L'aboretum de Tervuren. © Frédéric Raevens

Déambuler au cœur de la forêt de Soignes

En partie classée à l’Unesco depuis 2017, la forêt de Soignes est surtout fréquentée dans ses parcs périphériques. Pénétrer en son cœur réserve pourtant de belles surprises.

Couvert de champignons, le vieux tronc du hêtre exhale un entêtant parfum de moisissure. En tombant, il a entraîné avec lui une impressionnante levée de terre, encore accrochée à ses racines. L’arbre est mort, et le lit de feuilles sur lequel il gît, en plein centre de la forêt de Soignes, constituera à jamais son tombeau: depuis 2017, la réserve Joseph Zwaenepoel est l’une des cinq zones de la Forêt reconnue par l’Unesco en tant que réserve forestière intégrale. Sur 270 hectares, plus question d’abattre les arbres ou d’entretenir les taillis. La nature y est désormais totalement laissée à elle-même. Tout au plus est-elle encore parcourue par quelques sentiers accessibles aux promeneurs. À l’entrée, une affiche met d’ailleurs en garde: un minimum de prudence est de mise, il n’est pas impossible qu’une branche pourrie ne dégringole sur le chemin ou qu’un colosse plus que centenaire, affaibli par le vent, ne finisse par s’effondrer.

Des vaches des Highlands paissent aux abords d'Hoeilaart.
Des vaches des Highlands paissent aux abords d’Hoeilaart. © Frédéric Raevens

Si la réserve Zwaenepoel et quatre parcelles de la Forêt de Soignes sont désormais classées au Patrimoine mondial, c’est qu’elles possèdent de nombreuses particularités remarquables. «La principale est que le sol sur lequel vous marchez en ce moment est le même depuis des milliers d’années», explique Ronny Mattelaer, guide nature au sein de l’association Natuurgroepering Zoniënwoud (voir encadré). Jamais mis en culture, ni abondamment dessouché, le paysage forestier a été préservé de l’érosion: ses vallons, ravines et reliefs sont globalement identiques à ceux qu’on y trouvait il y a 12.000 ans, quand les chasseurs-cueilleurs écumaient la région. En ce sens, c’est l’un des rares massifs européens à conserver ses caractéristiques post-glaciaires, et la seule hêtraie reconnue à ce titre par l’Unesco sur toute la façade atlantique.

Chasse et prêche

L’information peut semble étonnante, d’autant plus qu’aujourd’hui, la Forêt de Soignes est enserrée par les urbanisations brabançonnes et bruxelloise, traversée par le ring – qui laisse entendre son grondement sourd à des centaines de mètres – et l’une des voies ferrées les plus fréquentées de Belgique. Autant d’éléments qui n’incitent pas à pronostiquer une nature et un patrimoine à l’authenticité préservée!

En dehors des Bruxellois et des habitants de la périphérie, rares sont d’ailleurs les Belges qui envisagent d’y user leurs bottines lorsqu’ils désirent prendre un bon bol d’air. Et pourtant… Il ne faudrait pas oublier que pendant des siècles, les lieux ont été rigoureusement protégés, réservés à la jouissance presque exclusive de quelques privilégiés. Dès le XIe siècle, le massif forestier, à l’époque bien plus étendu, est acquis par les Ducs de Brabant pour en faire leur réserve de chasse. Passé aux Ducs de Bourgogne, puis à Charles Quint, il reste dans l’escarcelle des souverains de nos régions jusqu’au début du XIXe siècle, le mettant à l’abri relatif des braconniers et défricheurs.

La chapelle St-Corneille
La chapelle St-Corneille © Frédéric Raevens

Pour autant, à l’époque, la forêt n’est pas fréquentée que par les équipages de chasse, les gardes forestiers et quelques bûcherons patentés: le calme des lieux incite de nombreux religieux, ermites et contemplatifs, à demander à pouvoir s’établir au milieu des arbres. Dès le Moyen-Âge, près d’une dizaine d’abbayes et de prieurés y sont créés, avec jardins et dépendances. Loin d’être enserrés par la ville, Val Duchesse, l’abbaye de la Cambre ou le Rouge-Cloître étaient alors isolés en pleine nature!

