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Apprendre à gérer sa paperasse numérique

On reçoit de plus en plus de documents électroniques, ce qui peut vite devenir un casse-tête. Combien de temps et où conserver ces données? Et vos héritiers auront-ils accès à ce patrimoine digital ou disparaîtra-t-il avec vous?

« De plus en plus d’organismes communiquent via emails pour l’envoi de leurs factures ou documents officiels, nous écrit Lydia, une lectrice. Faut-il les imprimer ou les enregistrer sur un ordinateur? Que se passe-t-il si votre machine rend l’âme ou si on n’a plus accès à ces données? Et puis, au temps du papier, des délais spécifiques de conservation avaient été fixés, qu’en est-il exactement aujourd’hui? »

Ce type d’interrogations légitimes, nous en recevons de plus en plus. Nous avons donc décidé de refaire le point sur toutes ces paperasseries numériques, pour ne pas écrire sur ces tracasseries. D’autant qu’avec la réforme du Code civil entrée en vigueur au 1er janvier dernier, la communication par courrier électronique est légalement reconnue comme une notification juridiquement valable. La première question à laquelle il faut répondre c’est: comment conserver ces documents à l’ère digitale? Il n’y a pas de réponse toute faite et cela demande encore du temps et de l’organisation, tout comme à l’époque (pas totalement révolue) des bons vieux classeurs...

Disposer de deux copies de sauvegarde

Les différents spécialistes que nous avons interrogés sur la question tiennent notablement le même discours. « Pour prévenir ces risques, il est essentiel de toujours disposer de deux copies de sauvegarde de vos données et de les conserver sur des supports différents. Même si vous optez pour le stockage en ligne (le cloud), vous n’aurez jamais une garantie totale contre le piratage ou la perte du service. Et ce, malgré toutes les déclarations rassurantes que vous pouvez entendre. En réalisant deux sauvegardes sur des supports différents (clé USB, ordinateur), à des endroits différents, il est peu probable que les deux dispositifs ne fonctionnent plus simultanément. Et puis rien ne vous empêche de toujours garder une copie papier dans un classeur. »

Papier ou numérique?

Désormais, la loi permet de conserver toute une série de documents sous forme digitale sans qu’ils ne perdent de leur valeur juridique. Le mode de conservation doit néanmoins permettre de garantir l’authenticité de leur origine et l’intégrité de leur contenu. « Ceci implique que vous devez éviter toute manipulation éventuelle des documents », explique-t-on au SPF Finances. Pour ce faire, vous pouvez réaliser une copie numérique à l’aide d’applications Office Lens, Cam Scanner ou Genius Scan.

Nous apporterons cependant un petit bémol à cette affirmation selon laquelle le « bon » digital vaut désormais son original papier. Ainsi, on peut lire sur le site des Archives de l’État « qu’il importe de rester prudent (...) votre administration doit réaliser une évaluation de la valeur juridique des documents qu’elle numérise ou qu’elle destine à la numérisation. Pour les documents disposant d’une valeur juridique (arrêtés, contrats de travail, contrats, etc.), il sera prudent de conserver les documents papier originaux. » Des problèmes en termes de validité ou de valeur probante peuvent en effet se poser, car le scan pourrait n’être considéré que comme une copie d’un point de vue juridique. Bref, dans le doute, conservez toujours vos originaux papier.

Débrouillez-vous!

Les sauvegardes, c’est bien beau, mais certains rétorquent « Même si j’ai un ordinateur, une tablette ou un GSM, je n’ai jamais trouvé quelqu’un pour apprendre à vraiment m’en servir. »

Si, pour certains, l’utilisation de l’archivage électronique est comme une évidence, d’autres doivent se faire aider à une époque où on supprime toutes les opérations manuelles et les contacts humains, tout en disant ensuite aux gens: « C’est comme ça et maintenant débrouillez-vous! ». Le déclassement numérique est une réalité et nous vous invitons d’ailleurs à lire sur le sujet l’article « Se passer de smartphone? Mission (presque) impossible ». De fait, communiquer via internet, copier et sauvegarder des fichiers, utiliser des logiciels ou des applications, ce n’est pas donné à tout le monde.

