Anouk Buelens - Terryn

Prendre soin de soi

Anouk Buelens - Terryn Dr. Anouk Buelens - Terryn est médecin généraliste en formation et écrit sur la pratique quotidienne

Anouk Buelens-Terryn est médecin généraliste. Elle écrit sur sa pratique quotidienne.

Elle arbore un bob mi-long côté gauche et une brosse côté droit. Pendant que je vérifie sa tension artérielle, je découvre ses bras recouverts de tatouages qui ne camouflent pas entièrement une série de fines lignes sur ses poignets. Elle croise mon regard et me dit: «C’est le résultat de toute une vie!».

Même si son allure et ses vêtements tentent de me convaincre qu’elle est dans la vingtaine, son dossier me rappelle que je me trouve bel et bien face à une femme d’âge moyen. Nous passons en revue les examens préventifs qu’elle a déjà effectués : mammographie et contrôle du côlon, check. Seul le frottis du col de l’utérus manque à l’appel, lui fais-je remarquer pendant que je fais défiler ses résultats de laboratoire.

Elle acquiesce. Un silence se prolonge. «Chez certaines patientes, l’examen gynécologique peut être sensible, est-ce votre cas?» dis-je, tentant de la faire réagir. Elle prend une profonde inspiration et regarde les cicatrices sur ses poignets. Elle me raconte les périodes difficiles qu’elle a traversées et qui lui ont valu des épisodes dépressifs. Et de m’en donner la raison: on a abusé d’elle quand elle était jeune. «Ne me demandez pas qui... Cet homme ne vaut pas la peine qu’on le mentionne!».

Comment va-t-elle depuis lors? Mentalement, mais aussi sexuellement? Je la rassure: elle n’est pas obligée de répondre à mes questions. Surprise, elle me fait remarquer que je suis la première personne à m’enquérir de son bien-être sexuel. Et la voilà qui se lance... Bien que son ex-conjoint se soit toujours montré doux et compréhensif, depuis cet abus dans l’enfance, les relations sexuelles ont été pénibles. Point positif: de beaux enfants sont nés de cette union. Ils la font tenir debout. Mais un compagnon de vie, non, elle n’en a plus besoin.

Vous ne devez pas considérer le frottis vaginal comme une intrusion dans votre intimité.

Et quid de la relation à soi-même? Elle m’explique qu’au début, elle avait beaucoup de mal à prendre soin d’elle. Comme si elle ne méritait aucune douceur et qu’elle ne vivait que pour les autres. A présent qu’elle a retrouvé de l’estime de soi grâce à des années de thérapie, elle parvient à nouveau à vivre pour elle-même. Comment vit-elle le fait de ne jamais ressentir de plaisir sexuel? Elle esquisse un sourire et me dit que ce n’est pas tout à fait vrai. Elle n’a pas de problème à se masturber. Les jeux sensuels ont toute leur place dans sa chambre à coucher, assure-t-elle.

Elle me décoche un regard prolongé et fait elle-même le lien que j’allais lui suggérer. Ne pourrait-elle pas considérer le frottis comme un bienfait qu’elle s’octroirait, plutôt que comme une intrusion dans son intimité? OK, elle ira le faire, déclare-t-elle. Ce sera une étape de plus dans son travail sur elle-même.

Quelques semaines plus tard, quand je reçois les résultats du labo, j’ai un choc. Il y a une anomalie. On a découvert une dysplasie de haut grade sur le col de l’utérus. Il faudra faire d’autres analyses cellulaires. Quand je lui téléphone, elle me répond: «Ce ne sont pas de bonnes nouvelles? Vous savez, docteur, je suis tout de même contente d’avoir fait cet examen. Car maintenant, je vais pouvoir me faire soigner, n’est-ce pas?».

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