
Apprendre à lâcher prise
Apprendre à lâcher prise est tout sauf un acte passif ou de laisser-aller. C’est mettre en place les outils pour se libérer de pensées récurrentes ou de comportements trop perfectionnistes. Pour mieux profiter de l’instant présent.
Il y a ceux qui gardent toujours le boulot ou la gestion du ménage dans un coin de leur tête. Qui ne peuvent s’empêcher de consulter leurs mails pros quand ils sont en vacances. Pour d’autres, ce sont des images, des pensées qui reviennent constamment à l’esprit. Celles d’un échec, d’un accident de vie dont ils se sentent responsables, d’un deuil impossible à réaliser. Au quotidien, toutes ces pensées qui reviennent en boucle, tous ces comportements perfectionnistes peuvent devenir très envahissants, et se traduire par une souffrance, un épuisement, une impossibilité à profiter de l’instant présent.
Face à ces difficultés, les proches des personnes concernées n’ont souvent qu’un conseil à la bouche : il faut « lâcher prise », bon sang ! Mais qu’entendent-ils par là ? Pour beaucoup, le lâcher-prise serait une forme de « je m’en foutisme ». ll suffirait simplement de déposer son sac de pensées. Mais c’est loin d’être aussi simple... « Lâcher prise, c’est même tout sauf un acte passif, corrige Fanny Weytens, docteure en psychologie et spécialiste de l’accompagnement des personnes en burn out. C’est décider de stopper volontairement des comportements automatiques ou des ruminations qui viennent machinalement à l’esprit. Il faut donc déroger à un mécanisme qui s’est mis en place au quotidien, parfois depuis très longtemps. » Cela demande non seulement de l’énergie – pas évident lorsqu’on est déjà épuisé ! -, mais peut aussi s’avérer contre-intuitif.
Le singe et la noix de coco
Les personnes bloquées dans des comportements ou des pensées problématiques ont souvent l’impression qu’en « lâchant prise », elles se mettront en danger. C’est en réalité parfois tout l’inverse : maintenir un statu quo peut s’avérer bien plus nocif. Pour illustrer ce paradoxe, le psychiatre canadien Serge Marquis a pour habitude d’utiliser la métaphore du singe et de la noix de coco : en Malaisie, des chasseurs piègent les singes en attachant des noix de coco, à l’intérieur desquelles une petite ouverture laisse entrevoir du riz. En prenant une poignée de riz, le singe serre le poing qui, se faisant, reste coincé dans l’ouverture. La seule façon pour le singe de se libérer serait d’ouvrir la main et de lâcher le riz, mais il se refuse à le faire, de peur de perdre sa pitance. Au final, il perd la vie.
Lâcher-prise, c’est parfois aussi s’empêcher de réagir du tac au tac à certaines sollicitations.
« L’image résume assez bien ce que vivent une partie des personnes qui n’arrivent pas à lâcher prise, estime Fanny Weytens. Prenons l’exemple du perfectionniste : pour lui, effectuer son job parfaitement est essentiel. Lâcher prise (lâcher le riz) impliquerait de déroger à ses standards de qualité. C’est perçu comme un risque d’être considéré comme moins bon, moins fiable. En réalité, en persistant de la sorte, le perfectionniste peut se mettre en danger, s’épuiser et devenir moins performant, mais aussi courir le risque de burn out. »
Une prise de conscience primordiale
« Chez les personnes qui ont tendance à s’épuiser, prendre conscience de ce mécanisme est difficile parce que plus ils sont englués dans leurs ruminations ou leurs automatismes, plus il est difficile de prendre de la hauteur pour s’en rendre compte, ajoute la psychologue. Certains n’envisagent pas qu’il soit possible de fonctionner autrement. Le plus souvent, c’est l’entourage finit par tirer la sonnette d’alarme. »
Il n’est toutefois pas impossible de s’en rendre compte par soi-même. Pour ce faire, il faut oser prendre le temps de s’arrêter et de faire un check interne. Une fois le problème mis en lumière, restera à le régler... Plus facile à dire qu’à faire ? Le recours à un.e thérapeute peut ici s’avérer très utile. Il est aussi possible de mettre en place de petites choses au quotidien, ne serait-ce que pour installer des conditions plus idéales pour un lâcher prise.
