© Photo Frédéric Raevens

Rencontre avec l’astronome Michaël Gillon: « Trouver des traces de vie ailleurs, mon rêve... »

Il était une fois, dans notre galaxie, un gamin fan du film « E.T. ». Plutôt dans la Lune à l’école, son parcours atypique le propulsa sur une bonne orbite: la chasse aux exoplanètes.

Aux murs, des affiches du cosmos. Sur son bureau, une fusée Saturn V. Dans ses yeux, des étoiles. Michaël Gillon nous reçoit à l’institut d’astrophysique de l’ULiège. Après le prestigieux Prix Francqui (le Nobel belge, ndlr), le chercheur FNRS vient de décrocher le prix de « Wallon de l’Année » pour ses découvertes. Son dada? La recherche et l’étude d’exoplanètes, soit de planètes en orbite d’autres étoiles que le Soleil. Son but? Y détecter des traces de vie...

D’où vient votre passion pour les mystères de l’univers?

Ma fascination pour la question de la vie extraterrestre remonte aux premiers films de science-fiction que j’ai vus comme « E.T. », « Rencontres du troisième type », « L’odyssée de l’espace », puis aux revues scientifiques de vulgarisation. En secondaires, j’étais fainéant, dans la Lune... Je trouvais les maths, la physique et la biologie rébarbatives. J’étais plus axé sur le sport et le fun. Alors, à 17 ans, je me suis engagé à l’armée, dans l’infanterie! C’était très chouette mais j’ai développé une fibromyalgie et n’ai plus été capable d’être opérationnel. J’ai recommencé à lire des ouvrages de science-fiction puis de sciences... Trouvant cela passionnant, j’ai entamé, à 24 ans, des études à l’Université de Liège en biologie, puis en physique, biochimie et astrophysique. Comme c’était l’époque du boum des exoplanètes, j’ai orienté ma carrière dans cette direction. Mes sept ans à l’armée m’ont aidé à acquérir la détermination pour mes études.

Pouvez-vous expliquer vos travaux?

Après ma thèse de doctorat en astrophysique, j’ai fait un post-doctorat à Genève de 2006 à 2009, au sein de l’équipe qui a découvert la première exoplanète en 1995. J’ai alors eu l’idée de développer un petit télescope robotisé pour observer des transits d’exoplanètes: le passage d’une planète devant son étoile la rend moins brillante, à intervalles réguliers. Grâce à ce télescope, nommé Trappist et installé au Chili, on a découvert, en 2017, le système Trappist-1: sept planètes similaires (en taille et en masse) à la Terre, en orbite autour d’une étoile dix fois plus petite que le Soleil. Avec mon équipe, on a ensuite monté, en 2019, le projet, plus ambitieux, de réseau télescopique Speculoos. Sa mission est de chercher des planètes potentiellement habitables autour des étoiles naines ultrafroides les plus proches. D’ailleurs, on va bientôt annoncer officiellement sa première découverte: le système Speculoos-2 qui compte deux planètes. On met tout en oeuvre pour que Speculoos en trouve beaucoup plus!

Pourquoi Trappist et Speculoos?

Fier d’être belge, je voulais donner une connotation sympathique. Pour un futur télescope infrarouge, je pensais à « boulet », en référence à Liège. J’avais demandé un financement mais le projet n’est pas passé...

Vos télescopes se trouvent à différents endroits sur Terre et Trappist-1 à quarante années-lumière... Comment travaillez-vous?

On se connecte via un VPN pour une liaison sécurisée et, par l’ordinateur, on donne des instructions au programme de contrôle qui gère tout: il ouvre le télescope, pointe, observe... Un autre programme automatique analyse les observations et les résultats arrivent à la maison. Je me souviens avoir détecté le signal de la première exoplanète de Trappist quand j’étais dans mon salon, à Anthisnes. Avant, je passais jusqu’à deux heures par jour à regarder les données de la nuit. Maintenant, ce sont surtout les jeunes de mon équipe qui s’en occupent car je suis fort sollicité: je donne cours, je participe à des conférences scientifiques à l’étranger, je vais aux observatoires des deux hémisphères, je rédige des demandes de financements, etc.

J’ai la tête dans les étoiles mais je garde les pieds sur Terre! Michaël Gillon

Qu’est-ce qui vous comblerait?

J’aimerais apporter un élément de réponse à la question « Y a-t-il de la vie ailleurs? ». On se la pose depuis la révolution copernicienne lorsque l’astronome Nicolas Copernic (XVIe s.) a affirmé que le centre de l’univers n’était pas la Terre mais bien le Soleil. La détection d’atmosphères sur le système Trappist-1 serait extraordinaire!

Ensuite, détecter des traces de vie sur ces exoplanètes serait mon rêve. C’est faisable dans une échelle, disons, de dix ans car il faut accumuler les données. Cela dépendra des performances du télescope spatial James-Webb de la Nasa, fonctionnant dans l’infrarouge et opérationnel à partir de juin, mais aussi de l’étoile qui doit être calme, ne pas envoyer de signaux parasites... Depuis 1995, quelque 5.000 exoplanètes ont été répertoriées dont une cinquantaine sont potentiellement habitables, c’est-à-dire rocheuses et à bonne distance de leur étoile pour permettre l’existence d’eau liquide à leur surface.

