© Photo Franky Verdickt

Rencontre avec l’actrice Veerle Baetens: « J’appréhendais de travailler avec des ados »

Veerle Baetens est heureuse de pouvoir enfin présenter son film Débâcle au public belge. Actrice internationalement reconnue, elle passe pour la première fois derrière la caméra pour porter à l’écran le roman éponyme de Lize Spits.

Un vrai caméléon. C’est le qualificatif qui nous vient à l’esprit lorsque nous rencontrons Veerle Baetens dans un bar de Bruxelles. Ce n’est pas la blonde de The Broken Circle Breakdown, ni la Cheyenne aux cheveux ras de la série française Cheyenne & Lola. Elle arbore une chevelure noire, coupe mulet, qui fait partie de sa transformation pour le personnage qu’elle interprète dans Come Back, dont la sortie en salle est prévue l’an prochain. Mais aujourd’hui, ce n’est pas l’actrice que nous interviewons, c’est la réalisatrice de Débâcle.

La tension doit être grande à la veille de la sortie de Débâcle en Belgique, quand on sait l’énorme succès rencontré par le roman de Lize Spit dans notre pays.

Je suis heureuse que le film ait pu être présenté en avant-première à l’étranger et qu’il ait été bien accueilli. Chez nous, il y a eu un véritable engouement pour le livre (Het Smelt, traduit en français sous le titre La débâcle, ndt), ce qui met évidemment un peu de pression, mais je suis prête. Lorsque vous réalisez un film comme celui-ci, vous espérez qu’il touchera le plus grand nombre de personnes possible. Et, à l’image d’Eva, le personnage principal, vous souhaitez évidemment qu’il y ait un public.

Qu’est-ce qui vous a attirée dans cette histoire?

L’invisibilité, le fait d’être sous-estimé parce qu’on ne répond pas à certaines normes. J’ai été très émue par la terrible solitude du personnage principal mais aussi par cette adolescente, cette jeune femme, qui veut avoir sa place au milieu des garçons. Cela a fait écho à ma propre jeunesse. L’adolescence est un âge important, riche en découvertes qui ont une grande influence sur la vie d’adulte. Dans le cas d’Eva, vient s’ajouter à cela un lourd traumatisme.

Comment s’est déroulé le travail avec d’aussi jeunes acteurs?

J’appréhendais beaucoup de travailler avec des ados. Ils dégagent parfois une sorte de léthargie que j’ai du mal à comprendre. Mais j’ai trouvé des acteurs magnifiques. Nous avons passé beaucoup de temps ensemble avant le tournage. J’ai parfois dû les bousculer, me montrer dure, mais ils ont accepté mon intransigeance car nous avons créé un vrai lien de confiance. D’ailleurs, nous nous voyons encore aujourd’hui. J’estime qu’il est important d’être là pour eux dans la mesure où ils ont vécu une fameuse expérience.

Ont-ils changé votre regard sur cet âge?

Absolument. J’étais entourée d’enfants très matures avec lesquels on pouvait discuter, ce qui, vu le sujet du film, était primordial. Les parents de certains d’entre eux sont venus me trouver pour me dire combien ils avaient changé depuis le tournage. Ils ont réussi à se transcender, ils ont appris à parler entre eux de leurs peurs, de leurs insécurités et de ce qu’ils aiment. C’était très beau à observer. Grâce au lien de confiance que nous avons tissé, ils ont osé se jeter à l’eau. Au bout du compte, je crois que j’appréhende davantage de travailler avec des adultes car un acteur formé peut avoir certaines résistances… ce qui m’arrive de temps en temps (rires).

Quelle actrice êtes-vous?

J’ai beaucoup appris sur le métier d’acteur en me mettant moi-même en scène. Par exemple que je ne devais pas perdre ma confiance en moi lorsqu’un metteur en scène me demande d’essayer une autre façon de faire. Alors que par le passé j’aurais rapidement rechigné, aujourd’hui je me plie sans hésiter et tant mieux si ça marche. J’ai également appris à être plus présente face à mes partenaires, à être dans l’instant. Je mets de côté tout ce que j’ai préparé pour pouvoir réellement entrer en interaction avec les autres acteurs.

Vous êtes pourtant connue pour préparer très méticuleusement vos rôles. Êtes-vous en train de dire que vous laissez un peu tomber cet aspect de votre travail?

Non, pas du tout. Je continue de me préparer, parfois trop, jusqu’à la maniaquerie. Mais une fois sur le plateau, j’essaie d’oublier tout le travail effectué en amont. Les autres acteurs apportent eux aussi leur vécu et je dois leur laisser de l’espace. Si vous vous en tenez trop à votre personnage, les autres acteurs risquent de se heurter à un mur, impossible à franchir.

Analysez-vous systématiquement vos personnages?

J’ai un dossier pour chaque personnage que j’interprète. Pour certains une demi-page suffit alors que pour d’autres j’ai besoin de quinze pages pour analyser et décrire leur passé et leur caractère. Je travaille ensuite avec des modèles psychologiques, comme l’ennéagramme ou les cinq blessures de la psychologue canadienne Lise Bourbeau. Tout cela me fascine: comment devient-on une personne singulière? Le physique m’interroge aussi car je crois que le psychique influe sur nos attitudes corporelles.

