Perte de poids: une révolution en vue?
Ozempic, Wegovy, Mounjaro... Ces médicaments favorisant la perte de poids pourraient révolutionner la vie des personnes souffrant d’obésité. Un suivi multidisciplinaire reste cependant indispensable.
Inefficaces voire dangereux: longtemps, les médicaments pour maigrir ont fait figure d’attrape-nigaud. Mais ça, c’était avant l’Ozempic et le Wegovy (noms commerciaux de la molécule sémaglutide), qui suscitent un engouement inédit. Et pour cause: l’obésité est considérée aujourd’hui comme un problème de santé publique majeure au niveau mondial. «L’obésité est associée à de nombreuses complications qui touchent pratiquement tous les systèmes de l’organisme, ce qui augmente à la fois la morbidité et la mortalité», rappelait récemment le Service de Diabétologie, Nutrition et Maladies métaboliques du CHU Liège dans sa publication «Médicaments anti-obésité: des déceptions aux espoirs».
En Belgique, selon les derniers chiffres de Sciencesano, 49% de la population adulte est en surpoids et près de 16% en situation d’obésité. «Potentiellement, il y a donc beaucoup de gens concernés par ces nouveaux traitements», commente Laurent Crenier, chef de la clinique de diabétologie à l’hôpital Érasme et président de l’Association belge du diabète. Par ailleurs, contrairement à une idée encore très répandue, au-delà d’un certain seuil, maigrir n’est pas une question de volonté. «Je connais peu de gens qui sont obèses parce qu’ils le veulent», souligne le diabétologue, qui observe que l’obésité fait encore l’objet de nombreux «jugements». Maladie chronique complexe faisant intervenir à la fois l’environnement, la génétique et le mode de vie, l’obésité, une fois installée, est en réalité très difficile à traiter par de simples mesures hygiéno-diététiques. D’où le succès croissant de la chirurgie bariatrique.
Un effet sur la satiété
Alors, les nouveaux médicaments contre l’obésité pourraient-ils changer durablement la donne? «L’Ozempic n’est pas un nouveau médicament, rappelle Laurent Crenier. On le prescrit depuis des années pour traiter le diabète de type 2. Il est apprécié par les diabétologues parce qu’il est efficace et que, contrairement à d’autres traitements, il n’entraîne pas d’hypoglycémie. » Les diabétologues n’ignorent pas non plus que cette molécule, le sémaglutide, favorise la perte de poids «alors que d’autres médicaments n’ont pas d’effets sur le poids ou, au contraire, en font plutôt prendre», précise Laurent Crenier. Le sémaglutide appartient à la famille des analogues du Glucagonlike peptide-1 (GLP-1), une hormone intestinale qui stimule le pancréas pour qu’il produise davantage d’insuline, ce qui fait baisser le taux de sucre dans le sang. Mais la molécule a également un effet sur l’hypothalamus, une zone du cerveau qui intervient dans la régulation du comportement alimentaire, favorisant le sentiment de satiété. «Vous n’avez plus faim plus vite», résume Laurent Crenier. Le sémaglutide ralentit par ailleurs la vidange gastrique, donnant le sentiment d’avoir le «ventre plein». Résultat: on mange de plus petites quantités. «Il n’y a pas d’effet secret, caché. Simplement, avec ce médicament, on a tendance à manger moins», éclaire le spécialiste.
Si vous perdez 10 kilos avec l’Ozempic, quand vous l’arrêtez, vous reprenez 10 kilos !
Depuis quelques années, le sémaglutide est donc parfois prescrit à des personnes obèses pour les aider à perdre du poids. «On ne peut pas considérer qu’il s’agit d’une erreur scientifique, estime le diabétologue, puisqu’en effet, le médicament a la plupart du temps un effet sur la perte de poids.» En 2018 déjà, une étude avait comparé l’effet du sémaglutide par rapport à un placebo. Après un an de traitement, des doses comprises entre 0,05 mg et 0,4 mg par jour avaient entraîné des pertes de poids de 6 % à 11,2%. Le sémaglutide a ensuite été testé à une dose supérieure, hebdomadaire et unique de 2,4 mg. Au terme de 68 semaines de traitement, les participants de l’étude affichaient une perte de poids d’environ 15 % par rapport à leur poids d’origine (soit une perte allant jusqu’à 15 kilos pour une personne de 100 kilos), contre 2 % avec de simples mesures hygiéno-diététiques (2 kilos pour une personne de 100 kilos). Des résultats inédits dans l’histoire des médicaments anti-obésité, même s’il est à noter que le sémaglutide ne fonctionne pas chez tout le monde: en moyenne, on estime qu’il est efficace chez 2 personnes sur 3.
