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Quand la banque clôture votre compte

Du jour au lendemain, si vous ne pouvez pas justifier certaines sommes d’argent, « on » peut légalement bloquer vos comptes. C’est une des conséquences des lois anti-blanchiment.

Si votre banque vous demande des informations sur certains de vos mouvements d’argent, ne le prenez pas mal, c’est la procédure. Elle est même obligée de le faire...

Il y a ces liasses retrouvées « sous le matelas » après un décès. Ou encore ces bijoux de valeur qui n’ont pas été déclarés dans la succession, mais dont le produit de la vente sera très difficile à ramener sur un compte en banque. Les raisons pour lesquelles les citoyens veulent blanchir de l’argent sont en réalité nombreuses. Reste que votre banquier risque de vous demander des comptes et de clôturer les vôtres au moindre soupçon!

« Il n’y a pas que les grosses sommes versées en une fois qui posent problème, nous explique un banquier. Chez nous, les signaux sont passés au rouge lorsqu’une dame a versé plus de 80 fois du cash en un an, des sommes d’environ 500 ?. J’ai aussi ce père qui veut donner 100.000 ? à sa fille, mais il ne veut pas entendre parler de donation. Elle va se retrouver dans l’embarras. La banque doit pouvoir prouver à l’État que l’argent qui entre et qui sort est blanc. Ce sont aussi des mesures contre le financement du terrorisme. S’il n’y a pas d’explications satisfaisantes à certains mouvements d’argent, et que la banque suspecte une fraude, elle mettra un terme à la relation avec son client. C’est même prévu dans les conditions générales. »

Désignons aussi les rapatriements d’argent: des personnes qui ont un compte à l’étranger et qui n’ont jamais « pensé » à le déclarer. Mais avec l’échange international de données bancaires, le fisc est mieux renseigné sur les avoirs des Belges détenus à l’étranger.

1,9 milliard d’argent gris

Il faut bien entendu évoquer tous les revenus générés par le travail au noir. Mais certains dossiers mènent à des mesures disproportionnées et à l’exclusion financière de certains groupes d’indépendants. Les banques excluent a priori les entreprises actives dans le diamant, les cryptomonnaies, les jeux de hasard ou le commerce avec le continent africain et même parfois celles présentes dans la vente de véhicules d’occasion. Conséquences? Il y a environ deux ans, un indépendant a empêché l’entrée d’une agence bancaire avec sa camionnette. La raison de son courroux: ses comptes étaient bloqués.

En 2022, Ombudsfin, le médiateur des services financier, a enregistré 226 plaintes recevables relatives à la clôture de la relation bancaire. Mais tout le monde ne conteste pas les décisions. En 2020, les établissements de crédit ont déclaré près de 17.700 opérations suspectes à la CTIF, la Cellule de traitement des informations financières de l’État: soit 1,9 milliard d’euros!

Limiter l’utilisation des espèces

Les banques ont légalement la possibilité de mettre fin à une relation avec un client de manière unilatérale et sans motivation. Cela peut s’expliquer par des comportements inadéquats de clients, comme de l’agressivité et des injures à l’égard des employés. Mais cela permet surtout aux institutions bancaires « de respecter leurs obligations de vigilance reprises dans la loi de 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l’utilisation des espèces », détaille-t-on chez Ombudsfin. On parle alors de de-risking, le fait de mettre fin à la relation bancaire avec un client. Ces dispositions imposent aux banques d’en référer à la CTIF.

Les banques agissent alors comme des auxiliaires de police, souvent malgré elles, pour se caler sur les obligations de conformité imposées par des directives européennes. Si elles ne le font pas, les amendes peuvent atteindre jusqu’à 10% du chiffre d’affaires annuel de l’institution financière. ING aux Pays-Bas a dû payer, en 2018, une amende colossale de 755 millions d’euros!

Sans compte, la situation devient catastrophique

Reste toutes ces personnes qui, de bonne foi mais ne sachant pas la prouver, se sont retrouvées dépourvues de tout compte bancaire. Une situation qui peut s’avérer catastrophique. Il va de soi qu’un compte en banque est indispensable à tout citoyen pour recevoir son salaire ou sa pension et à n’importe quelle entreprise pour fonctionner.

Par ailleurs, quand on est exclu d’une banque, il devient très compliqué d’en trouver une autre. La méfiance règne. Certes, une entreprise qui s’est vue refuser par au moins trois établissements de crédit une demande d’ouverture a droit au service bancaire de base. Mais, durant des mois, les arrêtés d’exécution pour mettre en oeuvre ce service de base se sont fait attendre, laissant du monde sur le bord de la route.

« La loi est désormais flanquée de l’arrêté d’exécution que tout le monde attendait (daté du 16 décembre 2022, en vigueur depuis mi-janvier 2023), explique Gilles Laguesse avocat spécialiste en droit bancaire. Les premières demandes d’obtention du service bancaire de base ont été soumises à la Chambre du service bancaire de base, conformément à la loi et à l’arrêté royal. Nous attendons de voir les effets de cette mesure que l’État belge, enfin, a pris pour corriger la situation d’exclusion bancaire dont il est effectivement le premier responsable. »

Que faire en cas de clôture unilatérale de comptes?

Le client n’a en réalité pas de recours, si ce n’est de régulariser sa situation en fournissant des justificatifs à sa banque avant une clôture définitive.

Quand il s’agit d’argent « injustifiable », le client devra contacter le Point de contact-régularisations du fisc. Mais attention, si une quatrième période de régularisation fiscale a débuté en 2016, elle s’achèvera le 31 décembre 2023. À partir de 2024, et sauf décision politique d’ici là, on ne pourra plus rien régulariser.

Bien entendu, ce blanchiment de l’argent gris ou noir a un coût. Il faut par exemple payer les précomptes mobiliers éludés. Mais il faut surtout, pour les revenus non prescrits fiscalement, subir une amende de 25% du montant régularisé. Pour le capital prescrit fiscalement, le prélèvement grimpe même à 40%.

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