Carte blanche

« Une résidence de haut standing peut être un enfer une fois qu’elle devient maison de repos et de soins »

Carte blanche

A vous tous, résidents, familles, directeurs, personnels de MRS, politiques, journalistes et responsables associatifs... et à nous tous... futurs résidents potentiels

J’avais commencé ce texte le 4 décembre dernier, avant le décès de maman.

Je ne l’ai pas continué à l’époque trop occupée à m’occuper d’elle (avec l’aide de ma soeur , de mon mari et de la famille dont les petits enfants qui se sont relayés auprès d’elle), trop submergée par la douleur, par l’impression de ne pas faire assez pour l’aider. Je n’avais plus la force morale pour écrire.

Après le décès de maman, j’ai décidé d’attendre quelques semaines afin de sortir du « trop émotionnel », pour être « plus objective » dans mes propos. Je regrette aujourd’hui de ne pas l’avoir fait plus tôt et je tiens à préciser que la sortie du livre « Les Fossoyeurs » de Victor Castanet (livre que je n’ai pas encore lu) et les nombreuses réactions de la presse et des politiques ne m’ont aucunement influencée quant au contenu de ce courriel. Ce n’est que pure coïncidence... triste coïncidence.

Il n’est plus temps de tergiverser. Je ne veux pas accuser, ce n’est pas l’objet de ce témoignage mais il me faut parler, exposer les faits, oser critiquer en espérant que cela sera constructif, même si pour notre maman, il est trop tard. Il restera toujours ce sentiment de culpabilité. Et si nous avions réagi plus tôt ? Est-ce le risque de représailles à son encontre qui nous a poussés à être trop prudents ?

Une autre famille dont le père a particulièrement souffert nous a également fait part de ses griefs et d’une « expérience » similaire à la nôtre, au sein de cette MRS, au même moment.

En 2017, Maman, alors âgée de 92 ans et toujours en appartement a décidé d’entrer en maison de repos. Elle était tombée à plusieurs reprises , chutes heureusement sans conséquences graves ; elle ne se sentait plus en sécurité, seule. Son choix s’est porté sur une résidence « de luxe », séduite par le cachet du lieu, l’environnement et les nombreuses activités proposées. Encore fort indépendante et autonome, elle se promenait tous les jours dans le parc, allait faire ses petits achats dans la localité toute proche, participait aux séances de gymnastique, faisait encore quelques longueurs de piscine, jouait au bridge, lisait son journal, remplissait des grilles de mots croisés. Comme elle le disait souvent, les journées étaient trop courtes ! Elle communiquait régulièrement avec nous via le net. Sa nouvelle vie semblait lui convenir. Tout n’était pas parfait mais comme elle pouvait encore se déplacer, s’exprimer, demander... « ça roulait ».

Au fil des ans, elle a malgré tout perdu de la force et commencé à marcher avec l’aide d’un déambulateur, elle a aussi abandonné la natation, raccourcit ses balades mais ô bonheur, elle a toujours gardé les idées claires. Pendant plus de 4 ans, son état général n’a pas nécessité d’attention particulière de la part du personnel si ce n’est que très ponctuellement. Aucun reproche ne pouvait alors être adressé à la « Maison de Repos ».

Jusqu’à ce jour fatidique où elle s’est cassé le col du fémur. « Bêtement », en allant remplir sa bouteille d’eau à la fontaine au bout du couloir. Et ce jour-là, ce fût la fin de son indépendance.

Emmenée aux urgences d’un hôpital proche, après des heures d’attente et où aucun lit n’a pu lui être attribué, elle a été transférée ailleurs.

L’hospitalisation s’est avérée catastrophique. Aucune visite n’était autorisée à cause de la pandémie comme pour beaucoup d’autres personnes hospitalisées à cette époque. Outre le fait de ne pas avoir pu accompagner notre maman durant cette période douloureuse et difficile, personne n’a pu obtenir d’informations sur ce qui s’y passait réellement. Elle est ressortie de là, avec une prothèse certes, mais aussi avec une cuisse terriblement gonflée et douloureuse, avec une plaie suintante, un début d’excoriations au siège et un moral en berne. L’examen prévu pour contrôler l’état de sa jambe n’a jamais été réalisé malgré 2 jours supplémentaires d’hospitalisation. Il s’est avéré, par la suite, qu’il s’agissait d’une embolie artérielle. Le manque de communication claire et le manque de suivi entre l’hôpital et la résidence fût le départ de l’engrenage et il allait falloir 2 mois et demi pour réaliser enfin que la plaie à un talon qui ne guérissait pas, avait, en fait, une pathologie sous-jacente. Un désastre qui allait mener maman à sa fin, après moultes souffrances et une dégradation rapide de son état général.

Cette résidence de haut standing, presque parfaite comme maison de repos lorsque le résident est autonome, devient un enfer une fois qu’il faut s’appuyer sur le personnel pour tous les actes du quotidien.

