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Faire le deuil de ses parents

Certes, perdre son parent âgé fait partie de l’ordre normal des choses. Ce qui n’exclut pas le chagrin. Mais le travail de deuil a souvent commencé bien avant...

La raison commune incite à croire qu’il est plus facile de faire le deuil de son père et de sa mère lorsqu’ils ont atteint le « bel âge ». Mais les choses ne sont pas toujours aussi simples et banaliser la peine ne facilite pas les choses.

« On retrouve dans le deuil d’un parent âgé les étapes classiques propres à tout deuil, confirme Annie Clarin, psychologue clinicienne. Quelques caractéristiques particulières, dont certaines liées à la relation, influencent toutefois son déroulement. » Le deuil est facilité quand le parent décède à un âge très avancé, vers les 95 ans par exemple, ce qui est de plus en plus fréquent. « Dans ce cas, l’enfant a commencé son travail de deuil depuis longtemps puisque son parent, s’il en porte encore le titre, n’en remplit plus vraiment les fonctions. Au moment du décès, la tristesse est bien là et le deuil nécessaire, mais le passage s’avère moins douloureux. » La souffrance est plus marquée lorsque le décès survient à l’âge de l’espérance de vie ordinaire (80 ans). « Les statistiques montrent que d’autres parents vont plus loin. «  Il reste alors un goût de trop peu...

Des deuils successifs

Bien souvent, les deuils se succèdent avant le décès à proprement parler, au fur et à mesure de la perte d’autonomie physique et de l’apparition de troubles cognitifs ou de mémoire. « Ceux qui ont pris soin de nous n’en sont plus capables, comme ils ne savent plus s’occuper d’eux-mêmes, analyse la psychologue. La perte de mémoire d’un père ou d’une mère, c’est un peu comme si une partie de notre histoire avec lui ou elle n’existait plus.

Il est douloureux de désormais constater son désintérêt face à notre vécu mais il ne faut pas le prendre personnellement car il s’agit d’un processus ordinaire. Ces pertes nécessitent un important travail d’acceptation pour le parent et l’enfant: il faut fermer la porte à ce qu’était la relation et accepter ce qu’elle est devenue, tout en sachant qu’elle va continuer à évoluer dans le sens de la perte. Le lien doit sans cesse être redessiné pour trouver un nouvel équilibre. »

Le soulagement et la culpabilité sont deux sentiments qui accompagnent fréquemment le décès

L’entrée en maison de repos

L’augmentation de l’espérance de vie est malheureusement corrélée à une amplification des problématiques de santé et de perte d’autonomie. « La plupart des personnes entrent en maison de repos car elles n’ont plus la capacité de vivre seules et parce que leur état de santé nécessite une prise en charge spécialisée et constante. Les enfants sont confrontés à un dilemme: d’un côté, ils souhaitent respecter le désir du parent de rester à la maison et de l’autre, ils doivent assumer la responsabilité de ne pas le faire, pour son bien. C’est très culpabilisant et déchirant. Là aussi, un travail de deuil est nécessaire. »

Le détachement du monde extérieur

La vieillesse entraîne naturellement un mouvement de repli sur soi. « D’une part, la personne âgée, qui a moins d’énergie, consacre ses dernières forces à assurer ses fonctions vitales avant de pouvoir se tourner vers l’extérieur. D’autre part, entre 70 et 80 ans, elle amorce un détachement envers le monde extérieur qui se traduit par un repli sur soi et la recherche d’une vie plus paisible. Ce retrait s’accentue au-delà de 85 ans. Elle apprécie alors une vie de solitude intérieure. Il ne faut pas voir dans ce retranchement un désintérêt envers les autres. Cela répond au besoin instinctif de faire le point sur soi pour clôturer le livre de sa vie et partir en paix. Sur le plan spirituel, certains voient dans ce processus une préparation mentale destinée à quitter ce monde, même si la vie va encore continuer pendant quelques années. »

Paradoxalement, cette succession de deuils peut s’accompagner d’un attachement émotionnel très fort envers ses parents. « On est touché par ce qu’ils sont devenus. Nous avons par ailleurs souvent revisité notre histoire et réglé nos comptes avec eux. La maturité nous permet de porter un regard plus nuancé sur ce qu’ils ont été en tant que parents. Nous les comprenons et les acceptons mieux. Ce travail permet d’être en paix avec soi-même, de prendre conscience de la richesse de la relation, renforçant ainsi l’attachement à ses parents. » La relation fusionnelle avec son parent est, elle, d’un autre ordre et peut rendre la séparation infiniment douloureuse. « Certaines personnes la comparent à l’amputation d’un membre. »

Et à l’époque du Covid...

