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Chômage avec complément d’entreprise, à jeter?

Lorsqu’on est en régime de chômage avec complément d’entreprise (RCC), on reste disponible sur le marché du travail. Sous la houlette de Stijn Baert, économiste du travail, des chercheurs de l’UGent ont démontré à quel point ce système de transition laisse à désirer.

La presse a abondamment commenté cette étude universitaire et l’encre n’avait pas encore séché que divers partis politiques annonçaient déjà être contre le Régime de chômage avec complément d’entreprise (RCC). Un discours qui n’a rien de neuf et n’est pas dénué de cynisme, comme l’explique Stijn Baert, économiste du travail.

C’est la énième mesure inutile, affirmez-vous...

Stijn Baert: La raison pour laquelle je plaide pour une annulation du RCC, c’est que certains s’en servent pour chasser du marché de l’emploi des travailleurs qui ont encore toutes les raisons d’y rester. A l’origine, on a créé la prépension pour que les travailleurs les plus âgés laissent la place aux jeunes et ainsi réduire le nombre de jeunes au chômage. Mais ce système est devenu obsolète. Il ne faut pas non plus oublier la nécessité de faire en sorte que notre sécurité sociale reste viable. Travailler plus longtemps est un moyen d’y parvenir. Or, le RCC envoie un mauvais signal. En Belgique, le taux d’emploi est trop bas chez les 55-64 ans. Cela s’améliore un peu, mais c’est encore médiocre!

J’ai en effet affirmé que le RCC était la mesure de trop. On dispose déjà de la pension anticipée, moyennant des conditions d’âge et de carrière. Pourquoi fallait-il en plus le RCC? Certes, là aussi il faut répondre à des conditions d’âge et de carrière, mais on ne compte pas les exceptions à la règle qui dit qu’on a droit à un RCC à 62 ans après une carrière de 40 ans pour un homme et de 39 ans pour une femme (à l’heure actuelle).

Avec le RCC, la personne reste disponible sur le marché de l’emploi, et cela relève de la compétence des entités fédérées. Vous vous êtes penché sur la remise au travail des personnes en RCC en Flandre, et ça ne fonctionne pas bien...

Sur les 6.287 personnes en RCC inscrites comme demandeuses d’emploi en février 2022, seules 39 avaient retrouvé un travail un an plus tard. Nous avons donc cherché à savoir si les employeurs renâclaient à engager une personne en RCC, mais apparemment non. Etre en RCC ne réduit les chances ni de décrocher un entretien d’embauche, ni de se faire embaucher par rapport à quelqu’un qui serait du chômage classique, à âge et durée de chômage comparables. Par rapport à ceux qui chôment depuis deux ans ou plus, les travailleurs en RCC ont même davantage d’opportunités. Les employeurs se disent sans doute que ceux-ci seront plus souples, voire plus motivés.

On est donc tenté de penser que si ce système fonctionne mal, c’est à cause des personnes en RCC elles-mêmes ou du Forem ou du VDAB chargés de les remettre dans le circuit. Comme ils ont moins besoin de retrouver un emploi que les chômeurs « classiques », cela explique peut-être qu’ils postulent moins. Mais on a constaté que le VDAB, par exemple, cherche très peu à replacer les personnes en RCC par rapport aux autres chômeurs.

Un employeur recrutera peut-être plus facilement une personne en RCC qu’un chômeur classique, mais l’âge ne reste-t-il pas un gros critère de discrimination sur le marché du travail?

Il est en effet difficile de retrouver du travail passé 50 ans. Quand on pense diversité, on songe d’abord à la couleur de peau ou aux quotas de femmes, mais dans nos sociétés l’âge est un critère bien plus discriminant que le genre.

Par rapport à ceux qui chôment depuis deux ans ou plus, les travailleurs en RCC ont même davantage d’opportunités... STIJN BAERT

Votre étude n’indique pas que les gens en RCC forment un groupe de candidats convoité par les employeurs. Elle dit seulement qu’ils semblent avoir plus d’opportunités par rapport aux chômeurs classiques, à durée de chômage équivalente...

C’est, en effet, contradictoire. D’un côté les employeurs disent à l’Etat: aidez-nous à embaucher! En même temps, ils donnent très peu de chances à des gens qui ne manquent pourtant ni de talent, ni d’expérience... Pour moi, les employeurs font preuve de cynisme et manquent de droiture. D’un côté, on critique beaucoup le RCC et, d’un autre, les entreprises ne se privent pas de restructurer. Ce n’est pas très logique.

Les entreprises se servent trop souvent du RCC comme d’un lubrifiant pour faire passer une restructuration. Elles ne se montrent pas toujours logiques et les gouvernements ne sont pas clairs. On a besoin de plus de clarté et de franchise! Même si je n’approuve pas, j’apprécierais qu’on on ose dire: on opte pour ce régime de chômage avec complément et on va même y aller à fond.

Le Forem, Actiris et leVDAB pourraient-ils améliorer les choses?

Ils devraient pouvoir fonctionner de manière bien plus efficace dans la recherche d’un rapprochement entre un candidat au travail et un employeur. L’année passée, 1,7% des personnes en RCC seulement ont été invitées par le VDAB à un entretien de demande d’emploi. C’est insuffisant! Il faudrait rechercher plus d’emplois correspondant aux compétences des candidats, et éventuellement sanctionner.

On affirme souvent que si on devait arrêter les systèmes de RCC et de pension anticipée, cela ne ferait qu’augmenter les arrêts maladie longue durée. Qu’en pensez-vous?

Il est vrai qu’on compte aujourd’hui environ 18.000 personnes en RCC et près d’un demi-million en arrêt maladie longue durée. On pourrait les surveiller et punir si nécessaire, mais il est tout aussi important de guider les gens dans un esprit de prévention. Ces derniers temps, pas mal d’efforts ont été consentis pour la réintégration au travail. Les travailleurs doivent pouvoir se sortir d’une période de maladie et réintégrer le monde du travail. C’est ainsi qu’on pourra en finir avec le principe des vases communicants. Il faut considérer l’assurance maladie et la pension dans leur ensemble.

Ce qui nous amène à l’ergonomie au travail et aux emplois pénibles. Tout le monde ne peut pas travailler aussi longtemps. N’est-ce pas la clé du problème?

On a loupé le coche en 2014, lorsqu’une commission d’experts, dont faisait partie, entre autres, Frank Vandenbroucke, avait fait une proposition de réforme des pensions. Ces experts avaient imaginé un système à points. A l’époque, il n’était pas très belgo-belge de prévoir une réforme allant aussi loin. Solidarité, justice, lien plus étroit entre travail et épargne-pension... tout est là.

Que pensez-vous d’un système qui amènerait les gens à réduire progressivement leur temps de travail? Ils resteraient sur le marché de l’emploi mais avec des plages de respiration, puisqu’ils toucheraient une compensation pour les jours non-prestés?

A première vue, cela paraît très bien, mais des études ont démontré que ce n’est pas si simple. Ceux qui renoncent à un temps plein sont, semble-t-il, vite tentés de cesser de travailler. Je préfère l’idée d’un échange des droits à la pension entre conjoints. Il n’est pas rare qu’au sein d’un couple, on règle le moment de sa pension en fonction de la fin de carrière de l’autre. Cela reviendrait à faire en sorte qu’un des conjoint, l’aîné, continue à travailler un peu plus longtemps et fasse bénéficier l’autre conjoint d’une partie de ses droits à la pension.

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