Anne Vanderdonckt

À quoi ressemblent les vraies grands-mères?

Anne Vanderdonckt
Anne Vanderdonckt Directrice de la rédaction

Anne Vanderdonckt observe la société, ses évolutions, ses progrès, ses incohérences. Partage ses doutes, ses interrogations, ses enthousiasmes. Quand elle se moque, ce n’est jamais que d’elle-même.

À l’école, il y avait la petite F. dont personne ne voulait croire que son père n’était pas son grand-père. Et puis, il y avait moi dont personne ne voulait croire que sa grand-mère n’était pas sa mère. Les enfants détestent se démarquer, et avec la mère de ma mère, j’avais gagné le jackpot. Blonde, tirée à quatre épingles, perchée sur des talons qui ont quand même fini par lui causer quelques problèmes, elle se déplaçait en coup de vent, partait tôt, rentrait tard: le boulot! Le dimanche, elle cuisinait et jardinait avec « les deux petits », et tous les gamins en tombaient raides amoureux.

J’adorais ma grand-mère, qui m’a offert l’image d’une femme patronne mais pas matrone. Poussée par la nécessité qui avait fait d’elle le pilier d’une famille, elle comptait parmi celles qui étaient en avance sur son temps. Car les grands-mères de cet acabit-là, au look soigné, qui travaillent dur, voyagent loin, ont un agenda de ministre et des passions, aujourd’hui, elles sont légion.

Pourquoi alors, ces femmes magnifiques qui aiment profondément leurs petits-enfants mais revendiquent aussi une vie à elles sont-elles représentées comme des aïeules aux cheveux blancs à reflets bleutés, affublées de gilets tricotés main et de robes démodées? Comme des êtres asexués et doux, toujours la larme à l’oeil? Il faut dire que la crise du Covid a permis de véhiculer avec brio, au travers de campagnes de prophylaxie par ailleurs très légitimes, les stéréotypes de la grand-mère d’antan. Ah, ces mamies aux visages ravinés de rides qui se languissent de leurs petits-enfants dans leur fauteuil à carreaux, attendant que ces derniers se jettent dans leurs bras le jour où elles seront vaccinées. Ah, ces grands-mères souriant bravement derrière les fenêtres de leur maison de repos aux petits qui se jetteront bientôt dans leurs bras, après le vaccin. Grrrr... Mais ce sont des arrière-, voire arrière-arrière- grands-mères – et encore, combien de femmes coquettes, dynamiques et au fait de tout à 80 ou 90 ans, voire bien plus. Bref, celles que vous nous présentez-là, ce ne sont pas des grands-mères, m’sieurs dames les communicateurs.

Les communicateurs pourraient-ils se promener ne fût-ce qu’un seul jour dans la vraie vie et regarder autour d’eux à quoi ressemblent les vraies grands-mères? Ou faire un petit calcul tout simple: aujourd’hui, on devient, en moyenne, grand-mère à 54 ans. Vu que les enfants mis en scène ont souvent moins de 6 ans (c’est plus mignon), les grands-mères représentées devraient être âgées de 60 ans au maximum. Un très bel âge où on est en pleine capacité de ses moyens. Alors, ok, Sharon Stone est privilégiée, mais 60 ans, c’est Sharon Stone, pas la bobonne du Petit Chaperon Rouge. C’est Jerry Hall, pas la Mamie des confitures. C’est madame-tout-le monde que le gouvernement a programmée pour travailler jusqu’à 66 ou 67 ans. Est-on vieille quand on travaille aussi tard, qu’on a parfois encore de jeunes enfants, et un nouvel amoureux? Est-on vieille quand on se trouve au coeur du sandwich familial, épaulant à la fois ses parents, ses enfants et ses petits-enfants? Poser la question, c’est y répondre. Mais pourquoi faut-il encore la poser, cette question?

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