L'exercice physique permet d’améliorer la gestion du stress et de l’anxiété liée à la peur des rechutes. © getty images

Après le cancer, la peur de la rechute...

Julie Luong

Le cancer est moins fatal aujourd’hui qu’hier. Mais l’impact de la maladie et des traitements sur la santé physique et psychique – avec notamment la peur de la rechute – restent sous-estimés.

Aujourd’hui, les soins oncologiques dits «de support» – qui désignent l’ensemble des soins et soutiens nécessaires aux personnes atteintes de cancer parallèlement aux traitements spécifiques – jouent un rôle fondamental dans la prise en charge oncologique. Diététique, accompagnement par un assistant social, soins esthétiques, sexologie, logopédie, apprentissage de l’auto-hypnose, neuropsychologie, ateliers d’art-thérapie... Cette approche pluridisciplinaire permet aux patients de mieux vivre la période d’après traitement, souvent très compliquée.

«L’annonce d’un cancer fait souvent l’effet d’un coup de tonnerre dans un ciel bleu», rappelle Martine Devos, psychologue clinicienne et responsable du secteur psycho-oncologie de l’Institut de cancérologie Arsène Burny du CHU de Liège. «Quand les patients entrent en traitement, l’anxiété a généralement tendance à s’apaiser, mais on la voit souvent revenir quand les traitements s’arrêtent. Tout à coup, ils n’ont plus ce lien avec l’hôpital. Certains disent aussi qu’ils sont angoissés de ne plus recevoir de chimiothérapie car au moins, quand ils étaient sous chimio, ils savaient que le cancer était contrôlé.»

Plus comme avant

Cette peur de la rechute cohabite par ailleurs fréquemment avec une période de deuil. «C’est le moment où la personne intègre qu’elle ne sera plus tout à fait comme avant. Cela peut s’accompagner de symptômes de dépression», poursuit Martine Devos. Dans la plupart des cas, ces symptômes sont passagers et restent modérés, même s’ils peuvent être plus sévères chez les patients qui souffraient déjà de dépression ou d’anxiété avant la maladie.

«Ce qui est compliqué, c’est que pour l’entourage, quand c’est terminé, c’est terminé... alors que non! Ils s’entendent dire qu’ils ont bonne mine, que tout va bien, que c’est fini... alors qu’en réalité, il y a parfois des choses qu’ils ne pourront plus jamais faire.» Ainsi les patients qui ont subi une chirurgie digestive doivent parfois vivre avec une poche de stomie, d’autres avec une poche urinaire...

Certains cancers gynécologiques ou prostatiques amènent à une transformation de la sexualité. Dans les cancers du sein ou les cancers ORL, c’est souvent l’image de son corps ou de son visage qu’il faut se réapproprier. Autant de défis délicats et tabous face auxquels les patients se sentent parfois seuls ou incompris. L’entourage proche est souvent mis lui aussi à rude épreuve. «La politique actuelle va dans le sens de procurer le maximum de soins à domicile, commente Martine Devos. On compte donc énormément sur l’entourage et notamment sur le conjoint... Il faut que celui-ci tienne le coup... C’est pourquoi le service d’onco-psychologie peut intervenir auprès du patient, à sa demande, mais aussi auprès de l’entourage.»

Les soins de support jouent un rôle fondamental dans la prise en charge oncologique.

Une anxiété justifiée

Après le traitement, si le soutien social diminue, la crainte de la rechute, elle, s’accroît... Pour combien de temps suis-je sorti d’affaire? Est-ce qu’il va falloir revivre tout ça dans un an, dans cinq ans, dans dix ans? Est-ce que cette douleur est normale? «Un des moments clefs après le traitement, c’est c’est lorsqu’il faut refaire des examens. Il y a alors un pic de stress, souligne Martine Devos. D’abord, il faut rappeler au patient que c’est normal d’être anxieux quand on doit faire un contrôle. L’anxiété a pour fonction de mettre notre organisme en état d’alerte face à une menace or le cancer est une menace sérieuse... C’est notre vie qui est en jeu. Avoir peur des araignées, quand ça vous empêche de faire des choses au quotidien, c’est pathologique.... mais avoir peur du cancer, c’est normal!» Néanmoins, aujourd’hui, alors que le discours ambiant tend à laisser croire que «le moral, c’est 50% de la guérison», les patients peuvent culpabiliser d’aller mal et de s’angoisser... «Non seulement ils culpabilisent d’avoir peur et en plus ils se disent qu’en ayant peur, ils ne mettent pas toutes les chances de leur côté», analyse Martine Devos.

