
Adolescence: que faire quand vos petits-enfants ne veulent plus venir chez vous?
À l’approche de l’adolescence, nombreux sont les enfants qui rechignent à aller aussi souvent qu’avant chez leurs grands-parents. Un épisode difficile à vivre, mais pas une fin en soi: plutôt une relation à réinventer !
Pendant des années, j’ai gardé mon petit-fils Olivier tous les mercredis après-midi, se rappelle Chantal, 81 ans. Nous avions développé une chouette relation, rien que tous les deux. Des heures passées à jouer aux petits chevaux, à faire le potager ou à des bricolages. J’adorais ça et lui aussi. Et puis, un jour, vers ses 11ans, Olivier a expliqué à sa maman, même pas à moi, qu’il préférait rester à la maison après l’école le mercredi. J’ai pleuré quand elle m’a téléphoné pour m’apprendre la nouvelle. J’avais une très bonne relation avec mon petit-fils, je l’ai toujours, je crois simplement qu’il voulait un peu passer à autre chose. Mais en ce qui me concerne, ces mercredis après-midi m’ont longtemps cruellement manqué. Encore aujourd’hui, j’y repense avec un petit pincement au cœur…»
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Chacun sa route
En Belgique, selon l’étude européenne Share publiée en 2022, 70% des grands-mères et 66% des grands-pères gardent leurs petits-enfants, en moyenne plus de 35 heures par mois. 43% des grands-parents s’y adonnent d’ailleurs au moins une fois par semaine. Une implication parfois subie, à la demande insistante des parents, mais le plus souvent acceptée de bonne grâce ou désirée.
«Une fois retraités ou en fin de carrière, après s’être concentrés sur leur carrière, beaucoup font de leur famille une priorité, confirme Sylvie Anzalone, porte-parole de l’ONE, qui s’est penchée sur le sujet avec une équipe pluridisciplinaire. Ils s’investissent fortement dans la relation avec leurs petits-enfants, y consacrent beaucoup de temps. Sans toujours avoir à l’esprit qu’à un moment, ceux-ci vont prendre leur autonomie ». C’est qu’à l’approche de l’adolescence, les enfants entrent dans un élan contraire à celui de leurs grands-parents. En recherchant leur identité propre, ils vont naturellement et inconsciemment se détacher de leur famille. Une passade temporaire, souvent limitée à quelques années, mais inévitable. «Entre 12-13 et 16-17 ans, ils prennent un peu leurs distances pour se rapprocher de leurs pairs et petit à petit rentrer dans l’âge des copains.»
« Quand nous avions le droit de venir… »
Lorsque notre premier petit bout est né, mes parents ont proposé de venir le garder un jour par semaine, raconte Marie, 59 ans. Ils ont continué à le faire jusqu’à ce que nos 4 enfants n’aient plus besoin d’être gardés depuis longtemps. C’était un jour que mes parents attendaient avec impatience. Mais petit à petit, la situation est devenue un peu plus compliquée.
Nos enfants aimaient traîner avec leurs amis après l’école. Lorsqu’ils rentraient à la maison, ils n’avaient pas spécialement envie de taper la causette. Je sentais qu’une certaine tension s’installait et que ma mère était parfois un peu déçue. Pour être honnête, j’ai un peu repoussé l’échéance, mais à un moment donné, j’ai pensé qu’il valait mieux supprimer le «jour de baby-sitting» et proposer à mes parents de venir un peu plus souvent le week-end. Mon père l’a bien pris, mais pour ma mère, le message a été très dur à entendre.
La dernière fois qu’ils sont venus « faire du baby-sitting», elle a quitté la maison en sanglotant. Je me suis sentie coupable, mais j’ai aussi compris que c’était la meilleure solution. Pendant des années, elle a parlé avec tendresse de ces beaux jours, mais elle ajoutait très souvent «quand nous avions encore le droit de venir». Une petite pique qui me restait en travers de la gorge…
Une remise en question
Les parents sont généralement satisfaits de cette évolution. Au moins au début, car ils récupèrent un peu de temps pour eux, tout en continuant à côtoyer leur progéniture chaque jour. Il en va de même pour certains grands-parents. «Quand les petits-enfants arrivent à cet âge, cela correspond souvent au vieillissement des grands-parents, qui sont parfois soulagés de ne plus être de garde ou d’assurer le taxi du mercredi, fait remarquer Régine Florin, présidente de l’Ecole des Grands-parents européens. De nos jours, ils n’axent plus toute leur vie autour des petits-enfants uniquement…»
L’ado est à la recherche d’une relation bilatérale, pas d’une transmission à sens unique
Mais pour les grands-parents volontairement très impliqués, le choc peut tout de même être rude. Du jour au lendemain – car la cassure est souvent brusque – leurs petits-enfants semblent se détourner d’eux et les contacts, même s’ils restent chaleureux, se font moins réguliers. Dès lors, c’est tout un pan du quotidien qui s’écroule. De quoi susciter tristesse, incompréhension et, parfois, amertume (voir encadré). «Pourtant, il est important de rappeler que l’enfant reste souvent très attaché à ses grands-parents. Ceux-ci peuvent continuer à jouer un rôle important. La relation privilégiée ne disparaît pas, c’est juste qu’elle évolue. Il faut accepter de la réinventer, et privilégier la qualité plutôt que la quantité.»
