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Burn out: ça peut arriver à tout le monde

Certains spécialistes prédisent une épidémie de burn out à venir. En cause? La pandémie, mais pas seulement. Décrypter les facteurs déclenchants permet d’agir avant qu’il ne soit trop tard!

En 2020, 33.402 personnes ont été absentes plus d’un an au travail à cause d’un burn out, un chiffre en constante augmentation ces dernières années. Impossible de dire, à l’heure actuelle, si la situation s’est fortement dégradée en 2021 et 2022. « Pour le moment, la hausse des cas de burn out n’a été observée que dans le secteur des soins de santé, mais il n’est pas interdit de penser que l’épuisement professionnel se développe ailleurs, même si les conséquences ne sont pas encore perceptibles, estime le Dr Serge Goffinet, psychiatre et président du Réseau Burnout. Avec la pandémie, beaucoup de gens se sont accrochés à leur boulot, se sont mis à travailler plus alors qu’ils travaillaient déjà trop. »

Théoriquement, le stress est quelque chose de positif... tant qu’il ne devient pas chronique!

C’est que le burn out est avant tout une maladie professionnelle, liée au travail. « Bien sûr, il faut prendre le terme de travail dans son acception la plus large, celle d’un labeur, pas obligatoirement un job en CDI, tempère Serge Goffinet. Techniquement, le burn out est une décompensation souvent brutale, un épuisement suite à l’exposition à un stress chronique d’origine professionnelle. Un stress inadéquat, prolongé et soutenu. Il se caractérise par une fatigue extrême, accompagnée d’un sentiment de dépersonnalisation, comme si on était un robot, de non-accomplissement au travail et d’une perte d’efficience. La personne se sent vidée de son énergie vitale. »

Le stress initial peut avoir de nombreuses origines: une surcharge de travail, un harcèlement, une mise sous pression ou encore une inadéquation entre les tâches à effectuer et les valeurs du travailleur, qui entre alors inconsciemment en résistance. « Un simple changement d’environnement ou de conditions de travail peut suffire », souligne Benoît Evrard, coach spécialisé dans le traitement de l’épuisement professionnel.

Taper sur le même clou

Mais il serait réducteur de limiter les facteurs déclencheurs du burn out à la vie professionnelle. « La parenté des mécanismes biologiques de l’anxiété et du stress est très étroite, détaille le Dr Goffinet. Votre organisme ne fait pas la différence entre stress professionnel et anxiété dans votre vie personnelle. C’est un peu comme si vous tapiez sur un même clou avec deux marteaux différents. Si vous êtes à cran au travail et que vous rajoutez des facteurs anxiogènes dans votre vie personnelle, les effets vont se cumuler... »

Or, c’est peu de dire que nos conditions de vie ont été solidement bousculées ces deux dernières années. Qui aurait cru que la plupart de nos certitudes, de nos habitudes, voleraient en éclat en si peu de temps? La pandémie à rallonge a considérablement changé l’organisation du quotidien. Après avoir dû organiser le télétravail dare-dare, voilà qu’il faut désormais bien souvent composer avec un « rythme semi-présentiel » et s’adapter en conséquence. Mais ce n’est pas tout: l’actualité réveille tout à coup le spectre de la Guerre Froide et nous rappelle violemment que l’énergie a un prix. Des actes aussi banals que se chauffer ou choisir un nouveau véhicule deviennent de véritables casse-têtes où il faut comparer, démarcher, s’informer.

Dans un autre registre, le réchauffement climatique est désormais palpable. Les inondations de l’année passée restent dans les mémoires: il va désormais falloir prendre en compte les perturbations environnementales dans l’équation de nos vies. Ajoutez à cela des problèmes spécifiques à la génération « sandwich », priée d’aider parents et descendants: il faut garder les petits-enfants le mercredi après-midi, se porter garant pour l’emprunt hypothécaire du fiston, s’assurer que la maman conserve une bonne qualité de vie en maison de repos (les conditions déplorables de certaines institutions, mises en avant dans de récents reportages, n’incitent plus à la confiance aveugle! ). N’en jetez plus, la coupe est pleine! Difficile, parfois, de résister à une angoisse sourde et de savoir où donner de la tête dans sa vie privée. Là aussi, l’angoisse et la sensation d’épuisement guettent. Et pourraient être impliquées dans le déclenchement d’un burn out.