Si ce n’est plus le cas, c’est qu’au début du XIXe siècle, la forêt passe sous propriété de la Société générale de Belgique. Elle est alors débitée en lots et vendue à l’encan. La forêt perd 60% de sa superficie, avant d’être rachetée par l’État. «Heureusement, quelques riches industriels, comme la famille Solvay, en profitent pour acheter de grands domaines, qui vont rester très boisés», détaille Ronny Mattelaer. Aujourd’hui, le Domaine régional de Solvay à la Hulpe, le Parc Tournay-Solvay à Watermael-Boitsfort, les abbayes de la Cambre à Ixelles ou du Rouge-Cloître à Auderghem, ainsi que le magnifique arboretum de Tervuren constituent les principales portes d’entrée de la forêt de Soignes, mêlant nature et patrimoine. Mais n’hésitez pas à sortir de ces (jolis) sentiers très battus et fréquentés pour vous enfoncer davantage sous le couvert…

L'aboretum de Tervuren.
L’aboretum de Tervuren. © Frédéric Raevens

L’hippodrome fantôme

Les profondeurs de la forêt cachent quantité d’histoires et de surprises, parfois difficiles à trouver sans l’aide d’un guide, mais souvent étonnantes. Près de Groenendael se cache ainsi un ancien hippodrome: fermé dans les années 80, il était très couru à la Belle Époque et se limite aujourd’hui à une clairière gigantesque, une lande désolée au milieu des arbres, au centre de laquelle trône l’ancienne loge royale, totalement restaurée, seule rescapée et battue par les vents. Sur le côté, un squelette de fer forgé où s’effectuaient les paris continue de tendre ses bras vers le ciel, rongés par les ronces. Quelques improbables vaches des Highlands, à la longue toison et au cornes impressionnantes, paissent en arrière-fond. Ajoutez-y un ciel tourmenté d’hiver, une fine pluie dans laquelle perce de temps à autre un soleil bas, et le décor aura tout du film fantasmagorique.

La loge royale de l'hippodrome de Groenendael.
La loge royale de l’hippodrome de Groenendael. © Frédéric Raevens

Plus loin, le sol de la forêt se couvre d’étranges dépressions, dessinant un réseau compliqué au pied des arbres. Des stigmates de la Deuxième Guerre mondiale, lorsque les Allemands camouflaient dans la forêt une quantité énorme de munitions destinées au Mur de l’Atlantique. «Auparavant, après la Grande Guerre, des prisonniers allemands avaient déjà été employés dans le coin pour déminer des obus. En 1919, une explosion a fait plus de 40 morts!»

Ces fantômes entrent en résonance avec les ruines de l’abbaye de Groenendael toute proche, dont il ne reste presque plus rien, si ce n’est quelques viviers dans lesquels chassent les hérons et un ancien scriptorium aujourd’hui colonisé par les chauves-souris. Sur la berge d’un des étangs, une minuscule chapelle dédiée à Saint Corneille continue visiblement à attirer de discrets fidèles: malgré l’interdiction, il n’est pas rare qu’une bougie y soit allumée. Par qui? Pourquoi? Toute forêt possède son parfum de mystère. Mais dans la forêt de Soignes, il est peut-être un peu plus puissant!

Se promener en forêt de Soignes

L’accès à la forêt de Soignes est totalement libre et peut se faire depuis Bruxelles, la Flandre ou la Wallonie. Une carte et plusieurs suggestions d’itinéraires à pied ou à vélo sont gratuitement disponibles sur le site de la Fondation forêt de Soignes www.foret-de-soignes.be. Ceci étant, un guide est parfois bien utile pour partir à la découverte de la nature ou du petit patrimoine, parfois difficile à trouver ou interpréter par soi-même. L’asbl Natuurgroepering Zoniënwoud (NGZ) propose plusieurs dizaines de thématiques de visites guidées, historiques ou naturelles, disponibles en français sur demande. Comptez 75€/guide, pour un groupe de maximum 25 personnes. Infos: www.ngz.be.

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