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Renouer les liens avec son frère ou sa soeur

Ann Heylens Journaliste

Les frères et soeurs sont, en principe, les membres de la famille qu’on aura connu le plus longtemps au cours de sa vie. Mais il arrive que les liens se distendent. Pourquoi? Et comment faire pour les renouer?

Il suffit d’observer de jeunes enfants pour s’en rendre compte: frères et soeurs peuvent être tout sucre, tout miel entre eux puis, la minute d’après, se chamailler comme chien et chat! Avec les parents, les frères et soeurs restent les membres référents les plus importants au sein de la famille: c’est avec eux qu’on apprend à partager, à interagir et à résoudre toutes sortes de conflits. On passe ensemble au moins vingt ans sous le même toit, avec les mêmes habitudes et les mêmes parents. La fratrie est en quelque sorte un laboratoire du quotidien.

Pourtant il n’est pas rare qu’à l’âge adulte les relations se distendent ou que la mésentente s’installe: on se voit de moins en moins et, dans le pire des cas, on rompt tout contact. « Souvent, le lien avec les frères et soeurs reste émotionnellement très chargé. Plus encore à mesure que les années passent, assure Luc Van de Ven, psychologue gériatrique. Quand les parents prennent de l’âge et deviennent plus dépendants, les enfants sont confrontés les uns aux autres, ils doivent se mettre d’accord sur le partage des tâches et prendre des décisions. »

GRAND FRERE HEROS OU PETITE SOEUR CHERIE

Comment expliquer que la relation se délite? La jalousie, des questions de statut (social et financier) entrent-elles en compte? Des soucis d’héritage? Une belle-soeur ou un beau-frère avec qui on n’a pas d’atomes crochus? « La plupart des problèmes répondent à des schémas qui remontent à l’enfance, explique Luc Van de Ven. On aurait tort de reprocher ces difficultés à nos parents, qui ont naturellement fait de leur mieux vis-à-vis de chacun de leurs enfants. Mais, inconsciemment, nos parents nous ont peut-être traités différemment.

Dans certaines familles, les enfants ont une étiquette. En forçant le trait, on a le surdoué qui réussit tout ce qu’il entreprend, le mouton noir, le négligent, le petit dernier à qui on passe tout... Des étiquettes qu’on garde toute sa vie, même lorsqu’on devient parent ou grand-parent et qui ont tendance à refaire surface, en particulier dans les moments de stress émotionnel. Qui va s’occuper de maman quand elle sera devenue dépendante? Le préféré? Ou celui qui a toujours dû tout faire? Sans aller jusqu’au conflit, cela peut compliquer la relation. »

« La source des conflits et le manque de compréhension remontent souvent à l’enfance, confirme Else-Marie van den Eerenbeemt, thérapeute familiale. Chacun se forge sa propre image de ses parents, de son enfance et du milieu dans lequel il a grandi. Plus les parents font de différences entre leurs enfants, plus cela risque d’être problématique à l’âge adulte. Tel ou tel enfant a-t-il été privilégié? Etait-il le chouchou de papa ou de maman? Qui a fait les meilleures études? Qui était le plus beau? Parfois, on croit avoir laissé derrière soi ces vieux schémas, mais ils se rappellent à nous lors d’événements existentiels, comme le décès du père ou de la mère. Dans ces moments-là, on se retrouve catapulté dans le rôle qui était le sien. Quelle est votre position dans la fratrie? Quelle reconnaissance avez-vous eue de la part de vos parents?  »

La source des conflits et le manque de compréhension remontent souvent à l’enfance.

LA RÉPARTITION DE L’HÉRITAGE

« J’ai mené des recherches sur la façon dont le partage d’un héritage affecte les relations entre frères et soeurs, poursuit Else-Marie van den Eerenbeemt. Chez la moitié d’entre eux, cela n’a pas fait de différence ; un quart a avoué que cela avait plutôt amélioré la relation ; pour un dernier quart, les choses se sont mal passées et la fratrie ne se voit plus. Mais il arrive aussi qu’un héritage permette à des frères et soeurs de se rapprocher. Une de mes patientes m’a dit qu’il avait fallu le décès de sa mère pour que sa soeur et elle deviennent vraiment des soeurs, capables de laisser derrière elles les tensions passées. Leur mère était du genre à diviser pour régner, ce qui avait fait naître pas mal de rivalité entre elles. »

« On croit souvent que les héritages déchirent les familles, mais quand les choses se passent mal, c’est bien souvent à cause de relations compliquées à l’origine, insiste Luc Van de Ven. L’héritage est moins une question d’argent ou de possessions que d’affection, d’attention et de valorisation au sein de la famille. Si le lien avec vos frères et soeurs est sain et solide, l’équité prévaudra. Idem s’il y a de la jalousie liée au statut ou à l’argent. On en revient souvent aux rivalités de l’enfance, quand il s’agissait de réussir aux yeux de son père ou de sa mère. »

DES PIÈCES RAPPORTÉES

Parmi les trouble-fête, il ne faudrait pas oublier les conjoints des uns et des autres, qu’on qualifie parfois de pièces rapportées. « Les conjoints peuvent en effet parfois poser problème, souligne Else-Marie van den Eerenbeemt. Il faut considérer les relations familiales à l’aune de toute une vie, pas juste au regard d’un incident. Nos beaux-frères et belles-soeurs ne sont pas au courant de tout notre vécu, ni de notre histoire familiale. C’est pour cela qu’ils se montrent parfois plus à cran sur ces questions familiales, ou moins tolérants face aux dérapages. Ils ne ressentent pas les émotions sous-jacentes avec autant d’acuité. »