Lequel de vos personnages a fait l’objet de l’analyse la plus longue?

Celui que je viens de jouer dans Come Back. Voilà un être humain extrêmement complexe! (Veerle Baetens joue le rôle de Naomi, une ancienne DJ qui veut revenir sur le devant de la scène et entraîne sa fille Ava dans le milieu des boîtes de nuit, ndlr.). Elle a une relation complexe avec sa fille mais leurs liens sont solides. J’aime cette dynamique d’attraction répulsion. J’aime jouer des rôles de mère comme celui-là parce que notre société blâme les femmes qui ne sont soi-disant pas de bonnes mères. Mais qu’est-ce que ça veut dire être une mauvaise mère?

Veerle Baetens

– 1978: Naissance à Brasschaat
– Études au Conservatoire royal de Bruxelles
– 2007: Joue Sara dans la série VTM du même nom. Remporte l’étoile de la télévision flamande, catégorie meilleure actrice.
– 2012: Joue Elise dans The Broken Circle Breakdown. Le film est nommé aux Oscars. Prix de la meilleure actrice aux European Film Awards.
– 2020: Joue Cheyenne dans la série française Cheyenne & Lola.
– 2023: Réalise Débâcle, d’après le best-seller de Lize Spit.
– Vie privée. Mariée à Geert Vlegels, preneur de son. Maman de Billie Louise.

Vous jouez avec votre propre fille, Billie. Comment s’est déroulé le tournage?

Ça a été très chouette et très intense. Nous ne sommes pas du tout pareilles. Je suis beaucoup plus directe qu’elle, qui est moins expansive. Je suis évidemment d’abord une mère mais, en tant qu’actrice, c’est un peu mon travail de tirer des choses de ma jeune partenaire. Et elle ne se laisse pas faire facilement, ce que je comprends. Elle a quatorze ans et, à cet âge, on observe le monde, on s’ouvre à l’extérieur. Elle écoute volontiers ses amis, ses professeurs ou les autres adultes qui l’entourent et je le respecte. C’est un bonheur de la voir s’épanouir.

Vos parents ne vous ont pas encouragée à devenir actrice.

Pas vraiment. J’ai dû me rebeller contre mon père. Après le divorce de mes parents, ma mère m’a laissé faire. J’ai poussé Billie à jouer dans le film mais pas nécessairement à devenir actrice. Elle décidera elle-même si c’est ce qu’elle veut faire. Je pense que cette expérience est bonne pour sa réalisation personnelle, pour son développement. C’est quelque chose qui manque dans notre système éducatif, tellement axé sur la connaissance, c’est-à-dire une seule partie du cerveau. Ce n’est pas la faute des enseignants, mais des politiques qui décident des programmes scolaires. Pour les enfants qui pensent différemment, il est très difficile d’être heureux dans ce système. Ils aimeraient être encouragés à ouvrir d’autres portes.

Vous tournez régulièrement en France. Est-ce facile de jouer dans une autre langue que sa langue maternelle?

Je stresse toujours beaucoup lorsque je dois jouer en français. J’ai par exemple joué un juge d’instruction. C’est un jargon très spécifique avec beaucoup de mots compliqués que j’ai commencé à travailler quatre mois avant le tournage. Je ne pouvais ni ne voulais changer un seul mot au texte. Mais si, arrivant sur le plateau, le metteur en scène me dit qu’il a opéré quelques petites modifications, je panique complètement. Ceci dit, il est parfois plus facile de jouer en français parce que, justement, j’ai moins de liberté qu’en néerlandais, où je peux improviser. J’ai l’impression que les choses sont plus «correctes».

Y a-t-il une personne que vous admirez?

J’étais tellement fan de Michael Jackson autrefois que j’ai renoncé à admirer qui que ce soit.

Parce qu’il vous a déçue?

Notamment, mais surtout parce que je suis moi-même devenue actrice. Je fais mon truc, je travaille dur, mais ai-je besoin de courage pour cela? Peut-être un peu. Je ne suis pas Martin Luther King, ni Sophie Scholl qui s’est dressée contre le régime nazi et l’a payé de sa vie. Je m’inspire de ces personnes qui ne baissent pas la tête, qui mettent leur vie en jeu. Voyez l’actrice Carice van Houten qui s’est engagée activement dans la lutte contre le changement climatique au risque de mettre sa carrière en péril.

Feriez-vous pareil?

Je ne sais pas. Mon père a un côté très activiste. Il est allé au Suriname pour faire de la coopération au développement. J’aime aussi beaucoup créer des histoires avec d’autres. Si je m’occupais trop de la misère du monde et pas assez de la fiction, je deviendrais malheureuse. Car la réalité me fait parfois souffrir. Je pense aussi être un peu lâche. J’ai peur que les gens cessent de me considérer comme une actrice, que le mystère s’évapore.

Contenu partenaire