Pourtant, malgré tous ces/ses problèmes, les douleurs lancinantes, la dépendance totale du jour au lendemain, maman, très volontaire, a décidé de lutter pour reprendre le contrôle de sa vie.

C’est alors que nous nous sommes rendu compte que cette résidence de haut standing, presque parfaite comme maison de repos lorsque le résident est autonome devient un enfer une fois qu’il faut s’appuyer sur le personnel pour tous les actes du quotidien, une fois qu’elle devient maison de repos et de soins.

Imaginez-vous, cher lecteur, cloué dans un fauteuil, ne pouvant vous déplacer qu’avec l’aide d’un tiers, ne pouvant rien attraper qui ne soit à votre portée et donc ne pouvant rien faire si ce n’est attendre l’arrivée d’un membre du personnel, baignant dans l’urine car bien sûr, du jour au lendemain on vous impose une couche. Un coup de sonnette... et l’attente commence. Et cette attente peut durer, durer, durer...

L’urine inonde le fauteuil (non, je n’exagère pas, c’est du constaté). La douleur peut attendre, les selles peuvent attendre, l’anxiété peut attendre, l’inconfort peut attendre...et les escarres s’étendent, se creusent... et la gangrène monte, monte inexorablement. L’attente se poursuit, interminable.

Je signale en passant que les changes seraient limités à 6 par jour (information donnée par une aide soignante) !

Les toilettes, tout particulièrement le week-end, sont régulièrement réalisées à la va-vite. La toilette intime fait souvent défaut entre les changes. Hygiène, confort, où êtes-vous ?

Il y a aussi cette multitude d’autres petites choses... insignifiantes me direz-vous !

Parfois pas de cuillère pour boire la soupe (il n’y en a plus lui dira-t-on à plusieurs reprises), un repas non moulu alors que le dentier a été égaré (n’est-il pas prévu de veiller attentivement au respect du régime alimentaire du résident ?), de l’eau chaude à la place du café ou rien du tout car oublié, pas de lait aujourd’hui, plus de sucre...Le temps que maman constate ces oublis, la personne préposée aux plateaux-repas est repartie.

Un petit café bien apprécié à 4 heures... mais le gâteau qui accompagne n’est pas prévu pour les personnes édentées. Tant pis pour elles! Une alimentation correcte et un apport de calories sont pourtant d’une importance capitale.

Négligence, maltraitance ?

Bien plus grave : certains soins médicaux sont réalisés en dépit du bon sens Je peux me permettre de le mentionner car nous sommes, ma soeur et moi, deux anciennes infirmières. Nous avons été surprises de constater à quel point certaines techniques étaient mal réalisées mettant en danger la sécurité du patient.

Suite à nos observations, je tiens à remercier la responsable de l’équipe de soins qui nous a écoutées. Elle a réagi en expliquant et réexpliquant les gestes corrects à son personnel, son suivi est devenu quasi quotidien. Cette infirmière nous a accompagnées toutes les trois (maman, ma soeur et moi-même), jusqu’au bout et nous a donné de ce temps précieux qu’elle n’a pas.

Malgré tous ces points négatifs je dois reconnaître que parmi le personnel de la résidence il y a beaucoup de personnes extraordinaires, pleines de bonne volonté, parfois désabusées et, souvent découragées par le manque de moyens et de temps, personnes que je suis heureuse d’avoir rencontrées. Merci à elles pour l’attention et le réconfort qu’elles ont pu apporter à notre maman au fil de son séjour là-bas.

Il semblerait qu’il soit mal vu que le personnel prenne le temps de bavarder avec le résident en dehors des moments chronométrés pour tous les actes précis de la journée. Le système mis en place ne leur permet pas de travailler dans de bonnes conditions : manque de formation continue, manque d’encadrement, manque de personnel (tout particulièrement la nuit et les week-ends) et en particulier, manque de temps pour un réel contact humain.

Si la majorité d’entre eux sont bienveillants, il me faut malgré tout ajouter que certaines personnes n’ont pas leur place auprès de nos aînés par manque de compétence professionnelle ou par manque d’empathie. Une évaluation préalable des membres du personnel pourrait s’avérer intéressante et profitable à tout le monde. Qu’en est-il de l’équivalence des diplômes de l’art infirmier car il nous a semblé évident que certains actes posés ne répondaient pas aux normes?

Certaines personnes n’ont pas leur place auprès de nos aînés par manque de compétence professionnelle ou par manque d’empathie.

Tout ce que je mentionne plus haut, nous l’avons constaté « de visu » . Heureusement, nous avons eu l’occasion d’être régulièrement présents auprès de notre maman dans les mois qui ont suivi sa chute. Nous avons tenté d’améliorer son quotidien, remédié le mieux possible aux différentes lacunes, réclamé la réfection du pansement, demandé un change, couru après le personnel, les chariots lors des repas, le café, la cuillère manquante, le lait, le repas moulu, l’anti-douleur dont l’administration a deux heures de retard etc. Ces petites choses insignifiantes pour nous bien portants font parties du peu de confort, de bien être et de plaisir qui restent à ces pensionnaires dépendants et bientôt mourants ...