L’épidémie de coronavirus a mis un coup de projecteur bien particulier sur nos parents âgés en les isolant plus que jamais. Combien ont été brutalement emportés sans la possibilité d’un au revoir? « Les conditions créées par cette crise ont amplifié le sentiment d’impuissance, d’injustice, de culpabilité, constate la psychologue Annie Clarin. L’énorme douleur qui en découle complique le travail de deuil.

Encore une fois, il est nécessaire d’accepter ses émotions et de les exprimer. On peut symboliquement dire au revoir à son parent décédé en lui écrivant, par exemple, une lettre contenant tout ce que l’on n’a pas pu dire, la lire dans un endroit qui lui était cher et, pour finir, s’en débarrasser de manière symbolique en l’enterrant. Le but est de traverser ses émotions et sentiments afin de s’en libérer. »

Un deuil bloqué

Le deuil se complique généralement quand les problèmes relationnels n’ont pu être résolus. « Dans ma consultation, je vois des personnes qui viennent avec une problématique a priori étrangère au deuil de leur parent, comme un état dépressif. En creusant, on découvre que le mal-être est lié au décès parental. Il arrive que le travail de deuil soit bloqué en raison de secrets, de non-dits, voire d’une relation conflictuelle latente teintée de rancoeur. Un double deuil s’impose alors: celui de son parent et celui d’une réconciliation qui était encore possible, d’un secret qui aurait pu être dévoilé. »

On comprend donc combien il est important d’essayer d’arranger les choses avec son parent, tant qu’il est encore temps. S’il est éprouvant d’accompagner son parent qui souffre d’une longue maladie, on peut utiliser ce moment tellement particulier pour exprimer ce que l’on n’a jamais osé dire, poser des questions sur son histoire, montrer son affection. « Le chemin parcouru avec son parent en fin de vie permet de clore un chapitre de la vie. Le départ peut se faire de manière apaisée et le deuil s’en trouvera adouci. À l’inverse, une mort brutale alors que le parent âgé était en bonne santé va compliquer le deuil. »

Le décès du parent âgé est parfois le déclencheur ou l’amplificateur du questionnement propre à la transition du milieu de vie. « Forcément, le décès parental est une étape importante qui nous prive d’un pilier de référence, même si le parent était défaillant. On prend subitement conscience que la prochaine génération à aller vers la mort, c’est la nôtre. Cela incite à mettre en perspective le sens de notre vie. »

Soulagement et culpabilité

Le soulagement et la culpabilité sont deux sentiments qui accompagnent fréquemment le décès. « Dans un premier temps, il y a un soulagement de voir son parent délivré de la souffrance. Mais la culpabilité peut rapidement prendre le dessus car, en réalité, on voulait qu’il cesse de souffrir mais pas qu’il décède. »

La culpabilité est aussi liée au sentiment d’impuissance face à la douleur et l’inéluctable. Comme pour toute émotion, Annie Clarin recommande de laisser une place à cette culpabilité, de s’y connecter. « C’est important de la reconnaître sans être dévoré par elle ni tenter de la raisonner. Lorsqu’on accepte de se laisser traverser par la culpabilité, on peut aller voir ce qu’il y a derrière et on découvre bien souvent le désir de ne pas être confronté à l’impuissance. Un travail sur soi aide à accepter cette impuissance. Ce pas franchi, on peut regarder ce que l’on a pu faire de positif pour son parent en fin de vie. »

Une autre manière de surmonter ce sentiment de culpabilité réside dans l’accomplissement d’actions symboliques. « Si, par exemple, vous vous reprochez de ne pas avoir été assez présent, vous pouvez montrer votre présence à votre parent décédé, en réalisant par exemple une action qui lui tenait à coeur. »

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