Il arrive qu’une infection provoque des difficultés psychologiques des décennies plus tard. © Getty Images

Des anti-inflammatoires contre la dépression

PlusMagazine.be Rédaction en ligne

Il existe un lien entre le système immunitaire et le bien-être mental. Partant de là, des médecins expérimentent de nouveaux traitements, comme des anti-inflammatoires.

Au tournant du siècle, le célèbre rhumatologue écossais Iain McInnes a commencé à prescrire une nouvelle génération d’anti-inflammatoires. Peu de temps après, il fit un constat étonnant: certains patients se sentaient plus énergiques, souffraient moins de brouillard mental et leur humeur générale s’était améliorée, après parfois des années de morosité.

Un effet spectaculaire

«Les réactions inflammatoires peuvent jouer un rôle dans le développement de la dépression et d’autres troubles mentaux», analyse Manuel Morrens, professeur de psychiatrie à l’Université d’Anvers. Ses recherches sont centrées sur le lien entre le système immunitaire et les troubles psychiatriques. «Ce lien est parfois évident.» Il fait ici référence à un traitement à l’interféron pour une inflammation du foie. «En stimulant fortement le système immunitaire, ce médicament permet de réduire l’inflammation. Mais nous avons constaté que jusqu’à 50% des patients qui suivent ce traitement développent une dépression. Une statistique spectaculaire.»

La grippe et le covid long

Selon le Pr Morrens, une maladie mentale a presque toujours une composante physique et, inversement, toute affection physique a un impact psychologique. «On le voit avec la grippe, par exemple. Les symptômes classiques tels que la fatigue, l’abattement ou les changements d’appétit se superposent à certains symptômes dépressifs courants. Coïncidence ou pas: à l’instar des personnes atteintes de la grippe, un quart des personnes souffrant de dépression présentent des marqueurs inflammatoires élevés dans le sang.»

Le Pr Morrens établit aussi un parallèle avec le covid long, auquel des dizaines de milliers de Belges sont confrontés. «Ici aussi, on observe des marqueurs inflammatoires chroniquement élevés. Et les symptômes classiques, tels que le brouillard mental et la fatigue, ressemblent fortement aux symptômes dépressifs. Une vaste étude américaine a montré qu’après une infection au covid, les patients devenaient brutalement deux fois plus susceptibles de souffrir de graves troubles de l’humeur et de psychoses.»

Un système immunitaire hyperactif

Il arrive qu’une infection ne provoque des difficultés psychologiques que des décennies plus tard. «Les enfants de femmes qui auraient contracté la grippe ou rencontré un autre trouble immunitaire pendant leur grossesse sont sept fois plus susceptibles de développer des psychoses à l’âge adulte. Une infection au cours de la période prénatale semble donc modifier le système immunitaire de l’enfant à naître ou influencer son développement.

Il est urgent d’adopter une vision intégrée du bien-être psychique et physique.

Le risque de souffrir plus tard d’une maladie mentale n’est pas déterminé par un système immunitaire qui ne fonctionnerait pas correctement, mais plutôt par la prédisposition à un système immunitaire hyperactif. Nous ignorons encore la nature exacte du lien, mais son existence ne fait aucun doute. Ceci explique pourquoi les psychiatres surveillent de près les personnes atteintes de psoriasis ou de rhumatismes. En effet, les troubles immunologiques de ce type doublent le risque de dépression. D’une part, en raison de l’hyperactivité du système immunitaire et d’autre part, parce que de nombreuses maladies auto-immunes inhibent le fonctionnement physique et social. Ce sont également des facteurs de risque.»

De nouveaux traitements

«Il est urgent d’adopter une vision intégrée du bien-être psychique et physique. Les troubles mentaux, comme la dépression, ne sont pas dans la tête mais affectent tout l’organisme. Cette vision réduit la stigmatisation de la souffrance psychologique et ouvre la voie à de nouvelles options de traitement, par exemple avec des anti-inflammatoires.

