© GETTYIMAGES

Réapprendre à vivre après un cancer

Pas toujours facile de reprendre le cours de sa vie après un cancer, un accident ou un attentat. S’en remettre peut être compliqué par une série de troubles psychologiques, qualifiés de syndrome du survivant.

C’est l’histoire d’une rémission qui ne se passe pas comme espéré. « Il y a quelques années, on a diagnostiqué un cancer du poumon à papa, raconte Camille. L’annonce l’a terrorisé, mais le cancer a heureusement été diagnostiqué relativement tôt. Papa a subi l’ablation d’un lobe pulmonaire, accompagnée d’un traitement lourd qui lui a permis d’entrer en rémission. Ce n’était pourtant pas la fin du problème: une fois son cancer guéri, rien n’était plus comme avant. Papa est devenu comme  » éteint « , taiseux et déprimé, sans goût à rien. Il a même repris la cigarette. Ce qui dans son état, m’est apparu comme une sorte de suicide. D’ailleurs, ça n’a pas manqué, il souffre d’une récidive... « 

AU SORTIR DU TUNNEL

En temps normal, l’esprit humain est bien fait : si nous savons que nous sommes mortels, nous parvenons à en faire abstraction au quotidien.  » La majorité des gens vivent très bien dans l’illusion qu’ils ne disparaîtront pas avant un certain nombre d’années, dans un futur plus ou moins lointain « , souligne Isabelle Merckaert, chargée de cours à l’ULB et psychologue clinicienne à la clinique de psycho-oncologie de l’Institut Jules Bordet. Ce n’est pas nécessairement faux – personne ne peut savoir quand il passera l’arme à gauche – et cela permet de vivre sans trop d’inquiétude, de se projeter dans le futur... bref, de continuer à avancer dans la vie.

Ce petit subterfuge est pourtant parfois mis à mal, comme lorsqu’une pathologie grave est diagnostiquée. « L’annonce de la maladie nous renvoie au fait que notre corps peut nous lâcher, parfois sans crier gare, développe la psychologue. C’est peut-être encore plus le cas avec les cancers, qui sont diagnostiqués alors que la personne n’a pas ou peu de symptômes. » En d’autres termes, le patient est directement confronté à l’angoisse de sa disparition, qui devient tangible. Un sentiment qui reste souvent à l’arrière-plan tant que durent les traitements, vécus comme un « tunnel » focalisant toute l’attention, avant de refaire surface lorsqu’ils se terminent. Il peut alors se matérialiser sous la forme de troubles psychologiques parfois qualifiés de « syndrome de Lazare » ou « du survivant ». Assez peu étudié dans le cadre du cancer, la liste des possibles symptômes est longue et leur intensité est très variable : dépression, culpabilité (d’avoir survécu alors que d’autres ont succombé, d’être un poids pour les proches), apathie, anxiété permanente, peur intense et persistante que la maladie ne revienne ou progresse ...

DURANT LES TRAITEMENTS, L’ANGOISSE DE SA PROPRE DISPARITION RESTE SOUVENT À L’ARRIÈRE-PLAN. AVANT DE REFAIRE SURFACE...

 » En oncologie, il n’est pas si courant dans ses caractéristique les plus extrêmes, mais les personnes qui ont traversé la maladie et les traitements associés se retrouvent fréquemment face à des difficultés psychologiques dans la phase de post-traitement. Dans ce moment où on se dit que tout est fini et qu’on devrait être heureux d’avoir survécu, il y a un mélange d’émotions, entre soulagement et prise de conscience qu’on pouvait mourir. » La période est ambivalente, pleine de belles choses mais aussi d’émotions moins agréables, comme des inquiétudes, des affects dépressifs...

UN PASSAGE OBLIGÉ

En soi, rien de très inquiétant : il s’agirait même d’un passage obligé, d’une adaptation à une vie qui, quoiqu’on veuille, ne sera plus jamais exactement la même.  » Tant que c’est fluctuant et limité dans le temps, c’est un processus normal: la personne est plus renfermée à certains moments, a parfois peur que la maladie revienne, mais cela ne l’empêche pas à d’autres moments de se lancer dans des activités, de prendre du plaisir avec ses proches...  » Cela devient par contre problématique lorsque ces sentiments sont présents tous les jours et durablement, s’accompagnant d’une perte de l’estime de soi, d’un sommeil de mauvaise qualité...

