© Frédéric Raevens

Rencontre avec Edouard Vermeulen: « La femme fait l’élégance, pas le vêtement »

Il y a quarante ans, il ouvrait par hasard la maison Natan. De fil en aiguille, Edouard Vermeulen a habillé le gotha dont la reine Mathilde. Le sexagénaire se dévoile sous toutes les coutures…

158 avenue Louise, à Bruxelles. Edouard Vermeulen nous accueille dans sa luxueuse boutique. C’est ici que l’Yprois a commencé sa carrière en tant qu’architecte d’intérieur en présentant des objets de déco dans le hall d’entrée avant de se lancer dans la mode et de reprendre le nom de l’ancienne maison de couture installée dans cet hôtel de maître. Nous déambulons parmi les tenues sophistiquées avant de rejoindre son bureau. Ses petits croquis délicatement repoussés sur le côté de la table, il évoque son univers de l’élégance.     

Quel bilan faites-vous de ces quarante ans de création? 

Ces décennies ont passé à la vitesse de l’éclair ! La mode, c’est très dynamique et l’évolution est frappante. Avant, il y avait des vêtements pour trois générations distinctes : pour les 20 à 30 ans, 30 à 50 ans et 50 à 70 ans. Maintenant, les générations se chevauchent. C’est incroyable ! A 75 ans, ma grand-mère était toujours habillée en noir et assise. Aujourd’hui, une femme de cet âge est encore active et s’habille comme quelqu’un qui a 15 à 20 ans de moins qu’elle. Les diktats qui imposent de porter ceci ou cela à tel âge ont disparu.

Dans quelle mesure votre maison a-t-elle évolué ? 

En quarante ans, on a dû adapter trois fois nos bustes dans les ateliers : la femme est plus droite, plus grande et elle a moins de hanches. Puis, on a remplacé le cuir animal par celui de cactus. Par respect de l’animal, de l’environnement, mais – je suis honnête – aussi car le cuir devenait trop cher. On a créé des robes avec des bouteilles en plastique reconverties avec de la soie, c’est amusant… Natan reste dans un créneau plutôt festif bien qu’on puisse, bien sûr, acheter un pantalon et un pull. Mais je ne ferai, par exemple, plus de simples manteaux et impers car il y a un choix fou dans d’autres marques. Il faut une valeur ajoutée.   

C’est quoi l’élégance pour vous ? 

La femme fait l’élégance, pas le vêtement. L’élégance réside dans le soin de porter le vêtement, l’accessoire, au bon moment. Je ne dis pas qu’il faut toujours porter des talons hauts mais parfois j’ai peu d’affinités avec les sacs qui se transforment en bureau et les sneakers. Pour moi, ce n’est pas très élégant... 

Comment décririez-vous votre style ? 

Epuré, contemporain, mais surtout féminin. Un vêtement contribue au bien-être selon la circonstance dans laquelle on se trouve. Le style est intemporel aussi, simple, minimaliste. On ne fera pas des fleurettes et des petits noeuds quand ce n’est pas nécessaire. Il faut pouvoir porter ses vêtements à plusieurs occasions. 

Mon plus beau souvenir, c’est la création de la robe de mariée de la princesse Mathilde, en 1999.

Enfant, étiez-vous déjà attiré par l’esthétique ? 

J’ai toujours aimé la déco. Je suis né à Ypres. Il y a soixante ans, on ne trouvait des boutiques de mode que dans les grandes villes. J’accompagnais alors ma mère, ma tante et ma grand-mère, à Lille pour faire du shopping. Je m’asseyais pour admirer les essayages. Ma mère aimait être élégante et cela n’a pas changé. 

Vos parents étaient brasseurs. Vous n’avez donc pas suivi la tradition… 

Non. Je ne me voyais pas brasseur... Mon père m’a dit que le principal était de trouver ma vocation. En m’orientant vers la déco, j’ai eu la chance de choisir mes études car, à l’époque, on faisait ce qui nous était dicté. La brasserie a été reprise par des cousins. Mais mon père a trouvé amusant de ressusciter la bière Ypra ensemble pour en faire un projet familial. J’en ai créé le design. La bière a été lancée au printemps dernier et marche du tonnerre. Mon père est décédé peu après, à 95 ans… 

Alors décorateur, vous créez une robe de mariée pour votre belle-sœur avec la maison de couture avec laquelle vous cohabitez, celle de Jacqueline Léonard, ancienne maison Paul Natan, qui cesse ses activités. La robe fait sensation et vous mène au stylisme… 

Oui, j’ai organisé mon premier défilé pour une œuvre caritative. La présence de la reine Paola, encore princesse à l’époque et marraine de l’association, y a attiré du monde. Les gens se sont interrogés à mon sujet et le lendemain j’avais des clients à la boutique. 