Lâcher prise lorsqu’on est (trop) perfectionniste
Dans ce cas de figure, il faut « flexibiliser » le perfectionnisme. C’est-à-dire non pas le transformer en laxisme (ce qui est de toute façon impossible pour un perfectionniste), mais l’adoucir et l’encadrer, pour « décrocher » plus facilement :
- Baliser les tâches dans le temps. « Je me donne x temps pour faire telle tâche, propose Fanny Weytens. Si, au bout de ce temps, ma tâche est terminée mais que je n’en suis pas satisfait, je me force à la laisser telle quelle. Si je ne suis pas arrivé à la terminer dans les temps impartis, je vérifie avant tout si j’ai encore de l’énergie, si j’ai besoin de temps pour moi... Si après cela, je me sens en mesure de continuer, je repars pour un tour, mais toujours en limitant le temps à passer sur cet objectif. »
- Limiter les sollicitations. Lâcher-prise, c’est parfois aussi s’empêcher de réagir du tac au tac à certaines sollicitations. Pour se faciliter la tâche, on peut désactiver les notifications d’email, des groupes whatsapp... Si une demande est franchement urgente, votre correspondant prendra la peine d’appeler.
- Faire une tâche à la fois, et la terminer. Se lancer sur plusieurs tâches en parallèle peut devenir épuisant et décourageant. Il n’y a rien de pire, pour ne pas parvenir à décrocher, que de terminer la journée sur des tâches à moitié terminées ou bâclées. Mieux vaut clôturer les tâches une à la fois, de façon satisfaisante, pour pouvoir les évacuer au fur et à mesure de son esprit.
- Déterminer un mode « on » et un mode « off ». Se ménager des bulles de travail et d’autres de repos, bien hermétiques, avec des conditions idéales pour, respectivement, travailler ou se délasser. « En d’autres termes, soit je bosse, et je ne fais que ça, soit je me repose, mais je ne fais que ça aussi, détaille Fanny Weytens. L’entre-deux est pernicieux. Mieux vaut éviter de travailler sur le laptop avec la télé en sourdine en arrière-fond : c’est culpabilisant car vous ne travaillez pas correctement, et ne vous sentirez pas en droit de prendre un repos légitime par après. »
- Oser dire qu’on n’est pas joignable à tel ou tel moment. Un point pas toujours facile à faire accepter, tant vies professionnelle et privée sont devenues perméables.
Comment ça va, moi ?
Pour se rendre compte de l’existence d’un cercle vicieux qui empêche de lâcher prise, il est essentiel de s’astreindre à s’arrêter et à se poser régulièrement la question « Mais, finalement, comment vais-je ? ». Même si on n’en ressent pas le besoin, prendre le temps de vérifier qu’on a encore de l’énergie, pas de douleur, qu’on a pris du temps pour ses besoins élémentaires (manger, boire, aller aux toilettes). « Plus on est pris dans un engrenage, plus on est fatigué, plus nos besoins sont passés sous silence et moins on les ressent. Prendre des breaks pour vérifier comment on va peut permettre de se rendre compte que l’esprit est envahi ».
Lâcher prise en cas de ruminations
- Calmer le corps pour que la tête s’apaise. « Si je suis physiquement très énervé, mon esprit va s’accorder avec mon corps. Apaiser le corps permet de réfléchir à certaines choses de façon plus apaisée. »
- Oser écouter ses pensées. « Si je n’écoute pas la petite voix de mes pensées, elle va crier de plus en plus fort et prendre plus de place. Ce que va dire cette petite voix ne va pas être toujours facile à entendre, mais le lâcher prise de rumination, c’est être à l’écoute de ses émotions, comprendre le message qu’elles cherchent à nous apporter. » Les écrire facilite parfois le processus.
- Identifier les pensées inutiles. « Une fois les pensées couchées sur le papier, on peut commencer à faire le tri, en séparant celles qui ne servent à rien de celles qui m’apportent de l’information pour prendre soin de moi, explique Fanny Weytens. Typiquement, « Je suis un gros nul », c’est inutile, on barre. « Il faut que je me bouge », oui, c’est utile, on peut y réfléchir. »
- Trier les sentiments de culpabilité. En cas de sentiment de culpabilité, se poser la question : qu’est-ce que je me reproche précisément ? Parmi les choses que je me reproche, qu’est-ce qui était pleinement dépendant de moi, sur quoi est-ce que je n’avais qu’une influence partielle, qu’est-ce qui était hors de mon contrôle ? « Parfois, les gens se flagellent pour des choses sur lesquelles ils n’avaient aucune prise... Et quand ils pouvaient influer sur le déroulement des événements, j’invite à considérer qu’on fait toujours du mieux qu’on peut, avec les moyens qu’on a, à un moment donné... Adhérer à cette idée peut aider à éteindre la petite voix de la culpabilité. Ou, tout du moins, de la transformer en invitation à faire mieux la prochaine fois ou à ne pas répéter l’erreur... » Bref, comme le dit l’adage, parvenir à « accepter ce qui ne peut être changé, le courage de changer ce qui pourrait l’être... et la sagesse de distinguer l’un de l’autre » !
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