Communiquer via internet, copier et sauvegarder des fichiers, utiliser des logiciels ou des applications, ce n’est pas donné à tout le monde.

Et même quand on se débrouille, il faut cerner certaines logiques. Penons l’eBox. Théoriquement tout Belge peut accéder à son eBox, car c’est la plateforme qui permet de centraliser tous les documents officiels envoyés par les institutions publiques du pays. La procédure n’est pas toujours simple à comprendre. Vous recevez par exemple un message du SPF Finances envoyé à l’eBox. Il s’agit en réalité d’un document PDF indiquant qu’il faut se rendre sur la plateforme en ligne MyMinFin pour consulter un avertissement-extrait de rôle! Vous nous suivez? Vient alors parfois une autre étape à franchir. Pourquoi est-ce que je ne parviens pas à ouvrir les lettres dans mon eBox? Ou: j’ai un problème pour m’identifier. Pour pouvoir consulter le courrier contenu dans votre eBox, le programme Acrobat Reader doit être installé sur votre ordinateur. Et pas dans une version pas trop ancienne.

Le problème de l’archivage

L’accès à votre eBox est par ailleurs personnel et sécurisé, personne d’autre ne peut y accéder. Mais souvent, les utilisateurs moins aguerris donnent leurs accès numériques à une ou plusieurs personnes de confiance, à leurs enfants par exemple. Vient alors la délicate question de la dépendance, alors que la plupart de ces personnes savaient gérer seules ou en couple leur administratif auparavant.

Ce n’est pas fini. Quand les obstacles de compétence, d’accès numérique et de comptabilité informatique sont levés, vient alors la question essentielle de l’archivage des documents que vous avez reçus. Vous apprendrez alors que les documents disponibles dans Mye-box.be ne sont consultables que pendant une certaine période qui est propre à chaque document et qui varie de un mois à trois ans. Et on vous conseillera « de télécharger vos documents au fur et à mesure, au besoin. »

Il existe cependant certaines exceptions: le Service fédéral des pensions a décidé de garder ses documents disponibles dans l’eBox à tout moment.

Notons que chez Doccle, la plateforme administrative qui permet de recevoir des documents de diverses sociétés ou administrations et d’effectuer des paiements depuis votre ordinateur, les données sont conservées dans vos archives pendant au moins sept ans ou plus si la loi l’exige.

Les délais de conservation des documents d’un défunt

Selon les notaires, il est recommandé de conserver à vie les testaments, les donations, ainsi que tout autre acte notarié et document lié à une succession. Cela permet d’éviter les conflits entre les héritiers. Il est également préférable de conserver indéfiniment des documents tels que le livret de mariage ou une convention de divorce.

Quant aux factures des services publics tels que l’eau et l’électricité, elles doivent être conservées pendant une durée de 5 ans. Car les entreprises ont le droit de réclamer tout éventuel montant dû aux héritiers jusqu’à 5 ans après le décès. Il est également recommandé de conserver les documents bancaires, les contrats de travail et les fiches de paie du défunt pendant au moins 5 ans.

Vos héritiers connaissent-ils vos mots de passe?

Avec l’avènement du digital, se pose aussi la question de la transmission de ces documents. Avant, si la personne était organisée, tout était rassemblé dans une armoire, des caisses ou plusieurs classeurs. Mais aujourd’hui, est-ce que vos héritiers auront accès à toutes les informations de votre patrimoine digital après votre décès?

C’est pourquoi, depuis 2021, les notaires proposent un coffre-fort numérique appelé Izimi, accessible à tous. Les actes notariés y sont conservés et vous avez la possibilité d’y conserver autres documents. Mais vous pouvez surtout choisir ce qu’il adviendra du contenu de votre coffre-fort digital après votre décès.

