© Frédéric Raevens

Rencontre avec Jean-Yves André, régisseur du domaine royal de Laeken: «La floraison est un stress!»

A l’occasion de l’ouverture des serres au public, le passionné et passionnant régisseur du domaine royal évoque les coulisses de son métier. Avec des anecdotes!

Rêvées par le roi Léopold II et imaginées par l’architecte Alphonse Balat – professeur de Victor Horta -, les serres royales ont été construites à partir de 1874. Cent cinquante ans plus tard, Jean-Yves André veille à la pérennité du splendide domaine royal de Laeken. Le quinquagénaire namurois, intarissable, nous guide parmi les fleurs, plantes, arbustes et arbres qui s’épanouissent dans ce palais de verre et de fer. Sous sa houlette, jardiniers et ouvriers s’activent joyeusement avant l’arrivée de 140.000 visiteurs de tous horizons…

Tout d’abord, comment êtes-vous devenu régisseur du domaine royal?

Vraiment par hasard! Je suis né au Rwanda où j’ai vécu dix-huit ans. Puis j’ai étudié, en Belgique, l’agronomie, spécialisation eaux et forêts, et j’ai décroché des petits contrats dont un pour cartographier le domaine royal de Ciergnon.

J’ai ensuite travaillé comme technico-commercial dans l’industrie à Oman et aux Emirats arabes unis. Un jour, j’ai découvert que la donation royale cherchait un régisseur-adjoint pour son domaine de Ciergnon. Je me suis dit que ce serait drôle d’y retourner! Lors d’une interview finale à Bruxelles, grâce à mes connaissances en agronomie, en construction, en gestion du personnel et à mon bilinguisme, on m’a proposé de travailler au domaine royal de Laeken. En 2016, j’ai démarré comme régisseur- adjoint avant de devenir régisseur.

Votre mission concrètement?

Faire en sorte que tout soit beau, nickel et que tout tourne! Je dois préserver le patrimoine architectural et végétal de ce domaine de 187 hectares qui accueille de nombreux visiteurs officiels. L’allée centrale, le château et les serres sont une vitrine de la Belgique! Je chapeaute le travail d’une soixantaine de personnes dont 23 jardiniers dans le parc et 15 dans les serres. Je suis juste la petite goutte d’huile qui tombe de la burette pour que tous les rouages fonctionnent, pour que le personnel expert dans son domaine puisse fonctionner au top.

Je planche sur la mise en place d’un plan d’aménagement du parc car des arbres tombent à chaque tempête, sur des rénovations de serres, sur des aménagements extérieurs pour les rendre encore plus attractives, sur la diversification des espèces dans la serre Congo afin qu’elle soit plus tropicale… En fait, je veux rendre la visite plus marquante chaque année. J’essaye de faire quotidiennement le tour des serres à défaut du tour du domaine qui prend au moins 3 h en marche rapide!

Comment se prépare-t-on à l’ouverture au public?

Il n’y a jamais deux années pareilles. On est tributaires du climat, même en serres. Parfois, il faut accélérer ou ralentir la floraison de plantes en jouant avec le chauffage et l’éclairage artificiel. On doit par exemple forcer la floraison des hortensias, fleurs estivales. Pour freiner la floraison des azalées, on refroidit la serre, on réduit la lumière, on met un produit calcaire blanc sur les vitres pour que le soleil ne tape pas trop fort sur les plantes. Si nécessaire, on arrose même l’extérieur de la serre. La floraison est un stress! Puis, il faut aussi essayer de contrôler les ravageurs comme les mouches blanches. Le soulagement, c’est au moment de l’ouverture: voir les gens heureux et entendre leurs «Waaaouw!». Le tunnel de géraniums et fuchsias impressionne toujours. Mais l’ouverture au public se prépare toute l’année! Pour certaines plantes, comme les hortensias, on s’y prend trois ans à l’avance: on élève des boutures en pots avant de les mettre en exposition.

Certains visiteurs se permettent toutes sortes de libertés dans le domaine! – Jean-Yves André

Et les jours d’ouverture?

Tôt, avant l’arrivée des visiteurs, je contrôle si une branche ne menace pas soudain de tomber et s’il n’y pas de dégâts parmi les plantes car parfois des gens volent des morceaux de plante pour en faire une bouture. Une personne a déjà dû filer aux urgences après avoir coupé une branche et reçu une goutte de sève toxique dans l’œil! Ou, par inattention, des visiteurs marchent dans une plate-bande de sélaginelles et donc on doit faire disparaître leurs empreintes. En journée aussi, j’effectue un tour si nécessaire et je réponds aux éventuelles questions de visiteurs.

Faites-vous des visites guidées?

Oui mais pour des associations et institutions avec lesquelles le domaine collabore au niveau botanique. On crée des liens avec différents instituts à l’étranger et en Belgique pour développer, partager nos connaissances, expériences, échanger des spécimens. Par ailleurs, j’accompagne depuis plus d’un an des experts de Natagora dans le domaine. L’association vient faire des écoutes et identifications d’oiseaux, pour dresser un inventaire. Cette étude nous permet de connaître la biodiversité ici afin de mieux la protéger. Une nuit, on a repéré quatre couples de chouettes hulottes!

Des nouveautés pour les visiteurs?

