Anne Vanderdonckt

Abandonnez-les pendant vos vacances!

Anne Vanderdonckt
Anne Vanderdonckt Directrice de la rédaction

Anne Vanderdonckt observe la société, ses évolutions, ses progrès, ses incohérences. Partage ses doutes, ses interrogations, ses enthousiasmes. Quand elle se moque, ce n’est jamais que d’elle-même.

A la veille d’un déménagement, je suis en train de mettre de l’ordre dans mes livres. Même si je procède à un écrémage régulier, il reste encore quelques centaines de romans (estimation optimiste), le maintien des ouvrages de référence étant, lui, non négociable. Ces rescapés sont bien sûr ceux que je préfère, qui m’ont apporté un plaisir particulier, sont liés à un souvenir, portent l’empreinte d’un grand talent. Mais bon, trop c’est trop. Il me faut encore choisir et renoncer.

Au village, il y a une belle et vaste boîte à livres installée sur la place principale. Le principe de cette initiative est le même que partout: on apporte un bouquin et on en prend un autre. Je nourris donc la boîte depuis quelques mois de mes romans, qui, récents, en bon état et de qualité, ne restent jamais longtemps. Je dévie un peu du principe de l’échange en ne repartant avec rien, et présente donc toutes mes excuses pour cette délinquance douce. Je suis en tout cas très heureuse. Heureuse que la vie de ces livres continue, qu’ils procureront encore des heures de plaisir à des inconnus appartenant à la grande communauté des lecteurs.

Une de mes amies, insatiable lectrice aussi, a pour coutume d’abandonner ses livres sur une banquette de métro, tram, train ou sur un banc public, l’objectif étant que quelqu’un le prenne, le lise, et le repose sur une banquette de métro, etc. Beaucoup connaissent désormais cet usage. D’autres, pas du tout, qui l’interpellent alors aimablement: « Madaaaame, vous avez oublié votre livre ». Et voilà F. bien obligée d’expliquer le système du livre abandonné. Parfois, la conversation donne naissance à de nouveaux convertis qui, à leur tour, « oublieront » leur livre.

Lorsque je parcours ma bibliothèque, j’arrive maintenant au maximum de ce que je peux sacrifier. Les livres pour enfants de ma mère, avec leur couverture rouge délavée et leur tranche brunâtre, offerts pendant la guerre par mes grands-parents? Jamais! Avec des dédicaces rédigées à l’encre bleue: « A notre chère fille pour ses dix ans. Maman et Papa » « Joyeux Noël 1943! ». Jamais, je vous dis! Et d’ailleurs qui voudrait de ces bouquins poussiéreux?

L’autre jour, alors que j’étais en train d’achalander la boîte à livres, j’annonce à une femme observant par-dessus mon épaule que j’arrive avec plein de beaux romans tout neufs. « Oh, moi ce sont des livres anciens que je cherche. Je les collectionne », m’informe-t-elle. Il m’a fallu quelques semaines pour décanter, me dire que je n’ouvrirais quand même plus jamais ces livres, que je les planquerais en second rang dans ma bibliothèque, ce qui est déjà le cas. J’ai donc été les confier à la boîte ad hoc. J’ai juste ôté les pages de garde avec les dédicaces que je garderai. Une semaine plus tard, les livres de maman n’étaient plus là. Je me plais à croire qu’ils sont désormais chez la jolie collectionneuse qui en prendra soin. Et avouez que cela sonne comme un conte de Noël, non?

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