Rencontre avec Wim Distelmans, qui lutte pour le droit à l’euthanasie: « C’est le malade qui décide! »
Wim Distelmans est, en Belgique, l’un des premiers à avoir osé aborder de front des thématiques aussi sensibles que les soins palliatifs, les droits des patients et l’euthanasie. Si toutes trois ont reçu un cadre légal il y a vingt ans, le combat pour une fin de vie digne est pourtant loin d’être terminé.
Il fut un temps où Wim Distelmans se rendait aux quatre coins du pays pour pratiquer des euthanasies au domicile des malades car, à cette époque pas si lointaine, peu de médecins se risquaient à pratiquer un tel acte en raison de l’absence de cadre légal. Il lui est régulièrement arrivé de garer sa voiture trois ou quatre rues plus loin pour éviter qu’on puisse tracer sa plaque d’immatriculation. Une période qu’il qualifie d’hallucinante. Si les choses sont très différentes aujourd’hui, c’est en partie grâce à son engagement sans faille.
Avant tout, nos félicitations pour cet anniversaire. Dès le début, vous avez participé à l’élaboration de ces trois lois sur les patients qui ont fait une énorme différence pour tant de personnes. Peut-on dire que c’est un peu l’oeuvre de votre vie?
Pour être franc, j’ai un peu de mal avec des mots aussi lourds de sens. Il est vrai que je me suis impliqué très tôt dans ce combat et que je n’ai jamais lâché depuis. Ce qui caractérise mon parcours, c’est que j’ai toujours veillé à être cohérent. Au milieu des années 80, nous avons dressé le constat avec quelques collègues qu’on ne faisait rien ou presque pour les personnes gravement malades ou en phase terminale. C’est ainsi que nous avons introduit les soins palliatifs. Mais en dépit de ces soins, certains malades restaient incurables et demandaient explicitement qu’il soit mis fin à leurs souffrances. Nous nous sommes donc battus pour créer un cadre légal. Je suis parfois troublé d’être systématiquement présenté comme le visage de l’euthanasie alors que je suis également très impliqué dans les soins palliatifs.
D’où vient cet engagement pour l’accompagnement des personnes en fin de vie?
C’est un concours de circonstances si je suis devenu oncologue. À l’époque, la réalité était que, dans mon service, près de la moitié des patients atteints de cancer mouraient sans contrôle des symptômes ou accompagnement. En fait, pendant ma formation, les médecins passaient devant les chambres où les gens mouraient. Ils s’y intéressaient à peine. Mais moi oui! En embrassant la carrière d’oncologue, je savais que je serais régulièrement confronté à la mort de mes patients mais je voulais être utile à ces personnes en grande souffrance. Avec des collègues, nous nous sommes rendus en Angleterre et en Écosse qui, à l’époque, étaient à l’avant-garde des soins palliatifs. Ce que nous y avons vu nous a incités à créer ici les premières unités mobiles de soins palliatifs et un centre de jour de soutien, Topaz. Aujourd’hui, les soins palliatifs sont trop souvent limités aux personnes en phase terminale, alors que celles atteintes d’un cancer incurable mais qui peuvent encore vivre pendant des années en ont tout autant besoin.
L’époque où Monsieur le Docteur décidait de tout tend à disparaître. Et je trouve cela formidable! » Wim Distelmans
Adolescent, vous sembliez destiné à suivre une voie artistique. À 17 ans, vous aviez déjà réalisé votre premier film et vouliez étudier la réalisation. Pourquoi ce changement de cap?
Mon père m’a conseillé d’apprendre d’abord un « vrai » métier car dans le monde du cinéma je serais condamné à mendier des subsides toute ma vie. L’ironie veut que je fasse la même chose aujourd’hui pour le financement des soins palliatifs. Le cinéma est resté une passion et d’ailleurs on me demande parfois de relire des scénarios où il est question d’euthanasie pour que le récit soit le plus réaliste possible. C’est gratifiant.
Après mon bac en médecine, j’ai vécu mon moment de crise. J’ai alors totalement changé de cap. Je suis parti dans le sud de la France pendant un an où j’ai gagné ma vie comme berger puis, par l’intermédiaire d’un ami, comme maître-nageur dans un club privé de Monte Carlo. J’ai eu sous ma responsabilité les enfants de quelques célébrités, notamment ceux de la princesse Grace. Après cette année de réflexion, j’ai finalement repris mes études à la VUB. La mentalité de « libre pensée » que j’y ai trouvée a été une révélation.
Parlait-on librement de la mort dans votre famille?
Certainement pas. Mon père était un homme intelligent mais parler de la fin de vie était tabou. Même plus tard, lorsque j’ai été professionnellement impliqué, le sujet est resté très sensible. Lorsqu’il a commencé à souffrir de démence, j’ai essayé de lui parler de ce qu’il souhaitait pour la fin de sa vie, mais il est resté totalement fermé. La seule chose que nous avons pu faire, c’est l’entourer d’amour et d’attention.