On choisit son conjoint, on ne choisit pas son frère ou sa soeur. Souvent, dans les familles, il y a des frictions entre ces deux types de relations – choisies et non-choisies. Tôt ou tard, on en veut au conjoint qui nous aura incité.e à nous brouiller avec notre frère ou notre soeur. « Parfois, la pièce rapportée a bon dos, reconnaît cependant Luc Van de Ven. Parce qu’il est plus facile de blâmer un beau-frère ou une belle-soeur qu’un frère ou une soeur. Aucun d’entre nous n’acceptera facilement de voir un frère ou une soeur se détourner de nous de son plein gré. »

DES LIENS EXISTENTIELS

Parfois, la rupture survient malgré tout. « Même si on ne rompt jamais tout à fait les liens avec la famille, on les interrompt seulement, nuance Else-Marie van den Eerenbeemt. Qu’on le veuille ou non, un frère, une soeur, une mère et un père restent des personnages clés de notre vie. Ils ne deviennent pas des ex. Ce sont des liens existentiels qu’on ne peut pas rompre. Un frère ou une soeur reste le témoin de notre vie. On n’est pas forcément dans un lien d’amitié, mais il a une signification beaucoup plus profonde.

Ceux qui rompent avec un frère ou une soeur en ressentent une profonde souffrance. Couper les ponts avec un membre de sa famille donne aussi un très mauvais exemple à ses propres enfants. Car les choses ont tendance à se répéter d’une génération à l’autre. Avec cet argument, j’arrive souvent à convaincre les gens de renouer. Je leur dis: faites-le pour vos enfants. »

EN TERRAIN NEUTRE

« Il n’est pas rare qu’on vienne me trouver en disant: cela fait vingt ans que je n’ai plus vu ma soeur et maintenant elle a un cancer du sein. Que dois-je faire?, constate la thérapeute familiale. Ou: cela fait quinze ans que je n’ai plus vu mon frère, ni eu de ses nouvelles, or il a perdu son fils. Dois-je reprendre contact avec lui? Ce sont des coups du sort qui peuvent être décisifs. Mon conseil est en général: Allez-y, foncez! Mais revoyez-vous d’abord sans les conjoints respectifs. Et de préférence en terrain neutre, pas chez l’un ou chez l’autre, et pas pendant trop longtemps. « J’ai ainsi conseillé à deux soeurs qui étaient longtemps restées sans se voir d’aller au cinéma ensemble. Comme cela elles seraient assurées d’avoir un sujet de conversation, le film vu ensemble, avant d’en venir, petit à petit, à leur histoire commune. » En cas de gros conflit à régler, il faudra, en revanche, que les conjoints soient présents à moment donné.

« La famille parfaite n’existe pas, conclut le psychologue gériatrique Luc Van de Ven. Lorsque je travaillais avec des personnes atteintes de démence, je rencontrais très souvent les familles. On ne venait pas me voir pour des conflits familiaux, mais parce qu’il fallait prendre des décisions concernant le père ou la mère. Combien de fois ai-je vu des frères et soeurs se voler dans les plumes? La bonne entente ne se décrète pas. Tout le monde aimerait jouer dans un scénario idéal. Je ne dis pas que c’est impossible. Mais ce n’est pas la règle ».

Norbert, 67 ans: « Ma demi-soeur a coupé les ponts pour une histoire d’argent

A la maison, nous étions trois enfants, ma soeur, ma demi-soeur et moi. La mère de ma demi-soeur est morte jeune. Ma soeur et moi sommes les enfants du remariage de mon père. Lorsque mes parents ont atteint un âge avancé, on s’est rendu compte que l’héritage était au détriment de notre demi-soeur. Elle n’aurait droit qu’à un dixième du patrimoine. Ce n’était pas par mauvaise volonté de la part de mes parents, mais ils ne s’étaient jamais vraiment posé la question. Après de nombreuses discussions et frictions, surtout entre ma soeur et ma demi-soeur, nous avons réussi à nous mettre d’accord pour diviser la succession en trois. Et pourtant, notre demi-soeur n’était pas encore satisfaite. Elle ne comprenait pas que notre père n’aie pas correctement prévu sa succession. Quant à ma mère, elle a toujours eu tendance à se préoccuper davantage de ses enfants que de sa belle-fille.

Notre père est mort le premier. Notre mère avait un compte bancaire de quelques milliers d’euros à son nom. Ma soeur estimait que cela nous revenait à moi et à elle, pas à notre demi-soeur qui avait, de son côté, hérité de sa mère biologique. Nous avons donc partagé la somme en deux, et non en trois. Cela a suffi pour que notre demi-soeur décide de couper les ponts. Elle était blessée et a rompu tout contact. Ma soeur et moi ne comprenions pas qu’elle réagisse ainsi pour 1.000 ou 2.000 ?. J’ai proposé de lui verser ce montant, mais elle n’a rien voulu entendre. Nous sommes restés quinze ans sans nous revoir, jusqu’à son décès. Même sa fille et sa petite-fille, que nous voyions de temps en temps, ne nous ont plus recontactés. Nous avons juste reçu un faire-part de décès.

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