On a renouvelé le jardin français mais je laisse la surprise! L’atelier de la Reine Elisabeth ayant été restauré, on en a profité pour réaménager le jardin l’entourant, on a changé des décors dans les serres... Ce qui est magnifique dans ce métier, c’est qu’on travaille avec du vivant! On n’a donc jamais deux fois la même chose. L’élagage des palmiers donne l’impression de nouvelles plantes, d’une nouvelle serre.

Le cadre architectural, féerique, me donne une énergie incroyable! Je suis émerveillé par la beauté et le poids historique des lieux. Oui, je suis fier de ma petite Belgique! Les jardiniers essayent de créer des atmosphères dans chaque serre. On emmène le visiteur en voyage, hors de Belgique et hors du temps… C’est poétique! Le parcours du visiteur n’est pas vraiment modifiable pour des raisons de sécurité puisqu’on est dans le parc de la résidence du chef de l’Etat. Chaque année, on a des problèmes d’incivilité: déchets le long du chemin, sorties des zones autorisées, etc. On a déjà eu une famille qui a étalé sa nappe de pique-nique sur la plaine à l’entrée...

Qu’en est-il de l’aspect écologique du domaine royal?

Au niveau du chauffage, nous sommes 100% vert depuis 2021. Tout le domaine, y compris le château, profite de la chaleur résiduelle de l’incinérateur de Neder-Over-Heembeek. On économise environ 250.000 litres de mazout par an! Quant à l’arrosage, l’eau provient des étangs du parc.

Quelles sont ici les répercussions du changement climatique?

Les cerisiers du Japon ne seront hélas plus en fleurs pour le public. Comme partout en Région bruxelloise, on craint que d’ici quelques années, nos beaux gros hêtres ne seront plus dans les conditions climatiques d’épanouissement. Ces arbres ont besoin de sept jours de gel par an pour être complètement en dormance. S’ils continuent à dépenser de l’énergie pendant ces jours, ils mourront… Vous imaginez la forêt de Soignes sans hêtres? Dans les serres, on peut ventiler et les espèces devraient résister à 35-40°C. Mais le réchauffement impacte la période de floraison des azalées.

Des exemples de végétaux rares à admirer?

On a un Wollemia nobilis, un résineux d’Australie commun à l’époque des dinosaures. Quelque 200 individus découverts, en 1996, dans une vallée encaissée ont été disséminés dans des arboretums du monde entier pour protéger l’espèce. Par ailleurs, j’aime les canneliers: c’est surprenant que la cannelle, une épice agréable et typiquement tropicale, se trouve chez nous! Dans le parc, on a le «Survivor Tree», un poirier ornemental qui a survécu aux attentats du 11 septembre 2001 et qui a été offert au Roi par le maire de New York. Il y a aussi nos vénérables orangers, plus vieux que la Belgique! La serre Jardin d’Hiver est ma préférée car j’y retrouve des plantes que j’ai connues gamin en Afrique. Souvenirs, souvenirs… Pour ses 150 ans, elle subira bientôt un grand lifting de ses structures métalliques abîmées par le temps. Cette serre, une des plus grandes d’Europe, accueille souvent des invités de prestige de la famille royale.

La plante préférée de la reine est l’Abutilon megapotamicum, pour ses couleurs belges. – Jean-Yves André

Quelles sont vos relations avec le Roi et la Reine?

Très bonnes! Les souverains me demandent des conseils quand ils ont des idées de plantations dans le domaine… On fait ensemble un tour des serres avant l’ouverture au public et, au besoin, je modifie l’une ou l’autre petite chose. Ils sont tous les deux passionnés de botanique. Connaissez-vous la plante préférée de la Reine Mathilde? L’Abutilon megapotamicum car les fleurs évoquent le drapeau belge!

Etes-vous incollable sur les espèces?

Ah non, je suis fort collable! Je vous ai sorti quelques noms en latin pour faire bien. (rires) Mais j’essaye à chaque tour d’en apprendre un peu plus.

Que penserait Léopold II de ses serres aujourd’hui?

Bonne question! On constate son côté pointilleux, son souci de la perfection, en observant les détails dans la ferronnerie des serres notamment. Je pense qu’il dirait: «C’est pas mal mais on peut faire mieux et plus.» J’accepte cette critique car il y a toujours moyen d’améliorer… On chouchoute particulièrement les camélias, la plante préférée de Léopold II. A l’époque, il devait y avoir beaucoup plus de jardiniers ici. Donc avec les moyens actuels à disposition, oui, c’est pas mal! Léopold II voulait que ce somptueux patrimoine soit préservé et ouvert au public. Mission accomplie!

Jean-Yves André

– 1973: Naissance à Kigali
– 1991-1996: Etudes d’agronomie à Louvain-la-Neuve
– 1998-2000: Première expérience à la donation royale, au domaine de Ciergnon
– 1999: Mariage avec Anne-Sophie ; quatre filles
– 2000-2016: Technico-commercial dans une société de maintenance industrielle, notamment au Moyen-Orient
– 2016-2022: Régisseur-adjoint puis régisseur du domaine royal de Laeken.

Ouverture des serres royales du 26/4 au 20/5. Prix: 6 €. Réservations via www.koninklijke-serres-royales.be.

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