Parfois, je voyais le désespoir dans ses yeux, mais je ne pouvais et ne devais rien faire. À aucun moment il n’a exprimé le souhait d’abréger sa vie. Vous devez respecter cela. Tout ce que vous pouvez faire, c’est exposer les possibilités. Je suis heureux que les nombreux débats sur la fin de vie aient amené les gens à penser à la maladie d’une manière plus émancipée. Il ne s’agit pas seulement d’avoir le contrôle de la fin de sa vie mais également de la période qui la précède, c’est-à-dire celle où la maladie évolue. L’époque où « Monsieur le Docteur » décidait de tout tend à disparaître. Et je trouve ça formidable.
En tant que médecin, vous avez eu à pratiquer plus d’une euthanasie. Quel sentiment éprouvez-vous?
Je considère que l’euthanasie est une décision du patient, comparable à la possibilité de refuser un traitement, par exemple. Si vous accompagnez votre patient dans ce processus mental, vous parviendrez également à la décision commune que ce peut être la conclusion logique. Pourquoi un médecin ne pourrait-il pas le faire? Pourquoi devrait-il être nécessairement choqué? L’actrice Dora Van der Groen a un jour dit que c’était la forme ultime de l’amour. Dans la plupart des cas, la famille se rallie au souhait du patient. Je consacre beaucoup d’énergie au cheminement mental qui conduit à la décision.
Au moment où l’euthanasie est pratiquée, les plus proches sont souvent présents, parfois même les petits- enfants. Le temps où il fallait cacher la mort est révolu. Avant de commencer, nous expliquons précisément le déroulement des choses. J’essaie toujours de faire en sorte que les derniers moments correspondent à ce que le patient souhaite. L’un peut encore vouloir écouter de la musique, l’autre siroter un verre de champagne. Choisir ainsi sa propre fin aide souvent les proches à faire face à la situation.
Je n’ai pas peur de mourir mais j’ai peur de l’inconnu, de tout abandonner et de laisser ma famille derrière moi. » Wim Distelmans
Beaucoup de choses ont changé en vingt ans, mais pas tout. Il n’existe par exemple pas encore de cadre légal à la sédation palliative ni à l’euthanasie en cas de démence.
Effectivement. L’euthanasie est le choix du patient mais dans le cas de la sédation palliative, c’est le médecin qui décide, en phase terminale, de le plonger dans un sommeil profond pour lui épargner des souffrances. Cela provoque souvent une énorme frustration chez les familles qui ne peuvent pas faire leurs adieux. Il y a parfois aussi des situations intolérables lorsque, par exemple, on n’utilise pas le bon médicament et que le patient se réveille. Il est urgent de mettre en place un cadre légal. Je suis actuellement cité comme témoin dans deux affaires impliquant des proches tellement désillusionnés par la sédation palliative qu’ils demandent que le médecin soit poursuivi en justice. Je trouve également incompréhensible qu’il n’existe toujours pas de réglementation pour les personnes atteintes de démence et d’autres lésions cérébrales non congénitales. Par exemple, dans votre déclaration de volonté anticipée, vous pouvez refuser l’alimentation par sonde si vous êtes atteint de démence mais pas indiquer que vous souhaitez l’euthanasie. Personne n’est obligé de choisir l’euthanasie mais on pourrait offrir cette possibilité. Je vois des situations déchirantes où les gens doivent décider trop tôt de recourir à l’euthanasie parce que ce ne sera plus autorisé plus tard. Cela m’indigne et me pousse à continuer le combat.
Avez-vous peur de la mort?
Je n’ai pas envie mourir mais j’ai peur de l’inconnu, de tout abandonner et de laisser ma famille derrière moi. Mais la mort ne me fait pas peur. L’angoisse de la mort peut être atténuée puisqu’il existe aujourd’hui des possibilités de « gérer » sa fin de vie. Je ne sais pas encore si je choisirai un jour l’euthanasie. Il faut être soi-même dans une situation de souffrance insupportable pour pouvoir juger. Ce que mes patients m’ont appris, c’est que beaucoup changent encore d’avis ou ne savent pas réellement ce qu’ils veulent. Il est peu probable que je sois différent.
Cela peut paraître étrange, mais l’humour peut s’avérer précieux en fin de vie.
Au centre de jour Topaz, nous sélectionnons aussi nos bénévoles pour leur sens de l’humour. C’est essentiel si on veut accompagner un patient en soins palliatifs. L’atmosphère est délibérément légère, ce qui ne veut pas dire que nous ne sommes pas sérieux ou respectueux. Je remarque que les personnes qui ont le sens de l’humour, l’utilisent aussi comme stratégie d’adaptation. Elles arrivent ainsi à réconforter leurs proches. Surtout dans ces situations, l’humour est quelque chose à conserver et à chérir.
Wim Distelmans
1952: Naissance à Brasschaat
1978-1986: études de médecine, spécialisation en médecine tropicale et pharmaceutique et recherche médicale (VUB)
1992: Spécialisation en oncologie (VUB)
Depuis 2000: Professeur en médecine palliative (VUB) et chef du service des soins palliatifs centre d’oncologie de l’UZ Brussel – Fondateur et responsable du centre de jour en soins palliatifs Topaz (UZ Brussel) – Fondateur de LEIF (Levens Einde Informatie Forum)
Depuis 2002: Coprésident de la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie
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