Dans l’attente du Wegovy
La firme danoise Novo Nordisk commercialise le sémaglutide sous deux noms, deux dosages et pour deux indications différentes: l’Ozempic (1 mg), pour le traitement du diabète de type 2, et le Wegovy (2,4 mg), ciblé sur la prise en charge de l’obésité. Néanmoins, la molécule n’est remboursée que dans l’indication diabète. Les autres patients pour qui la molécule est autorisée devront débourser environ 110 € par mois. «Et pourtant les gens se l’arrachent, commente Laurent Crenier. Ça veut donc dire que ça marche...» Au point que Novo Nordisk peine à suivre la cadence.
Dans l’attente de l’arrivée du Wegovy en Belgique, un arrêté royal du 14/11/ 23 autorise les endocrinologues (et non les médecins traitants) à initier un traitement par Ozempic dans des cas d’obésité importante (IMC ≥ 35 kg/m2) ou modérée (IMC ≥ 30 kg/m2) avec comorbidités (hypertension, diabète, hypercholestérolémie...) Ces conditions strictes visent notamment à éviter une pénurie d’Ozempic pour les patients atteints de diabète de type 2. «Je suis président de l’Association belge du diabète et j’ai été choqué d’entendre certains confrères avancer que les personnes obèses ne devraient pas y avoir droit, raconte Laurent Crenier. À partir du moment où la continuité des soins est assurée, je ne vois pas pourquoi.» D’autant que de nouvelles études attestent de l’efficacité de ce médicament sur la réduction du risque d’accidents cardiovasculaires chez les personnes avec obésité.
Un usage détourné ?
Le malentendu vient en partie du fait que des personnes sans obésité vantent l’efficacité du sémaglutide pour atteindre la silhouette de leurs rêves... Le milliardaire Elon Musk a ainsi déclaré qu’il devait à Wegovy sa silhouette affinée. Sur Tik Tok, les posts où des internautes documentent leur perte de poids grâce à une injection hebdomadaire comptabilisent des centaines de milliers de vues... Caprices de stars ? «Personne ne connaît exactement le pourcentage de ces prescriptions détournées», tempère Laurent Crenier. Selon les chiffres français, le mésusage de l’Ozempic ne dépasserait pas les 1 %.
La prise de sémaglutide en «one shot» dans l’idée de perdre quelques kilos avant l’été est tout à fait déconseillée. Effet yoyo garanti! «Si vous perdez 10 kilos avec l’Ozempic, quand vous l’arrêtez, vous reprenez 10 kilos. Mais il y a de nombreuses maladies chroniques comme le diabète ou l’hypertension où on ne trouve pas que c’est un problème de prendre un médicament à vie...» La question est de savoir si un traitement médicamenteux de l’obésité est avantageux, en termes financiers et de santé, par rapport à d’autres solutions comme la chirurgie. «Oui, les traitements coûtent cher, mais les conséquences de l’obésité coûtent cher aussi, observe. Avec les nouvelles molécules encore plus puissantes qui vont arriver sur le marché (voir encadré), la question se posera: à qui on les donne et pour combien de temps ? »
Quels effets secondaires ?
«L’Ozempic n’est pas un nouveau médicament, rappelle Laurent Crenier, diabétologue et ses effets secondaires sont connus: nausées et vomissements chez les personnes qui ont l’estomac paresseux (gastropérasie) et chez qui on évitera donc de l’utiliser. Il existe également un risque de pancréatite mais ce sont des cas très rares.» Le spécialiste rappelle que le médicament doit être administré dans le cadre d’une prise en charge pluridisciplinaire. «Quand on perd du poids, on perd aussi du muscle, on peut avoir des carences... Il faut donc un suivi diététique, psychologique et médical. Chez les personnes plus âgées, une perte de poids importante peut entraîner une perte de muscles... jusqu’à se retrouver en chaise roulante !»
Le Mounjaro
Avec le sémaglutide, la perte de poids peut atteindre 15 %. Avec le tirzépatide, une molécule commercialisée par Eli Lilly sous le nom de Mounjaro (pas encore disponible en Belgique), elle avoisine les 20 %. Des résultats complémentaires visant à déterminer les bénéfices de ce traitement en termes de santé et de qualité de vie devraient être disponibles vers octobre 2027. La même firme a annoncé la commercialisation future d’une autre molécule encore, le rétatrutide, qui pourrait permettre d’atteindre une perte de poids de 25 %... Soit presque autant qu’avec la chirurgie bariatrique. Là encore, des études complémentaires doivent confirmer la sécurité et l’efficacité de ce médicament en termes de santé. Mais la révolution des médicaments anti-obésité semble bel et bien en marche.
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