Pour empêcher que cette anxiété légitime ne prenne trop de place, les techniques de relaxation et d’(auto)hypnose ont toute leur utilité. «C’est le volet somatique: ces techniques de focalisation de l’attention permettent de désamorcer les réactions physiologiques désagréables liées à l’anxiété.» Le volet cognitif est un autre levier d’action: il s’agit alors de revenir à «l’ici et maintenant». «Est-ce que j’ai des indices que les choses vont mal se passer? Généralement, non, et je ne sais pas ce qui va se passer, illustre Martine Devos. Quand on est en bonne santé et qu’on pense à ses prochaines vacances, on imagine rarement qu’on n’ira peut-être pas... Quand on est malade, on peut au contraire ne plus oser se projeter, ne plus faire de projet. Mais c’est important de se projeter à nouveau dans un avenir. Si cela se réalise tant mieux et si ce n’est pas le cas, ce sera peut-être plus tard ou autrement.» Car si le cancer amène à vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, le pire n’est heureusement jamais certain.

L’anxiété met notre organisme en état d’alerte face à une menace.

Fatigue chronique

S’il est important que l’esprit reste dans le présent, il est aussi fondamental que le corps, éprouvé par la maladie, soit, lui aussi, mobilisé «ici et maintenant». Or, chose parfois méconnue, les patients qui ont été traités pour un cancer sont confrontés à un phénomène majeur de fatigue chronique. «C’est un symptôme banalisé parce qu’aujourd’hui tout le monde se plaint d’être fatigué! Mais la fatigue des patients en oncologie a comme caractéristique que le repos n’aide pas...», précise Martine Devos. Cette fatigue est en effet la conséquence directe de la maladie et des traitements, qui entraînent fréquemment un déconditionnement physique, une fonte musculaire, et parfois une atteinte des nerfs (polyneuropathie).

«Qu’elles aient été ou non sportives avant la maladie, les personnes sont souvent très diminuées dans la vie de tous les jours», commente Didier Maquet, professeur au département des sciences de la motricité de l’ULiège et responsable du centre dédié à la revalidation après cancer au CHU de Liège. «Aujourd’hui, la période post-cancer est d’ailleurs considérée comme une affection chronique.» «Se reposer», «rester chez soi», «ne pas bouger» sont donc de fausses bonnes idées et le début d’un cercle vicieux car «le repos n’a jamais soulagé la fatigue chronique», insiste Didier Maquet.

L’exercise medecine

L’exercice physique est au contraire aujourd’hui considéré comme un atout majeur dans la prise en charge de certains cancers. «En 2018, une étude a montré l’intérêt de la prise en charge réhabilitative post-cancer à raison d’une séance psycho-éducative et de trois séances d’activités de réadaptation par semaine chez des patientes traitées pour un cancer du sein, explique le spécialiste. Un tel programme permet d’améliorer la gestion du stress et de l’anxiété liée à la peur des rechutes, mais aussi d’améliorer les troubles du sommeil, la fonction cardio-respiratoire et musculaire, la composition corporelle (en permettant de limiter l’augmentation de la masse grasse), etc.»

La période post-cancer est désormais considérée comme une affection chronique.

Cette approche s’inscrit dans le mouvement de l’exercise medecine, qui consiste à pratiquer une activité physique progressive et adaptée pour contrecarrer les effets d’une maladie et agir en prévention secondaire (prévention des récidives). Des bénéfices qui s’expliquent entre autres par les effets du sport sur le surpoids, considéré comme un facteur de risque dans le cancer, mais aussi par l’impact sur différents paramètres métaboliques.

«La pratique d’un exercice physique régulier agit sur la réduction des facteurs de croissance tumorale mais aussi sur l’insuline, ce qui permet de réduire les taux circulants de glucose, qui constitue un substrat énergétique pour les cellules cancéreuses», précise Didier Maquet. Sans compter les effets positifs de l’activité physique sur le système immunitaire. «On vise à améliorer la qualité de vie mais aussi à favoriser la réinsertion professionnelle», ajoute-t-il encore. Plus de bien-être physique et psychique, plus d’ici et de maintenant.

Les effets du sport dans la prévention

Le programme de réadaptation fonctionnelle post-cancer correspond aux recommandations internationales concernant les affections chroniques, soit une activité de 150 minutes par semaine, combinant activité aérobie (capacité cardio-respiratoire), activité d’entraînement des grands groupes musculaire et activité d’étirement et de gainage. «Ces recommandations sont aussi valables pour vieillir en bonne santé», souligne Didier Maquet, professeur au département des sciences de la motricité de l’ULiège. Car, rappelons-le, l’activité physique est aussi un élément central dans la prévention primaire, puisque pratiquée régulièrement elle permet de diminuer les risques de cancer de 10 à 20%, en particulier pour le cancer du sein, du côlon et de l’endomètre. «Il ne s’agit pas de faire culpabiliser les patients: cela reste une maladie multifactorielle. Ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas bougé qu’ils ont eu un cancer mais connaître les effets positifs de l’activité physique dans la prévention peut motiver.»

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