© getty images

Vers un permis limité après 70 ans?

Un projet de directive européenne prévoit de limiter la validité du permis de conduire après 70 ans. Le renouvellement pourrait être conditionné à un contrôle médical. Mais cette proposition est-elle seulement fondée?

Ce n’est qu’un tout petit paragraphe, dans un document qui fait près de 70 pages. Mais il est susceptible de compliquer la vie de nombreux citoyens belges et européens. Dans son récent projet de directive relative à l’harmonisation des permis de conduire au sein de l’Union, la Commission européenne propose que « les États membres réduisent les durées de validité administrative [...] à cinq ans ou moins pour les permis de conduire dont les titulaires [...] sont âgés de 70 ans révolus, afin d’augmenter la fréquence des contrôles médicaux ou d’appliquer d’autres mesures spécifiques, notamment des cours de remise à niveau ». Comprenez: une fois passé 70 ans, au sein de l’Union européenne, le droit de conduire pour tout détenteur du permis pourrait être systématiquement remis en question. Et ce, quel que soit son état de santé ou son profil. Pensionné ou travailleur actif, conducteur très occasionnel ou taxi-mamy sursollicitée, vivant à la campagne ou à la ville...

La mesure s’inscrit dans un plan d’action stratégique sur la sécurité routière, visant à faire diminuer drastiquement les décès sur la route et tendre vers le « zéro accident » d’ici 2050. En filigranes, cela revient à dire que les conducteurs plus âgés constituent une problématique à part entière.

Il est vrai que, rien que sur les routes belges, la proportion de 65 + morts dans un accident ne cesse d’augmenter: d’un tué sur six dans les années 90, nous sommes passé à un tué sur cinq il y a dix ans, et un tué sur quatre aujourd’hui. « Par kilomètre parcouru, le risque d’être tué ou gravement blessé est quatre fois plus élevé pour une personne âgée que pour l’ensemble des usagers, détaille Benoît Godart, porte-parole de l’Institut Vias. En 2020, 118 personnes de plus de 65 ans ont perdu la vie à la suite d’un accident de la circulation. »

Des conducteurs exemplaires

De là à conclure que les automobilistes âgés sont des dangers publics... « Ce serait une mauvaise interprétation du phénomène, estime le porte-parole de Vias. La tendance s’explique facilement par le vieillissement général de la population, qui se marque aussi sur les routes. Le risque plus élevé d’être tué ou blessé dans la circulation est surtout dû à une plus grande vulnérabilité. Les os se fracturent plus facilement et les blessures guérissent plus difficilement. » Et de faire remarquer qu’en outre, 63% des plus de 65 ans tués sur la route le sont en tant que piétons ou cyclistes... et ne sont pas derrière un volant au moment de l’impact. Dans toutes ces données, rien n’indique donc qu’il existe une corrélation entre âge et responsabilité en cas d’accident de la circulation.

Ce serait même le contraire! Selon les chiffres d’Assuralia, l’union professionnelle des entreprises d’assurances belges, c’est dans la tranche d’âge des 61-70 ans que la fréquence de responsabilité d’un sinistre – totale ou partielle – est la plus faible. « Et bien que cette fréquence augmente à partir de 70 ans, elle reste nettement inférieure à celle des 18-25 ans, ajoute Lars Vervoort, porte-parole chez AG insurance. Même le groupe des plus de 80 ans présente de meilleures statistiques que les jeunes conducteurs. » A titre d’exemple, entre 2018 et 2021, plus de 12% des conducteurs masculins de 19 ans ont vu leur responsabilité engagée dans un sinistre, contre un peu moins de 6% de leurs homologues de 81-85 ans. « L’âge du conducteur en tant que tel est en tout cas loin d’être le critère le plus déterminant dans le fait d’accepter d’assurer ou non un véhicule, fait remarquer Nevert Degirmenci porte-parole chez Assuralia. Il importe moins que l’historique de conduite et l’éventuelle accumulation d’accidents, ou encore que la puissance du moteur. »

Une règle facile à contourner

Si la directive venait à entrer en vigueur dans son état actuel, force est de contacter qu’il serait assez facile de la contourner. Tout du moins, pour autant que le conducteur n’ait pas encore soufflé ses 70 bougies... Elle prévoit en effet que la mesure ne serait appliquée « qu’à l’occasion du renouvellement du permis de conduire ». Pour les conducteurs de moins de 70 ans, la directive prévoit un permis d’une validité administrative de quinze (contre dix actuellement), automatiquement renouvelable. à 69 ans, il suffirait donc au conducteur de déclarer son permis perdu, pour en obtenir un nouveau valable... jusqu’à ses 84 ans. Et ce, sans devoir passer un contrôle médical ou un cours de remise à niveau. Ce ne serait qu’un répit, d’accord, mais un répit de quinze ans tout de même!