Une situation qui peut dégénérer et empêcher le « rescapé » de se relancer dans la vie et le travail. Une aide psychologique, parfois au long cours, est ici nécessaire. « Or, une personne qui a du mal à retrouver une étincelle de vie pense généralement à consulter très tard, prévient Isabelle Merckaert. Les proches peuvent ici être un relais important, en ouvrant la discussion, en l’accompagnant dans la recherche d’aide : plus tôt le problème sera pris en charge, plus il sera facile de s’en remettre et d’en garder peu de traces. « 

DES RESSUSCITÉS MALHEUREUX

Si le syndrome du survivant peut se déclarer dans le cas de maladies graves, il est plus fréquent et intense lors d’accidents ou d’événements meurtriers. En 2016, les attentats de Bruxelles ont ainsi fait des dizaines de victimes « rescapées », qu’elles soient témoins ou gravement blessées, qui ont été ramenées violemment à leur finitude.

 » Ce sont des symptômes liés au stress post-traumatique, estime Nathalie Conti, criminologue et thérapeute EMDR (une technique qui vise à faire revivre les événements consciemment), qui suit plusieurs de ces victimes. Même si je n’aime pas mettre des étiquettes sur des troubles, le terme de  » syndrome de Lazare « , aussi employé, me semble ici plus adapté. Dans la Bible, Lazare est mort et ramené à la vie. C’est un peu le cas ici: ces personnes ont fait l’expérience de la mort – chose de laquelle on ne revient normalement pas – et  » pouf « , elles sont ensuite remises dans la société. Or, après cette expérience traumatisante, elles se sentent en total décalage. Elles ne sont plus du tout les mêmes, leurs croyances ont été chamboulées. »

Le rôle des proches

Les proches d’une personne concernée par le syndrome du survivant ne savent souvent pas sur quel pied danser, d’autant plus que celle-ci se conduit parfois de façon déroutante. Leur soutien est pourtant primordial :

Pour ouvrir la discussion et rediriger la personne vers une aide professionnelle. Lorsque c’est le  » rescapé  » lui-même qui se décide à y faire appel, il est souvent très (trop ? ) tard.

Pour essayer de reconnecter le patient aux plaisirs de la vie, par petites touches : il faut proposer et continuer à proposer des petites choses, sans pour autant s’attendre à ce que la vie redevienne comme avant.

Pour offrir son aide, notamment en ce qui concerne l’administratif : la maladie et les accidents s’accompagnent d’une solide quantité de paperasse pour faire reconnaître un droit à une aide financière, à un aménagement de carrière ou au statut de victime. De plus, les institutions de santé ou les instances juridiques emploient un vocabulaire parfois maladroit : épargner tout cela aux proches peut être appréciable.

Pour Nathalie Conti, le développement de ce trouble ne dépend pas nécessairement de la gravité de l’événement qui l’a suscité. « Bien sûr, plus on a de séquelles physiques, plus on a été en contact direct avec la mort ou celle d’autrui, plus le trouble sera intense, mais l’idée qu’on est passé à côté de la mort peut suffire.  » Assez souvent, heureusement, un processus interne permet d’entrer en résilience après un temps plus ou moins bref. « Mais dans les cas les plus graves, les victimes ne se sentent plus vivantes: leur cerveau a fait l’expérience de la mort, et le choc cérébral est tellement intense que leurs émotions et leurs sensations sont bloquées. Elles restent à la fois en pilote automatique et sur le qui-vive. « 

D’ÉTERNELS INCOMPRIS?

Une situation d’alerte permanente qui peut donner naissance à des flashs-backs (l’événement est revécu avec précision, impliquant tous les sens), des cauchemars ou des hallucinations.  » J’ai accompagné un patient à l’aéroport: il continuait à y sentir une odeur de fer brûlé, c’est-à-dire celle du sang... « , se rappelle la criminologue. La prise en charge de tels troubles s’avère particulièrement complexe, d’autant plus qu’elle s’accompagne souvent d’un sentiment d’être incompris – même par les autres victimes – et de culpabilité. « Elles ont l’impression de ne pas pouvoir se plaindre, parce qu’elles sont vivantes, rescapées, ou que d’autres ont été touchés plus gravement. »

Nombre de familles et même de professionnels de la santé se retrouvent démunis face au syndrome.  » Mais il est pourtant primordial de reconnecter le patient à la vie et aux autres. C’est usant et délicat pour les proches, car il faut faire preuve d’énormément d’empathie, de bienveillance.  » Ce n’est qu’alors que la page pourra se tourner, sans pour autant être effacée.

Pratique

La Fondation contre le cancer propose un annuaire de psychologues pour les patients et leurs proches. www.cancer.be ou 080015801

Centre interdisciplinaire de psycho-oncologie : www.psycho-oncologie.be ou 025380327.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire