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Les grandes incohérences en mobilité

Pourquoi limiter les vitesses et proposer de grosses cylindrées ? Pourquoi avoir tué le vicinal ? Mais comment diable recharger sa voiture électrique quand on habite au deuxième étage d’un petit immeuble ?

Elle est dans toutes les bouches, sur tous les plateaux de télévision et même dans tous les programmes électoraux. Impossible de faire l’impasse sur elle. Elle ? C’est la mobilité et son pendant obscur : l’immobilité. Le débat fait aussi la part belle aux préoccupations écologiques. Bref, c’est devenu un enjeu majeur dans nos sociétés où les affres de la mobilité (embouteillages, pollution, voitures de société, parking, transports en commun, usagers faibles) déchaînent les passions. Et comme passion ne rime pas avec raison, cela donne des mythes, des incohérences dans le discours. Nous en avons relevé une poignée. La liste est très loin d’être exhaustive. On aurait pu parler du RER, aussi. Choisir, c’est renoncer.

INCOHÉRENCE N°1 : HARO SUR LE DIESEL

 » Techniquement, le diesel moderne est guéri de tous ses maux. Mais la bataille politique est perdue ! « , affirme Carlos Tavares, le patron des automobiles Peugeot, Citroën et Opel. Le problème des moteurs diesel, ce sont les particules fines et la pollution qu’ils rejettent ou plutôt qu’ils ont rejetées en masse. Ils se sont, jadis et à juste titre, attiré les foudres des uns et des autres. Et le monde politique a réagi comme un... vieux diesel. Car les nouveaux moteurs n’ont jamais été aussi  » propres « . Pour Alain Bonnafous, professeur d’université et spécialiste des transports, les moteurs diesel d’aujourd’hui émettent 15 à 20 % de moins de CO2 que l’essence et nettement moins de monoxyde de carbone et d’hydrocarbures, à l’exception du Benzo-a-pyrene cancérigène, mais il est essentiellement émis par des moteurs anciens. La motorisation essence consomme jusqu’à 20% de plus que le diesel. Ceux qui sont passés à l’essence le constatent sur leur facture de carburant. Les injonctions à abandonner le diesel aboutissent en fait à des effets paradoxaux. Les émissions de CO2 des voitures particulières ont ainsi grimpé l’an passé, en France, en raison de l’augmentation du parc automobile à essence. Et le bilan de l’électrique n’est guère meilleur (lire plus loin).

Quiconque a déjà déposé des enfants devant une école sait combien cet exercice fait partie des dix plaies qui s’abattent sur la mobilité moderne.

INCOHÉRENCE N°2 : AVOIR TUÉ LE VICINAL

Des transports en commun pas assez efficaces ? Ils l’étaient pourtant en Belgique. Dans les années 30, le réseau de chemin de fer était complété par plus de 5.500 kilomètres de voies de tramway vicinal – le tram de la côte en est une relique – desservant de nombreuses localités. Après-guerre, ce réseau entamera un lent déclin pour disparaître quasi totalement fin des années 70.  » Le vicinal a disparu entre autres car le réseau routier s’est modernisé, et que les bus ne nécessitaient pas d’infrastructure propre, explique Yves- Laurent Hansart, bénévole au Musée du Tram Vicinal de Thuin. On a supprimé des trams sur des liaisons rapides et efficaces. Certaines lignes seraient aujourd’hui une véritable aubaine : à l’époque on n’a pas pensé qu’un jour on saturerait à l’entrée de nos villes.  » Rétablir ces lignes serait possible en certains endroits, mais cela nécessiterait une solide volonté politique. En outre, dans certaines régions, l’ancien tracé a laissé place à des champs, des lotissements ou des zonings !

INCOHÉRENCE N°3 : VITESSES LIMITÉES, AUTOS SURPUISSANTES

Alors que les obstacles sur la route et limitations de vitesse se multiplient, les voitures mises sur le marché sont toujours plus puissantes. Selon Vias (ex IBSR), la puissance moyenne des véhicules neufs en Europe a ainsi augmenté de 25% entre 2001 et 2015. Parallèlement, les voitures sont aussi de plus en plus massives (merci la mode des SUV ! ), et il a été prouvé que cela favorise un comportement agressif au volant. L’évolution du secteur automobile s’avère donc en complète contradiction avec les enjeux de mobilité : pourquoi ne pas brider la puissance des véhicules ? Premièrement parce que les constructeurs continuent à vouloir faire rêver l’acheteur, en surfant sur le mythe – de moins en moins vrai – de  » ma voiture, ma liberté « .  » C’est aussi parce que la réglementation des véhicules est européenne, ajoute Benoît Godart, porte-parole de Vias. Or, en Allemagne, il existe des tronçons sur lesquels la vitesse est illimitée.  » Ceci dit, Volvo a annoncé que ses moteurs seront bridés à partir de 2020. Avant d’être suivi par les autres ?

Les grandes incohérences en mobilité
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INCOHÉRENCE N°4 : L’E-COMMERCE VA SAUVER LA MOBILITÉ, HUM

 » Je ne prends plus ma voiture, je me fais livrer « . Cette pratique ne diminue en rien la congestion des villes. Que du contraire. Il serait même question des dégâts collatéraux de la livraison à domicile. La formule  » achats en ligne = bouchons  » est de mise. Mathieu Strale, professeur à l’ULB, a récemment mis en lumière que remplacer des camions remplis de marchandises par des camionnettes, cela provoque une hausse de la congestion. Pourquoi ? Car il faut bien plus de véhicules pour transporter la même quantité de marchandises. Un seul camion livre une grande surface commerciale. Les camionnettes qui sillonnent les villes s’arrêtent à une multitude d’adresses. Souvent en double file. CQFD.

Les constructeurs veulent faire rêver les acheteurs en surfant sur le mythe de ma voiture, ma liberté.

INCOHÉRENCE N°5 : COMMENT RECHARGER SA VOITURE ÉLECTRIQUE QUAND ON VIT DANS UN IMMEUBLE ?

L’anecdote vaut son pesant de volts : dans une rue de Bruxelles, une riveraine sort sa rallonge électrique sur le trottoir pour recharger sa voiture. Si tout le monde fait ça, bonjour les chutes de piétons sur les trottoirs. Outre les questions de rechargement, l’électrique n’est pas la solution à tous les maux. D’une part, l’électricité en Belgique est essentiellement produite à partir du nucléaire ou d’énergies fossiles comme le gaz. D’autre part, les voitures électriques ne sont pas une bénédiction ni pour la mobilité ni pour l’environnement. Le physicien allemand Christoph Buchal a publié une étude selon laquelle les voitures électriques émettent plus de CO2 que les voitures à motorisation diesel. Pour en arriver là, il a tenu compte des émissions liées à la production de batteries (la batterie d’une Tesla Model 3, entre 11 et 15 tonnes de C02) et au mix énergétique (beaucoup de charbon pour produire de l’électricité en Allemagne). Les voitures électriques émettraient de 11 à 28% de plus que leurs équivalents diesel.

INCOHÉRENCE N°6 : LES STATIONNEMENTS PRIVÉS SONT-ILS ENCORE JUSTIFIÉS ?

Se garer dans certaines rues, la galère ! Pendant une bonne partie du XXe siècle, les maisons  » bel étage  » ont eu la cote, avec leur garage au rez-de-chaussée. Reste qu’en ville, quantité de ces garages ne sont plus adaptés aux véhicules actuels : trop petits, ils sont utilisés à tout autre chose. Mais ils assurent toujours une place de stationnement privée à leurs propriétaires...  » Il est interdit de stationner devant les accès carrossables d’une maison, à l’exception des véhicules dont le signe d’immatriculation est reproduit visiblement sur l’accès « , rappelle Benoît Godart, porte-parole de Vias. Pas question de se garer devant le garage d’un tiers, même avec son accord et même si l’espace est constamment inoccupé ! A noter que, théoriquement, si un garage a été aménagé de sorte qu’il ne puisse plus accueillir de voiture, il perd son statut d’espace carrossable. L’espace devant redevient libre. Dans les faits, il est très improbable que la police vienne vérifier si c’est le cas...

Les grandes incohérences en mobilité
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INCOHÉRENCE N°7 : DEMAIN, ON ROULERA TOUS À VÉLO !