Complices face aux «adultes»
C’est que si grands-parents et jeunes ados ont deux générations de différence. Ils vivent des dynamiques qui semblent diamétralement opposées, ceux-ci ont davantage de points communs qu’on pourrait le penser. «Tous deux sont à un stade de leur vie où ils ont l’impression de ne pas toujours être compris et entendus», analyse Sylvie Anzalone. Dans une société résolument âgiste, où la valorisation sociale est encore très axée sur le travail, le grand-parent pensionné se sent parfois laissé sur le côté, tout comme l’ado, qui cherche à faire son trou. «Hormonalement aussi, tout est chamboulé. D’un côté comme de l’autre, il peut en découler un mal-être et une remise en question…»
Ces similitudes créent l’opportunité d’une certaine complicité. «Souvent, les ados préfèrent parler de ce qu’ils vivent à leurs grands-parents, davantage qu’à leurs parents. Ces derniers sont vus comme ringards et à qui ils n’ont pas envie de ressembler. Plutôt que des visites systématiques tel ou tel jour, s’ils n’habitent pas trop loin, il peut être intéressant de leur proposer un havre, un refuge où ils peuvent venir quand ils le souhaitent, lorsque la relation est un peu conflictuelle avec les parents. Sans imposer quoi que ce soit. Bien sûr, il est important de ne pas prendre parti dans ces conflits. Mais les ados sont souvent en recherche d’une certaine sagesse et d’une écoute, patiente et tolérante, chez leurs grands-parents. Un peu comme la grand-mère avec qui Sophie Marceau va boire un thé dans La Boum… »
Et si la distance géographique est trop importante, rien n’empêche d’utiliser la technologie pour initier ou maintenir la relation. L’ado ayant un smartphone greffé à la main, initier une conversation via messagerie, partager photos et vidéos est aussi une option. «Maintenir un canal de discussion privilégié, en dehors du contrôle parental, est en tout cas important…»
Rock et rap, même combat
Les visites se faisant moins fréquentes, il est aussi important de proposer du temps de qualité, des activités qui sortent de l’ordinaire. «En bas-âge, les enfants adorent simplement rester à la maison avec leurs grands-parents, poursuit la porte-parole de l’ONE. Tout cela va créer des souvenirs impérissables, des sons, des odeurs, des petites madeleines de Proust. Mais pour maintenir des liens avec l’ado, cela ne suffit plus. Aller au ciné, voir une expo ou un concert, partir en city-trip va permettre de développer la relation. Surtout lorsqu’il a du mal à s’exprimer, la musique et les images peuvent créer un support à la discussion.»
Les visites se faisant moins fréquentes, il est important de proposer du temps de qualité
L’ado est d’ailleurs à la recherche d’une relation bilatérale: il veut pouvoir échanger, discuter sur quantité de sujets. «Il adore toujours apprendre de ses grands-parents, mais veut aussi pouvoir leur faire découvrir des choses. Il est donc important de s’intéresser à ce qu’il aime, même si d’un premier abord, cela ne nous emballe pas trop. Chacun doit pouvoir exprimer ce qui le fait vibrer.» De quoi parfois être surpris et se rendre compte que le rap qu’il écoute sur son smartphone est tout aussi contestataire que le rock écouté sur 33 tours dans les années 70… Et qui sait, se découvrir une passion commune pour Pink Floyd ou Orelsan.
Un lien à renforcer
«L’idée, finalement, c’est de n’être ni moralisateur, ni ringard. De faire comprendre à l’ado qu’on est soi-même passé par là où il passe et de lui partager sa propre expérience, dont il fera ce qu’il voudra. D’apporter un peu de légèreté à cet âge difficile, mais sans s’imposer. Non seulement le lien avec le petit-enfant sera alors maintenu, renforcé, mais quand il rentrera dans sa vie d’adulte et que les incompréhensions auront disparu, la relation entrera dans une nouvelle dimension, qui peut être géniale!»
A faire/à ne pas faire
• Ne pas culpabiliser l’enfant: vous avez le droit d’être attristé car vous vous voyez moins souvent, mais le phénomène est normal, cela ne sert à rien de lui en vouloir. Lui en faire le reproche risque de le rebuter.
• Maintenez un canal de discussion avec lui en dehors des parents. S’il habite loin, pensez aux applis de messagerie.
• Evitez de l’assommer de «Tu te souviens quand tu était petit et que...»: la plupart des grands-parents ramènent l’ado à son enfance, alors qu’il est à un âge où il est braqué sur le présent. En revanche, n’hésitez pas à lui faire les recettes qu’il adorait petit : carton assuré!
• Pensez à des sorties culturelles, pour susciter l’échange et la conversation. Il habite loin? Pourquoi ne pas l’abonner à un magazine?
• Faites le taxi! C’est un peu contraignant, mais les trajets en voiture sont des moments privilégiés pour entamer une causette régulière et rester à la page.
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