Auto-limitation

Certes, des études scientifiques prouvent qu’avec l’âge, le temps de réaction et les réflexes deviennent plus lents, tandis que certaines manoeuvres peuvent devenir plus compliquées à effectuer. Cela dit, le vieillissement est un processus très variable d’une personne à l’autre, pas lié à un âge précis. Et, de toute façon, d’autres travaux soulignent que la plupart des conducteurs sont bien conscients lorsque des difficultés commencent à apparaître et adaptent leur conduite en conséquence, en limitant l’usage de la voiture aux trajets indispensables (courses alimentaires, soins de santé...), en évitant les heures de pointe ou certains carrefours dangereux, par exemple.

Autant d’arguments qui font qu’aujourd’hui, en Belgique, ni les assureurs auxquels nous avons posé la question, ni les organismes liés à la sécurité routière, ni même le ministre fédéral de la mobilité ne semblent partisans de la mesure proposée par la Commission européenne. D’autant plus qu’en cas de doute, il existe déjà un système visant à contrôler l’aptitude des conducteurs (voir encadré) et que celui-ci semble être efficace.

L’âgisme, une nouvelle fois?

On est dès lors en droit de se poser la question: quels arguments met en avant la Commission européenne pour entraver le droit de conduire chez plus de 70 ans? « Aucun, répond d’emblée Julia Wadoux, de la plateforme AGE, ONG active au sein des institutions européennes et représentant une centaine d’associations de défense des aînés dans l’UE. Nous serions prêts à admettre cette mesure s’il y avait une explication objective du pourquoi de ce critère d’âge mais, dans l’étude d’impact de la directive, il n’y a aucune source justifiant quoi que ce soit. Notre sentiment est que cette limite d’âge est totalement arbitraire. »

Selon AGE, il semblerait que certains états membres, principalement d’Europe centrale ou orientale, aient pourtant à coeur de mettre une limite d’âge au permis et poussent en ce sens. La cause principale ne serait autre que des stéréotypes liés à la conduite et au vieillissement. « Stéréotypes entretenus aussi chez nous, ceci dit, tient à faire remarque Julia Wadoux. Il suffit de lire les faits divers dans la presse: si le protagoniste d’un accident était très jeune ou avait passé un certain âge, ce sera toujours souligné, ce qui ne sera pas le cas pour un quadragénaire, par exemple. »

Une mesure contre- productive

Entre-temps, si la mesure venait à passer en l’état, l’ONG souligne qu’elle pourrait avoir de fâcheuses conséquences pour les plus de 70 ans. « Retirer la possibilité de conduire à certaines de ces personnes équivaudrait à ne plus leur laisser rien faire au quotidien, notamment en zone rurale (voir plus loin). Le risque est d’augmenter leur isolement ou de les inciter à prendre tout de même leur voiture, en toute illégalité, car elles n’auront simplement pas le choix. »

A cela, il faut ajouter un risque d’auto-exclusion (« Si on me dit qu’à 70 ans, mon permis n’est plus valable, c’est que je ne suis plus en état de conduire »), le coût et les délais potentiellement dissuasifs pour réaliser les démarches de certification/renouvellement... et un possible effet contraire à la finalité de la mesure. « à partir du moment où certains auront un avis médical positif, ils risquent de ne plus remettre d’eux-même leur façon de conduire en question. »

La proposition de la directive possède en tout cas quelque chose de paradoxalement cynique, en portant un message équivoque: à une époque où l’âge de la retraite est un peu partout repoussé et où le maintien en activité est promu, le citoyen ne semble jamais trop vieux pour continuer à se bouger ou travailler... tant qu’il n’utilise pas sa voiture?

Des limitations déjà prévues

En cas de diminution des capacités fonctionnelles (maladie, accident...), Vias possède un département chargé d’évaluer l’aptitude à la conduite, le Cara. Le recours au Cara, non systématique, peut se faire du propre chef du conducteur, sur avis d’un médecin, mais il est aussi parfois demandé par une décision de justice ou un assureur, dans le cadre du renouvellement ou de la souscription à un contrat.

L’avis du Cara varie au cas par cas. Entre l’inaptitude et l’aptitude totale à la conduite, le Cara peut aussi se prononcer pour des aménagements ou des restrictions à la conduite qui limitent – sans interdire – l’usage de la voiture: conduite de jour uniquement, dans un rayon de x kilomètres, etc.

www.vias.be

Contenu partenaire