L’accès à votre eBox est personnel et sécurisé, personne d’autre que vous ne peut y accéder.

Le transfert de son contenu est organisé par un notaire vers tous les héritiers, à leur initiative. Si Izimi stocke en toute sécurité des documents numériques importants comme les passeports, diplômes, documents immobiliers, actes de crédit, contrats d’assurance, il permet aussi de laisser des informations qui ne sont pas strictement liées à l’argent, mais considérées comme confidentielles. On pense aux documents sur ordinateurs, aux emails, aux mots de passe de comptes ainsi que les profils sur les réseaux sociaux comme Facebook.

Combien de temps faut-il garder des documents?

En matière de délais, il n’y a pas de différence entre format papier ou numérique.

  • Les factures, 10 ans: Pour le SPF Finances, vous devez conserver toutes les factures et copies de factures pendant 10 ans à partir du 1er janvier de l’année qui suit leur date d’émission.
  • Les contrats d’assurance, 10 ans et plus: Une victime peut déposer une demande d’indemnisation à son assureur dans un délai de 10 ans pour les RC automobiles ou les familiales à compter du moment où elle a été notifiée qu’elle pouvait introduire cette demande. Selon Assuralia, il est donc raisonnable de conserver vos documents pendant plus de 10 ans. Mais certaines assurances sur la vie courent jusqu’au décès. Il faut dès lors conserver les contrats d’assurance à vie.
  • Les fiches de paie, 10 ans et plus: Les fiches de paie mensuelles doivent être conservées minimum dix ans. Mais, pour le calcul de votre pension, il vaut mieux vaut garder le récapitulatif annuel de votre salaire jusqu’à la retraite, tout comme l’extrait annuel du Service fédéral des Pensions avec vos données salariales.
  • Documents de déclaration fiscale, 10 ans: Si le délai ordinaire de contrôle de la déclaration fiscale est en principe de 3 ans, ce délai peut être porté à 10 ans en cas de suspicion de fraude ou de déclaration complexe. Il ne s’agit pas seulement de garder une copie de votre déclaration fiscale, mais également les documents requis pour justifier vos déclarations fiscales, comme les fiches de paie, les factures, les attestations et les extraits bancaires.
  • Les documents à garder à vie: Vous devez garder à vie tous les documents officiels comme votre acte de naissance ou d’adoption, vos documents de mariage et de divorce, les actes passés devant le notaire, les diplômes... Vous devez aussi garder à vie tous les documents qui concernent les travaux entrepris dans une habitation, c’est particulièrement utile en ces temps d’infractions urbanistiques et de performances énergétiques.

« Pas d’extraits de compte, moins d’héritage »

Dans les obligations des banques belges, il y a celle de maintenir à disposition (service payant) les extraits de compte numérique durant une durée de 10 ans. Cela correspond à la prescription légale. Et après 10 ans? Les ennuis peuvent commencer pour certains citoyens comme en témoigne un lecteur.

« Je savais que mon frère avait reçu une belle somme d’argent de ma mère, mais au décès de maman, impossible de mettre la main sur les extraits de compte le prouvant. Je soupçonne mon frère de les avoir fait disparaître. Alors, pour une question d’équité en matière d’héritage, tant pour ma soeur que pour moi, j’ai demandé à la banque une copie des extraits de compte.

Comme mon frère avait reçu cet argent, il y a environ 12 ans, il m’a été répondu que les extraits n’étaient plus archivés après... 10 ans! Pas moyen d’en retrouver la trace. Tout le monde savait autour de la table du notaire que mon frère avait reçu une somme importante, mais c’était à nous d’en apporter la preuve. Impossible de le faire malgré la digitalisation des archives tant vantée ici et là. Je n’ai qu’un conseil à donner suite à cette mésaventure, c’est de demander et de conserver, dès le départ, un maximum de preuves en plusieurs exemplaires, tant en version électronique que papier. »

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