palais et l’annexe seront toujours voués aux relations de la Belgique avec l’Asie. C’est fondamental à notre époque, car il y a vraiment une demande de rapprochement de l’Asie vis-à-vis de l’Europe. Pour la réouverture, on prévoit une exposition consacrée aux arts textiles de toutes époques.

Qu’est-ce que cela vous procure de ressusciter ce joyau?

Cela me rend heureuse mais je n’ai pas le sentiment de faire quelque chose d’héroïque. Mon balai me suffit! (rires) Oui, ce projet est inspirant, mais je ne me sens pas importante pour autant. C’est surtout beaucoup de responsabilités et de travail. Le fait que le public puisse bientôt en profiter me stimule.

Inauguré en 1913, le Palais chinois a été fermé au public en 2013 en raison de problèmes de stabilité. © Frédéric Raevens

Du patrimoine à l’éducation : la même passion de transmettre

Les qualités à avoir pour gérer un tel projet?

Comme pour tout, il faut appliquer la méthode ATL: Attention, Time, Love. Autrement dit, y consacrer de l’attention, du temps, du soin et de l’amour, sinon cela ne marche pas. C’est pareil pour l’éducation.

A propos d’éducation, vous avez créé, il y a dix ans, «Out of the Box», un projet de pédagogie alternative pour les jeunes de 16 à 20 ans en décrochage scolaire. C’est en lien avec votre passion pour le patrimoine et l’art?

Evidemment! L’éducation, c’est avant tout de la transmission et le soin qu’on apporte au patrimoine, également. «Out of the Box» est une école de 30 élèves où il y a beaucoup de créativité. L’art s’y trouve partout, même dans les maths. Les petits déjeuners se prennent toujours avec de la musique classique. Cela fait partie de notre culture, même si les jeunes écoutent ou font du rap. J’y donne des cours de philosophie et de français. Je prépare les jeunes au jury central pour l’examen de français écrit et oral.

En 2018, vous avez été anoblie baronne par le roi, pour votre action sociale et culturelle. Ce titre a-t-il changé votre vie, votre travail?

Absolument pas et je ne mentionne pas ce titre sur mes cartes de visite! Je pense que tous les humains ont besoin de reconnaissance. Comme lorsque j’ai reçu la Légion d’Honneur française en 2016, j’ai quand même été étonnée et dans ce cas, on a toujours un petit complexe d’imposture. Pourquoi moi? Est-ce que je le mérite? Je pourrais citer un millier de femmes bien plus intéressantes que moi…

Votre projet suivant, la Tour japonaise voisine?

Elle mérite aussi d’être restaurée. Mais ce n’est pas à l’ordre du jour. Je souhaite avant tout qu’on vienne au Palais chinois avec le sourire, en s’exclamant: «Waouh, on a ça chez nous!»

Diane Hennebert

1957: Naissance au Congo
1977-1982: Etudes de philosophie et de journalisme à l’ULB
1984-1989: Direction artistique du Botanique
1989-1993: Direction du Centre Wallonie-Bruxelles à Paris
1994-1998: Direction de la Fondation pour l’Architecture à Bruxelles
2001-2006: Direction et rénovation de l’Atomium
2007-2015: Direction de la Fondation Boghossian et restauration de la Villa Empain.
2015: Création du projet «Out of the Box»
Depuis 2024: Administratrice-déléguée de l’asbl Palais chinois

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