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Osez dire stop aux amitiés toxiques!

Ann Heylens Journaliste

Vous vous sentez systématiquement vidé après avoir vu un(e) ami(e)? Courage, fuyez! Voici comment reconnaître les amitiés toxiques, car non, tous les amis ne vous tirent pas vers le haut.

Amis pour la vie. Nous rêvons tous de nous faire des amis intimes, des personnes avec lesquelles nous pouvons sans crainte être nous-même, sur qui on peut compter et qui nous redonnent de l’énergie lorsqu’on en a besoin. Mais il arrive aussi qu’après avoir vu un ami ou une amie, on se sente déprimé. Il faut alors se poser la question de savoir s’il ne s’agit pas d’une amitié toxique.

Il existe toutes sortes d’amitiés, assure Selma Franssen, auteur d’un livre sur le sujet. « Il n’y a pas deux personnes identiques et chacun de nous a des attentes différentes. Mais en matière d’amitié, on remarque tout de même des constantes: le désir de rester soi-même, de pouvoir compter sur l’autre et de se voir régulièrement, sans que l’initiative vienne toujours du même côté. Et surtout: il faut que cet ami nous permette de positiver. »

Décrire une amitié comme « toxique » est sans doute un peu fort, nuance Selma Franssen. « Je dirais de ce genre d’amitié qu’elle a un impact négatif sur la vie et sur le bien-être, et que pour l’une ou l’autre raison on a du mal à s’en défaire. » Certaines amitiés sont décevantes parce que trop unilatérales. L’un donne trop, l’autre pas assez. « C’est le cas des gens qui ne parle que d’eux-mêmes, sans se préoccuper de l’autre. Quand c’est toujours la même personne qui se confie et l’autre qui écoute, il y a un problème. Autre signal d’alerte: votre ami est devenu très dépendant de vous et exige que vous soyez souvent disponible. » Il en va de même si la personne se montre fréquemment négative ou est du genre à se plaindre... cela peut être minant et épuisant.

AMIS POUR LE MEILLEUR ET... LE PIRE!

« L’amitié est un type de relation fascinant pour les chercheurs, car on se situe quelque part entre la famille et le couple, avec un lien qui peut être extrêmement fort, analyse le Pr Beate Völker, docteur en sociologie. Mais c’est une relation qui permet plus de liberté, puisqu’elle implique moins d’obligations. C’est en quelque sorte la confirmation de notre valeur comme être humain. Les bons amis ont le don de tirer le meilleur de nous-mêmes. »

Mais comme dans un couple, la relation peut être très peu satisfaisante, confirme le Pr Völker. « L’amitié devient toxique lorsque certaines choses tournent mal, mais que la relation tient malgré tout parce que chacun y trouve son compte: on se maintient mutuellement dans un équilibre toxique. Dans ce cas, il y a souvent un problème d’ego chez l’un comme chez l’autre. On s’accroche parce qu’on ne voit pas d’alternative, ou parce qu’on tire de l’autre quelque chose dont on estime avoir besoin. »

La jalousie est un autre des schémas qu’on peut rencontrer. « Dans ce cas de figure, l’amitié a des allures de rivalité. C’est un grand classique, souvent associé à l’amitié entre femmes, souligne Selma Franssen. Il est sans doute naturel de ressentir un pincement de jalousie quand tout va bien pour nos amis. En principe on gère mieux cela avec l’âge. On relativise plus facilement, on sait que ce qui paraît fantastique au moment même – un coup de foudre amoureux, une promotion – le reste rarement. »

Se faire des amitiés toxiques est révélateur d’un problème sous-jacent.

« Je pense, en effet, que la rivalité devient moins prégnante avec les années, confirme Beate Völker. On est en principe moins fusionnels qu’à l’adolescence. Mais nous avons tous dans nos cercles d’amis des gens pour qui tout semble aller comme sur des roulettes. Ils ont un job de rêve, un couple qui marche, une belle maison, de super enfants, apparemment peu ou pas de soucis... Dur-dur pour l’ego! Car on attend d’une amitié saine qu’elle nous tire vers le haut. Et quand on se lie d’amitié avec des gens qui mènent en apparence une vie idéale, on risque de se sentir inférieur.

Il faut se rendre compte qu’il ne s’agit souvent que d’une projection: on projette peut-être son propre sentiment d’infériorité sur ses amis. Car la vie idéale n’existe pas. Vu de loin, on peut en avoir l’impression mais, à y regarder de plus près, on s’aperçoit que tout le monde a ses soucis. »

J’ATTIRE LES AMIS TOXIQUES

Certaines personnes ont le don d’attirer des conjoints qui ne leur conviennent pas. C’est vrai aussi en ce qui concerne l’amitié. « Je pense qu’on se fait des amitiés toxiques surtout dans les moments où on est mal, observe Selma Franssen. Quand on est peu sûr de soi ou qu’on se sent seul on accepte des choses qu’on n’accepterait pas en temps normal.