Le traitement de la dépression n’a pas changé depuis trente ans. Quel que soit le type de dépression ou la personne en face d’eux, psychiatres et médecins généralistes prescrivent un antidépresseur. Dans 30 à 40% des cas, les symptômes disparaissent au bout de quatre à six semaines. Sans résultat probant, on essaye un autre antidépresseur. Pour de nombreux patients, il faut en essayer un troisième et même bien davantage. Dans le meilleur des cas, vous en avez pour quelques semaines et dans le pire, pour des mois voire des années. Un processus coûteux, tant pour l’individu que pour la société.»

Une approche partâtonnements

«Cette approche par tâtonnements revient à traiter une fièvre sans en déterminer la cause sous-jacente. S’agit-il d’une infection pulmonaire, d’une infection abdominale ou d’autre chose? En médecine physique, on recherche les causes sous-jacentes. Pourquoi ne pas faire pareil en santé mentale? Au lieu de poser un diagnostic basé sur des symptômes cliniques, je veux d’abord comprendre les processus biologiques qui conduisent à la dépression, comme l’élévation des marqueurs inflammatoires dans le sang.

Bien sûr, toute personne dont le système immunitaire est hyperactif ne développera pas une dépression, mais pour un petit nombre de patients, un examen immunologique pourrait leur offrir une issue.»

Des recherches récentes sur l’effet antidépresseur des anti-inflammatoires confirment sa théorie. Des médecins britanniques ont prescrit des anti-inflammatoires à plusieurs groupes de patients présentant des symptômes dépressifs. Ceux ayant des valeurs inflammatoires légèrement élevées ont montré trois à quatre fois moins de symptômes dépressifs après traitement que les patients ayant des valeurs inflammatoires normales.

Plus remarquable encore: le médicament agit à partir d’un seuil inflammatoire peu élevé.

Les antidépresseurs

Les antidépresseurs traditionnels influencent l’équilibre chimique du cerveau en régulant les «hormones du bonheur», sérotonine, noradrénaline et dopamine. Ils sont prescrits pour traiter la dépression, mais aussi les troubles anxieux, les douleurs chroniques et d’autres troubles psychologiques. Malheureusement, les antidépresseurs ne fonctionnent pas pour tout le monde et on ignore toujours comment et pourquoi ils agissent ou n’agissent pas.

Un changement de paradigme

Le Pr Morrens et ses collègues de la VUB et de l’UA sont en train de réaliser la même étude sur un groupe test plus important. «Si les résultats vont dans le même sens, les immunothérapies changeront la donne en psychiatrie. Mais je reste prudent car nous avons déjà pensé être à deux doigts de découvertes majeures qui ne se sont finalement jamais concrétisées. Un résultat positif élargirait le traitement de première ligne de la dépression et, à l’avenir, les généralistes pourraient également proposer un traitement immunitaire, la minocycline ou le célécoxib par exemple. La condition est que le patient présente des valeurs inflammatoires légèrement élevées, ce qui se vérifie par une simple prise de sang.»

D’après le Pr Morrens, nous évoluons progressivement vers une personnalisation de la pharmacologie. L’imagerie immunologique et le traitement en font partie. «Les chercheurs tentent également de développer des médicaments immunomodulateurs spécifiques. Pour les 25% de patients dépressifs dont les symptômes sont liés à une infection, ces médicaments permettraient une approche plus personnalisée.

Par ailleurs, un groupe élargi de chercheurs européens a rassemblé toutes les études sur le sujet. Grâce à une analyse approfondie des données, ils espèrent trouver les facteurs qui contribuent à l’hyperactivité du système immunitaire et ainsi distinguer les sous-catégories biologiques de la dépression. Nous sommes peut-être à l’aube d’une découverte majeure.»

Pas de remède miracle

«Mais on ne peut pas tout résoudre avec une pilule. Chaque cas de dépression résulte d’une interaction complexe de causes biologiques, génétiques et psychosociales. Il existe des pistes dans chacun de ces domaines. Pourquoi certaines personnes sont-elles plus sujettes à la dépression? Quels facteurs sous-tendent cette prédisposition? Comment y répondre: par le mode de vie, les médicaments et les traitements psychothérapeutiques? Il s’agira toujours d’une approche multiple.»

Texte: Thomas Detombe

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