Le début d’une longue histoire avec la famille royale. 

En effet. Mon plus beau souvenir, c’est la création de la robe de mariée de la princesse Mathilde, en 1999. Une fierté et une belle visibilité internationale ! Je suis reconnaissant de pouvoir habiller les Cours d’Europe car ce sont des femmes élégantes qui incarnent le prestige d’un pays. Parmi elles, la reine Mathilde, la princesse Elisabeth, la princesse Claire, la reine Paola, la reine Maxima des Pays-Bas, sa fille la princesse Amalia, la grande-duchesse de Luxembourg Maria Teresa… Certains préfèreraient habiller Madonna ou Rihanna mais moi j’ai suivi une voie... royale ! 

Y a-t-il un revers de la médaille d’habiller les têtes couronnées ? 

Certaines disent ne pas vouloir être habillées comme Mathilde ou ne pas être royalistes, etc. Mais bon, je n’habille pas que les reines : les têtes couronnées ne représentent que 4 % de nos réalisations. Certains pensent que pour entrer ici il faut porter une couronne sur la tête, mais non ! Nous comptons une clientèle très fidèle et belge à 90%. 

Avez-vous des amis royaux ? 

En tant que fournisseur de la Cour, l’important est de développer une complicité mais pas de familiarité car Natan est une société de service : le service réside dans le bien-être de la cliente et la familiarité, disait ma grand-mère, engendre le mépris. Des distances sont mises par discrétion, pas par prétention. 

Vos relations avec la reine Mathilde ? 

Nous nous voyons souvent depuis vingt-cinq ans mais je garde ma place. Mon but ? Contribuer à la bonne image de la famille royale. Je suis donc un peu un créateur d’image… Généralement, la reine vient chez nous car on a tout le matériel ici mais il est arrivé qu’on se déplace au palais royal pour des 21 juillet, quand les agendas deviennent plus serrés. 

Que pensez-vous de la mode « de la rue » ? 

A l’Expo 58, les femmes portaient un tailleur, un sac et des gants. Regardez la rue maintenant ! ça manque d’élégance, de couleurs, les gens portent n’importe quoi. Ce côté sportswear, ces pantalons informes, la superposition de vêtements, le confort.

Que ne verra-t-on jamais dans votre dressing ? 

Du noir ! Je suis toujours habillé en bleu marine car j’aime la sobriété. Une couleur plus douce et dynamique que le noir. Tout se ressemble dans mon dressing. Cette uniformité fait partie de ma personnalité. Les gens ne s’attendent pas à me voir en haute fantaisie.

Les diktats qui imposent de porter ceci ou cela à tel âge ont disparu.

Loin des tissus, qui est Edouard Vermeulen ? 

Je vis seul, parfois je le regrette mais mon métier m’a permis d’avoir une vie sociale très intense. Mon entreprise, c’est ma famille ! La passion et l’esthétique guident mes journées. J’observe ce que les gens portent dans la rue, au restaurant, au théâtre, à un dîner caritatif, familial… J’aime marcher, la déco, visiter des expos car l’art inspire la mode. Je joue aussi au golf pour la nature et l’oxygénation du cerveau… 

La couture comme loisir ? 

Non, je ne sais même pas coudre un bouton ! 

Vous avez 66 ans. A quand la retraite ? 

Si j’ai officiellement l’âge d’être pensionné ce n’est pas le cas dans ma tête. Ce métier accélère la vie. La mode se renouvelle sans cesse, il faut sentir ce qui va plaire… Deux fois par an, on recommence tout. Donc la création vous projette dans le futur plutôt que dans le passé. Tant que j’aime, je continue ! 

Pour clôturer cette année festive des 40 ans, vous venez de publier un livre dédié à l’univers Natan et vous proposez actuellement, à Bruxelles, une exposition de modèles emblématiques de votre histoire. Vous avez déjà des projets ? 

L’autre jour, Stéphane Bern m’a appelé pour dire que l’épouse du président Macron souhaiterait me rencontrer. Puis, j’aimerais encore habiller des têtes couronnées dans d’autres pays comme le Danemark ou la Jordanie, ouvrir une boutique à Madrid, avoir un destin plus international… 

Lancer une collection hommes ? 

Non, jamais ! Ca ne m’intéresse pas. L’homme trouve déjà tout ce qu’il veut sur le marché et la mode masculine est très jeune, très streetwear. Il y a moins de créativité possible que pour la femme. On ne va pas faire un costume à six manches! 

– Exposition “Natan 40 ans”, Espace Vanderborght, 50 rue de l’Ecuyer, 1000 Bruxelles. Jusqu’au 31/12. www.natan.be/fr/expo
– Livre « NATAN 1983- , Edouard », aux éditions Borgerhoff & Lamberigts. www.borgerhoff-lamberigts.be

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