Des étangs aux bois sacrés

Patricia Kinard n’aime pas les forêts. Elle en a peint pourtant de prodigieuses, celles d’un monde qui n’existe pas. Elle y a été emmenée en passant sous des arbres dans le parc de Forest, qui se trouve en face de la galerie. Fascinant.

Très douce d’abord, la série de toiles s’obscurcit au fil des saisons et du voyage de l’artiste dans son monde intérieur. Mais dans ce monde parallèle qui peut parfois sembler inquiétant, l’hiver continue à s’orner de fleurs, de coeurs minuscules, d’éclats de cristaux, fruits d’un pinceau très fin et délicat qui illumine les toiles.

Mais tout a commencé avec des étangs...

 » Les étangs m’ont toujours fascinés, confie Patricia Kinard. A partir de l’automne 2020, je les ai observés jusqu’à devenir étang moi-même. Lorsqu’on va aussi loin, vous commencez à ressentir les effets physiques, comme la chaleur ou le froid, la fluidité boueuse ou la fraîcheur de l’eau. Mais dans un deuxième temps, au fond de l’obscurité, un mouvement s’enroule autour de nous, une douceur dangereuse ou une coupure. C’est vivant. Le fond est vivant. Ce qui pousse sur les bords dépend aussi des saisons, des couleurs apparaissent, des plantes pourrissent, d’autres naissent et les bourgeons s’ouvrent, entre les filaments blancs de l’hiver. Des champignons ? La glace fige l’extérieur dans un bleu de paradis mais dessous, le mystère subsiste, on croirait sentir de longs cheveux chauds et puis, bientôt, l’odeur change et les couleurs abondent, le parfum vous fait frémir, trembler jusqu’à l’extase...mais la surface de l’eau reste inerte, toujours comme un miroir où personne ne se mirera jamais... « 

Des étangs aux bois sacrés

En 2022, la présence florale s’inscrit pour la première fois dans un espace boisé. Peu à peu, ce sont bien des troncs qui règlent le rythme du regard. Ils sont deux, ils sont trois, lointains ou proches, surmontés ou précédés par les grappes de fleurs blanches, légères et généreuses comme des flocons de neige. On pourrait, par-delà les arbres lourds de feuilles chercher à rejoindre un horizon lointain, embrumé. Parfois, un point de vue élevé rend cette profondeur plus inquiétante, sans issue.

Des étangs aux bois sacrés

 » La lumière du jour pénètre doucement. La forêt change de couleur, du bleu dans les gris. Ce que tu prenais pour un serpent ou pire n’est qu’une branche cassée. Hé oui, la lune, que je déteste, nous joue des tours avec sa fausse lumière de reflet. Malgré tout, tu continues et tu te rencontres au fond d’un étang. Mais est-ce bien toi ? « 

Et, quand le plan se rapproche, c’est bien à une nature laissée à elle-même, grandissant et vieillissant loin des hommes, sauvages presque que la peintre nous propose. Parfois, le feuillu se déchire, ouvert sur une blancheur aveuglante. Parfois, c’est le noir qui perce les buissons pâles. Mais, au fil des mois et de l’hiver qui approchent, la forêt est bue par les encres nocturnes. D’abord, un bleu de crépuscule au coeur duquel les arbres ne sont plus que des ombres. Ensuite, un noir de nuit sans lune qui n’autorise que quelques aiguilles de blancheurs.

Des étangs aux bois sacrés

 » Entrer dans un bois sacré est interdit. Si tu y pénètres malgré tout, c’est à tes risques et périls. Il te faudra du courage, tu risques de n’y trouver que de l’obscurité et t’y perdre, éternellement. Tu risques d’y trouver une réponse différente, tout dépend de toi. Et puis, j’y suis entrée. Les fleurs tapissent le sol de minuscules points bleus et les pétales blancs m’inondent. Le parfum est intense. Ainsi, en avançant je prends conscience que tout se transforme. Il fait silence. Pas de chants d’oiseaux ni de craquements sous mes pas. Plus loin, la lumière semble faiblir, pétales disparus, tapis de mousse, miroirs d’eau et pas de bruit d’eau. L’obscurité est presque totale. « 

Des étangs aux bois sacrés

Est-ce donc là que nous emmène ces nouvelles toiles ? Patricia Kinard n’aime pas la forêt et ne s’y aventure qu’à contrecoeur. C’est une fois encore dans les jardins publics et les parcs qu’elle cherche et trouve l’instant où la lumière crée, autour de quelques arbres rassemblés, un mystère qui l’attire. Un moment qui va lui permettre, une fois dans l’atelier, de créer un nouveau lieu, un espace secret, habité et interdit comme le furent les bois sacrés dans la Rome antique et le sont dans le Japon traditionnel.

 » Quelque chose me pousse dans le dos et quelque chose me retient, voilà ce qu’est devenue ma vie maintenant...Combien de temps encore ? J’ignore où je vais et où va le monde. Vais-je sortir de ce bois ? Je pense que oui. Aux premiers bourgeons peut-être.  » Exposition ouverte le vendredi et samedi ou sur rendez-vous, jusqu’au 8 avril

Quadri Galerie, 105, avenue Reine Marie Henriette, 1190 Bruxelles, www.galeriequadri.com, jusqu’au 8 avril.

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