Attention, le terme « habitable » ne signifie pas que l’homme pourrait y vivre mais juste qu’une forme de vie y est possible. Et parmi ces cinquante planètes, celles de Trappist-1 sont vraiment propices à des études, à distance, de composition atmosphérique car il s’agit d’un système relativement proche du nôtre.

Cette vie ailleurs existerait sous quelle forme?

On a l’exemple de la Terre où, pendant trois milliards d’années, la vie était uniquement bactérienne. Ce n’est qu’il y a 600 ou 700 millions d’années que des formes de vie plus évoluées sont apparues. Et on sait que des formes de vie plus complexes ne sont possibles qu’avec un niveau d’oxygène suffisant dans l’atmosphère. Je pense que les formes de vie dans l’univers sont en majorité des bactéries. Mais pour une fraction de planètes habitées, il y a eu le temps et/ou les conditions propices à l’apparition d’un niveau d’oxygène assez fort pour permettre des formes de vie plus complexes, y compris des êtres pensants, voir plus évolués que nous. C’est très probable car l’Homo Sapiens est apparu il y a deux cent mille ans seulement alors que l’univers, immense, est vieux de treize milliards d’années. Mon intime conviction? Nous ne sommes pas seuls... Et peut-être même que « les autres » nous observent, avec consternation!

Y aurait-il une planète bis pour les humains? Sur Trappist?

Nous n’avons pas la technologie pour effectuer ce voyage extrêmement long et nous serions très mal adaptés à l’environnement de ces exoplanètes: soit on reçoit plein de rayons X et UV ; soit on se cache sur la face sombre mais alors c’est la nuit perpétuelle... Par ailleurs, s’il existe une planète habitée, elle doit être pleine de microbes impossibles à gérer par notre système immunitaire. Nous mourrions en quelques jours. Sur Mars, on peut construire des conditions habitables pour les humains mais bon, vivre dans des bunkers ne me tente pas, moi.

Le physicien Stephen Hawking disait qu’on a cent ans pour quitter la Terre afin de survivre. Qu’en pensez-vous?

C’est une idée grotesque même s’il était très brillant. La seule planète pour laquelle nous sommes faits, c’est la Terre. Je dirais qu’on dispose de quelques années pour renverser la situation au niveau du réchauffement climatique. On va droit dans le mur! L’humanité ne s’arrêtera pas complètement mais une catastrophe globale engendrera énormément de souffrances. Plus on injectera de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, moins la bande équatoriale sera habitable car trop chaude, plus les phénomènes météo extrêmes se multiplieront, plus haut sera le niveau de la mer, etc. Les décideurs n’ont pas l’air de s’en rendre compte...

On va annoncer la découverte du système Speculoos-2. Michaël Gillon

On pourrait s’interroger sur l’intérêt d’investir tant dans la recherche de planètes de toute façon inhabitables par l’humain...

La curiosité fait partie de notre ADN. Je comprends que certains ne perçoivent pas l’intérêt d’acquérir davantage de connaissances sur l’univers mais ces recherches sont aussi vectrices de progrès technologiques. Par exemple, les détecteurs de plus en plus précis développés pour étudier les étoiles et d’autres phénomènes lointains, ont été utilisés dans les gsm ou encore dans l’imagerie médicale. Les algorithmes développés pour trouver une aiguille dans une botte de foin quand on analyse nos données venant de l’espace, servent aussi dans plusieurs applications. Ce n’est pas de l’argent gaspillé ni des montants colossaux. James-Webb est le projet le plus cher de tous les temps en astronomie: 10 milliards de dollars mais sur vingt ans. A côté du budget militaire de l’armé américaine ou même européenne, ce n’est rien.

Vous avez compté parmi les 100 personnes les plus influentes du monde. Mieux, on vous surnomme parfois le nouveau Copernic...

C’est vraiment exagéré! Copernic a, lui, révolutionné notre vision de l’univers. Je suis content que mes travaux et ceux de l’équipe soient reconnus, que le domaine se développe en Belgique. Les distinctions ouvrent les portes, aident à convaincre de financer un projet. Recevoir le Prix Francqui m’a fort touché et mon récent prix du « Wallon de l’année », remis par l’Institut Destrée, me rend fier. J’ai la tête dans les étoiles mais les pieds sur Terre!

L’espace fascine votre famille ?

Pas du tout mon père, qui était ouvrier, ni ma mère, secrétaire! Mais ma maman est ma plus grande fan! Mon fils Lucas, 10 ans, très curieux, veut parfois être astronome, parfois concepteur de jeux vidéos... Ma fille Amanda, 26 ans, chef d’équipe dans une entreprise, n’a jamais eu la fibre scientifique.

Rêvez-vous de voyager dans l’espace?

Le problème, c’est que j’ai une oreille interne fragile. Aller à la foire à Liège me rend déjà malade donc mon corps ne supporterait pas l’apesanteur!

Michaël Gillon

  • 24/1/1974: Naissance à Liège
  • 1991-1998: Soldat d’infanterie à Marche-en-Famenne
  • 1998-2002: Etudes de biochimie et de physique à Liège
  • 2006: Docteur en astrophysique
  • 2017: Découverte du système Trappist-1
  • Depuis 2018: Maître de recherches FNRS (Fonds de la recherche scientifique) à l’ULiège
  • 2021: Lauréat du Prix Francqui
  • 2022: Reçoit le Prix « Wallon de l’Année 2021 »

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