Burn out: ça peut arriver à tout le monde
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« Théoriquement, le stress est quelque chose de positif, puisqu’il nous permet d’être aux aguets face à un danger, rappelle Benoît Evrard. Notre corps lâche des hormones spécifiques, avant un retour à la normale. Or, dans le cas du burn out, le stress devient chronique et provoque un cercle vicieux. Le déséquilibre hormonal s’installe, consomme de l’énergie, ce qui nous fatigue. Notre capacité de résistance au stress et notre confiance en nous diminuant avec l’épuisement... On finit par craquer. »

Repérer les voyants

Lorsqu’un burn out se déclenche, c’est un peu comme si l’organisme était une voiture dont le bloc moteur explosait. La réparation est possible, mais s’avère longue et compliquée. Avant d’en arriver là, le plus souvent, de petites alarmes s’allument sur le tableau de bord (lire encadré). Il est important d’apprendre à décrypter ces signes avant-coureurs. Ceux-ci se caractérisent initialement par des troubles du sommeil et de « petits bobos »: tensions dans le dos, maux d’estomac, de tête... À cela s’ajoutent une humeur changeante, des problèmes relationnels, une sensation de perte de compétence ou de motivation, une déshumanisation... « Se sentir aussi fatigué au retour de vacances qu’à l’aller est aussi un bon indicateur », estime le coach.

Le processus du burn out s’accompagne le plus souvent d’un déni du problème.

De l’aide, il y en a

Il existe quelques conseils, simples en apparence, à appliquer pour limiter les risques. Cantonner sa consommation d’actualités à une fois par jour, par exemple, pour limiter l’apport en informations anxiogènes. Se forcer à des pensées positives et les noter chaque jour dans un cahier, histoire de ne pas focaliser l’attention du cerveau que sur du négatif. Se fixer des limites, au travail mais aussi dans sa vie privée (« Mais au fond, où s’arrête mon rôle de mère/de fille, de père/de fils? »). « Il est aussi essentiel de trouver un équilibre au quotidien entre les différents secteurs de votre vie: votre vie professionnelle, votre vie affective et sociale, votre corps, votre vie spirituelle et philosophique, conseille le Dr Goffinet. Seul cet équilibre délicat vous assure une certaine résilience. Si vous placez tout dans le travail, il vous sera impossible de puiser dans vos autres ressources pour compenser. » Plus facile à dire qu’à faire? « Il y a des impondérables professionnels, je le reconnais, mais à un certain point, c’est la personne elle-même qui s’enferme dans le travail. Il y a toujours moyen de trouver un espace, aussi petit soit-il, pour y mettre autre chose. »

Faute de pouvoir se dépêtrer tout seul, il est parfois plus simple de chercher l’aide là où elle existe. « Il existe une réglementation bien-être au travail, témoigne Benoît Evrard. Dans chaque entreprise, il doit y avoir un service de prévention interne ou délégué à une société externe, à laquelle l’entreprise est affiliée. Les personnes qui y travaillent sous soumises à une stricte confidentialité. Donc, il ne faut pas hésiter! Dans certaines sociétés, il existe aussi des « personnes de confiance » spécialement formées. Leur coordonnées sont le plus souvent affichées aux valves... »

Mais s’il fallait ne souligner qu’un conseil, ce serait celui-ci: il faut oser s’avouer que quelque chose ne va pas. « Le chemin du burn out s’accompagne le plus souvent d’un déni, et c’est à cause de ce déni qu’on va trop loin, met en garde le coach. Osez aller voir votre médecin traitant et écoutez ce qu’il vous dit de faire, même si c’est dur à accepter. S’il vous dit qu’il faut vous arrêter deux semaines pour prendre du repos, ne lui répondez pas « Oui, mais on a besoin de moi au boulot, je vais prendre du retard et mes collègues vont devoir me remplacer. ». Si vous tirez trop sur l’élastique, il va se briser. Et ce jour-là, ce ne sera pas deux semaines d’arrêt qu’il vous faudra. Mais des mois. »

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« Soudain, je suis descendu du train en rase campagne »

« Je crois que c’est presque impossible de raconter son burn out à quelqu’un qui ne l’a pas vécu, explique Rémi (prénom d’emprunt), 54 ans. Je n’aime pas trop en parler. Au départ, c’est comme si vous étiez emporté dans une spirale folle de brouillard: vous n’arrivez plus à réfléchir correctement au travail. Vous savez que ça ne va plus mais, malgré tout, vous continuez, malgré le stress, la fatigue et votre efficacité qui semble plonger. Et puis boum, c’est comme si votre cerveau et votre corps coupaient le disjoncteur. Brusquement, un matin, en partant au travail, je suis descendu du train à un arrêt en rase campagne. Je suis resté assis sur le quai. Longtemps. Impossible de remonter dans un wagon, je bloquais totalement. En pleurs, j’ai fini par téléphoner à ma femme pour qu’elle vienne me rechercher et je me suis couché, persuadé que je n’arriverais plus jamais à sortir de mon lit. à ce moment, le moindre effort, même se faire une tartine, semble impossible. J’ai mis du temps à me reconstruire. Cela fait deux ans aujourd’hui et j’envisage seulement à recommencer à travailler. En septembre, j’ai commencé une formation pour changer totalement de métier et de secteur. »

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