Si vous vous rendez compte que cela vous arrive régulièrement, livrez-vous à une introspection, car c’est révélateur d’un problème sous-jacent. Une faible estime de soi? Du mal à se fixer des limites? Ce sont des choses sur lesquelles on peut agir. »

« Si vous êtes aux prises avec des soucis ou un problème dans votre vie, vous risquez de répéter le même schéma comportemental jusqu’à ce que le problème soit résolu, confirme le Pr Völker. Par exemple, si vous avez du mal à être autonome, vous aurez tendance à vous entourer de gens sur qui vous pourrez vous appuyer et qui prendront des décisions à votre place. Si vous nourrissez un sentiment d’infériorité, vous risquez d’attirer des gens qui vous conforteront d’une certaine façon dans ce sentiment d’infériorité. C’est ainsi que les schémas nocifs peuvent se répéter tant qu’une situation ou une faiblesse ne seront pas résolus, et qu’on ne sera pas capable d’entamer un autre type de relation. »

OSER METTRE FIN À UNE AMITIÉ

Sur Facebook, on peut effacer quelqu’un de sa liste d’amis d’un simple clic. Mais quid dans la vraie vie? Comment se défaire d’une amitié malsaine? « Pour commencer, il faut identifier le problème. C’est crucial, insiste Beate Völker. Car souvent, on ne se rend compte de rien. On se sent mal après avoir vu cet ami mais on a du mal à vraiment savoir pourquoi. Au lieu de se dire: « Je suis nul », il faut se rendre compte que ce sont les interactions avec cette personne qui sont en cause. »

Alors que faire? « Instaurer une distance, c’est important. Prendre du recul et s’interroger: qui suis-je sans ce lien d’amitié? Cela peut être difficile. Il ne faut pas hésiter à en parler avec la personne, mais pas avant d’avoir analysé les choses par soi-même. Il faut exprimer son ressenti, mais en cas de réelle dépendance veillez à en avoir la force. Blindez-vous d’abord. » Inutile d’ailleurs de formuler des reproches. Dites plutôt: « Cette relation a pris un tour qui n’est bon pour aucun de nous deux ».

Une relation amoureuse peut s’achever sur un point final, c’est plus difficile dans le cas d’une amitié. Tout semble le démontrer: une amitié ne se rompt pas si facilement, en tout cas à l’âge adulte selon Beate Völker. Que fait-on alors? « On laisse les choses se déliter peu à peu. Si c’est mutuel, pas de problème. Sinon, il faut rompre d’une manière ou d’une autre. Autrement dit, exprimer clairement qu’on veut prendre ses distances. Ça ne doit pas forcément être définitif. On peut proposer une pause pour une certaine période. »

« S’il n’y a vraiment pas d’autre moyen, dites que vous préférez mettre un terme à cette amitié, conseille Selma Franssen. Certes, ce n’est pas toujours évident. Par exemple si vous avez peu d’amis. Ou si vous faites partie tous les deux du même cercle d’amis. » Selon de nombreuses études une rupture amicale peut être aussi pénible que la fin d’une histoire d’amour.

L’amitié, souvent plus durable que l’amour

Les études l’attestent: l’amitié améliore la santé physique et mentale. Et on s’en rend compte, plus que jamais, pendant les période de confinement. Et cela ne concerne pas que les célibataires ou les personnes isolées. « C’est vrai pour les couples aussi, souligne Selma Franssen, auteur d’un livre sur l’ amitié. Ceux qui n’ont pas d’amis attendent tout de leur conjoint, ce qui fait peser une pression considérable sur la relation. Pourtant l’amitié est encore trop souvent considérée comme une forme secondaire de lien humain. Pour les couples, ce ne sont ni les thérapies, ni les manuels qui manquent, alors qu’on est très peu aidé en amitié. Au sein du couple, on discute volontiers avec son conjoint: où en est notre couple? Avec un ami, c’est très rare, alors que ce serait tout aussi utile. Dites-vous qu’à l’heure actuelle, les amitiés durent souvent beaucoup plus longtemps que les relations amoureuses. »

« L’amitié a pris une place prépondérante, en raison d’une série d’évolutions sociétales, ajoute Beate Völker, sociologue. Les cercles familiaux s’amenuisent, les enfants vivent parfois loin, les séparations deviennent monnaie courante. Au moment de la pension ou quand les enfants quittent le nid, les amis prennent soudain plus d’importance. Et, effectivement, de nos jours on se connaît souvent de plus longue date entre amis qu’au sein d’un couple. »

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