Nous avons surtout tenu la main de maman de plus en plus désespérée et ne demandant qu’à partir.

Au fil des mois, les obstacles sont devenus infranchissables, le manque de mobilisation a aggravé ses raideurs articulaires. Nous l’avons vue se recroqueviller sur elle-même à une vitesse incroyable. Les dernières semaines, ses déplacements se limitaient à aller du lit au fauteuil et du fauteuil au lit comme dans la chanson de Jacques Brel, les passages de la kiné se faisant de plus en plus rares alors que les mouvements sont d’ un intérêt capital à cet âge et que tout devrait être mis en oeuvre pour les maintenir au maximum. Les plaies au siège sont devenues inguérissables.

Sans espoir de retour, avec les souffrances à la clé : douleurs atroces lors des soins d’hygiène et de l’installation au fauteuil. Les changements de position demandent habileté et douceur et donc une formation adéquate et du temps dont le personnel ne dispose pas.

Je devrais aussi évoquer « l’absence de présence » du médecin traitant ( un courant d’air). Invisible les derniers jours, malgré les appels réitérés de l’infirmière. Un comble !

Ou la nouvelle chaise roulante pour maman, commandée des semaines auparavant et qu’on lui propose enfin lorsqu’elle est devenue grabataire et que l’on attendait son décès d’un jour à l’autre... risible ou tragique ?

Mais chose curieuse et paradoxale, malgré tous les obstacles, maman s’est accrochée jusqu’au bout de l’année et, stoïque, elle a tout enduré.

Elle ne voulait pas se plaindre, et pourtant elle a beaucoup souffert. Digne et fière jusqu’à la fin.

Et le matin de Noël, maman a lâché prise, elle est partie... dans mes bras. Elle a « enfin » déposé les armes.

Tristesse et soulagement !

Nous nous sommes demandé comment les gens dépendants, isolés, sans famille vivaient au quotidien au sein de la MRS ? Physiquement, moralement ? Inimaginable !

Comme annoncé dans l’introduction, je n’ai lancé aucune accusation. Je n’ai fait que constater et rapporter ce que j’ai vu et vécu avec maman. Nous savions que son décès, vu l’embolie artérielle et la gangrène qui s’ensuivit assez rapidement, était inéluctable. Mais nous aurions tellement souhaité des journées sans douleur et des nuits apaisantes, une fin de vie plus douce et plus sereine. Cela ne lui a pas été octroyé... pourquoi ?

Deux choses très positives pour lesquelles je remercie de tout coeur l’infirmière responsable : elle a tout fait pour limiter au maximum les douleurs insupportables liées aux plaies et nous a laissées accompagner maman jour et nuit avant son dernier voyage.

J’ajouterai également que maman, après l’opération consécutive à sa chute, avait rempli les documents de non acharnement thérapeutique et refusait toute nouvelle hospitalisation et que sa volonté à été respectée.

Je ne m’excuserai pas d’avoir été aussi longue. Seuls les petits exemples « insignifiants » peuvent illustrer au mieux les lacunes, les défauts, le manque d’humanité. Et la liste n’est pas exhaustive.

Nous avons tous trop souffert de cette situation ahurissante : maman, l’ensemble de la famille, le personnel motivé.

Ce n’est pas rien d’entrer dans un home. Beaucoup d’entre nous y seront confrontés tôt ou tard. C’est une suite de deuils successifs, une dernière étape avant le grand départ.

Qu’en est-il des maisons de repos qui fonctionnent en sous-effectifs et continuent à engranger de plantureux bénéfices sur le dos de leurs « petits vieux » ?

Si vous n’êtes pas convaincu par mes propos et la triste réalité d’une vie en maison de repos ET DE SOINS, je vous suggère de prendre la place d’un résident, ne fût-ce que 48 heures en vous imaginant dépendant à 90%. Et lorsqu’on vous demandera de faire dans votre couche et d’y macérer durant plusieurs heures, vous pourrez donner vos impressions.

Bon courage à tous ceux qui vont essayer de changer quelque chose... quelques choses. Il y a urgence et du pain sur la planche. Il faut tout repenser et y mettre les moyens. Dans toutes les MR(S), quelles que soient leurs catégories car l’empathie et le professionnalisme sont un droit pour chacun.

Une petite remarque au passage : une crèche doit respecter à la lettre les normes d’encadrement , qu’en est-il des maisons de repos qui fonctionnent en sous-effectifs et continuent à engranger de plantureux bénéfices sur le dos de leurs « petits vieux » ?

Ce serait bien de penser : Humanité, Respect et Dignité... et nous irons tous dans la bonne direction.

Il y a aujourd’hui une Association pour Mourir dans la Dignité.

N’est-il pas grand temps de créer une Association pour vivre ses dernières années dans le respect mutuel?

CD, une lectrice endeuillée.

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