Le dernier rapport sur les déplacements domicile-travail, réalisé par le SPF mobilité, montre que plus de 11% des Belges utilisent désormais le vélo pour se rendre au boulot. Mais ce chiffre cache une grande disparité régionale : si 17% des travailleurs flamands sont adeptes de la petite reine au quotidien, on ne compte... qu’1,6% de Wallons et 4,4% de Bruxellois. Une variation qui s’explique en grande partie par la géographie (la Flandre est relativement plate) et des différences d’infrastructures : les pistes cyclables sont légion au nord du pays, tandis que pédaler dans les villes wallonnes ou à Bruxelles s’apparente à un véritable parcours du combattant. C’est que les vélos n’y disposent que très rarement d’aménagements propres : ils doivent cohabiter avec les véhicules à moteur et/ou les piétons, via des trottoirs partagés ou de  » fausses  » pistes cyclables dessinées à la va-vite sur le bord des rues et remontant parfois les axes à sens unique. Dangereux et énervant, pour les automobilistes comme pour les cyclistes !

Les bonnes solutions d’ici et ailleurs

Si les incohérences en matière de mobilité sont légion, des initiatives pour l’améliorer sont tout aussi nombreuses et mettent du baume au coeur. Autre liste non exhaustive de hérauts de la mobilité

  • Trains de nuit

Les chemins de fer autrichiens ont racheté des wagons-couchettes mis sur une voie de garage. Objectif ? Relancer les trains de nuit afin de concurrencer les vols low-cost. Cette démarche profite du mouvement  » Flying less  » (voler moins avec l’avion). Ces lignes ferroviaires de nuit sont rentables et donnent un autre goût du voyage. La Belgique a abandonné le train-couchette au début des années 2000. Mais il se chuchote, vu la demande, qu’elle pourrait en réinstaurer.

  • Vélo-bus scolaire

Quiconque a déjà déposé des enfants devant une école sait combien cet exercice fait partie des dix plaies qui s’abattent sur la mobilité moderne. Les ramassages scolaires à vélo qui se développent un peu partout en Belgique apportent une partie de la solution. On parle ainsi des vélo-bus. De quoi s’agit-il ?  » D’un ramassage d’élèves parcourant le même itinéraire pour se rendre à l’école à vélo, explique-t-on à l’association Pro Velo. Les parentss ne doivent plus amener les enfants à l’école. C’est un accompagnateur formé qui conduit, en groupe et en toute sécurité, les enfants selon un trajet et un horaire prédéfinis. « 

  • Parking-collaboratif

Hum, cela vous frustre tous ces emplacements vides devant les portes de garage ? Alors, dans l’esprit des voitures partagées, voici l’arrivée du parking collaboratif. Un constat : il est interdit de se parquer devant une porte de garage sauf pour l’habitant qui y a apposé son numéro de plaque. Une idée : et si cet affichage devenait temporaire ? Pasha, une jeune société a mis au point une application pour smartphone. Le propriétaire d’un garage fixe une plage horaire durant laquelle il autorise le stationnement. L’utilisateur qui s’y gare devant insère son numéro de plaque. Ce dernier s’affiche sur un panneau électronique. Cela ne revient pas moins cher à l’utilisateur (il paye environ 80 cents de l’heure, zone orange). Il doit aussi alimenter l’horodateur si la rue est payante. L’avantage, alors ? Le gain de temps. Éviter de faire 10 fois le tour du quartier pour trouver une place. C’est ça l’auto-satisfaction !

  • Véhicules contre l’isolement

Enfin, s’il est bien une initiative qu’il faut mettre en lumière, c’est celle de ces bénévoles, de ces pouvoirs locaux et de ces mutuelles qui se battent pour la mobilité des aînés. Et ce, dans l’esprit du taxi-senior ou du taxi-social. Si le droit à la mobilité n’est pas établi en tant que tel, tout le monde devrait pouvoir se déplacer sans exclusion, même en cas de handicap. Les aînés absolument statiques, cela devrait être un mythe. Ces personnes sont hélas souvent oubliées des grands plans de mobilité. Si les transports en commun existent, il n’est pas toujours aisé de grimper dans un bus qui ne s’arrêtera pas forcément devant la bonne porte à l’arrivée. Alors, au départ d’une réservation, un véhicule avec chauffeur va venir chercher la personne pour faire des démarches administratives ou simplement des courses. La participation est modique. Les renseignements sur cette solution de mobilité sont généralement disponibles auprès du CPAS de votre commune.

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