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Cancer: un traitement contre les récidives

La Belgique figure parmi les pays les plus avancés en matière de recherche sur de nouveaux traitements contre le cancer. Scientifique de haut niveau, la professeure Damya Laoui est sur le point de matérialiser une avancée révolutionnaire grâce à sa thérapie vaccinale contre les rechutes après un cancer.

À un moment ou à un autre de sa vie, un Belge sur trois sera confronté à une forme de cancer. Alors qu’il y a quelques décennies ce diagnostic n’offrait que peu de chances de guérison, les cartes sont aujourd’hui beaucoup plus favorables pour un grand nombre de tumeurs. En particulier pour les tumeurs primaires, le premier endroit du corps où apparaissent des cellules cancéreuses, les chances de survie ont considérablement augmenté. En revanche, les médecins restent jusqu’ici peu armés contre les récidives et les métastases. Jusqu’ici, car la toute nouvelle stratégie découverte par la bioingénieur Damya Laoui (VUB et VIB), nommée talent scientifique des Pays-Bas par New Scientist, suscite beaucoup d’espoir.

Comment vous est venue l’idée de développer une thérapie contre les rechutes après un cancer?

Dans environ 90% des cas, le décès d’un patient atteint d’un cancer est lié à des métastases ou à une récidive de la tumeur. Pour ces patients, le besoin d’un vaccin est donc très important. Plusieurs personnes de mon entourage, mon père et la mère d’une amie très proche, sont décédées du cancer. Au cours de mon doctorat de bioingénieure spécialisée dans le système immunitaire, j’ai étudié les cellules immunitaires qui se trouvent au sein même des tumeurs. La plupart se sont révélées «corrompues», en ce sens qu’elles contribuent au développement des cellules cancéreuses. Nous avons toutefois pu montrer que certaines d’entre elles continuaient à jouer leur rôle protecteur. Il s’agit des cellules dendritiques qui jouent le rôle de sentinelles du système immunitaire.

Comment ces cellules dendritiques peuvent-elles contribuer à l’élimination des tumeurs?

Les cellules dendritiques – un type de globules blancs – circulent dans l’organisme via le sang à la recherche de virus et de bactéries potentiellement pathogènes mais aussi de cellules cancéreuses. Elles capturent des fragments du corps étranger, comme une sorte de preuve de leur présence, avant de les remettre aux soldats – les cellules T – du système immunitaire, qui lèvent alors une armée pour combattre cette bactérie, ce virus ou ces cellules cancéreuses. Il existe différents types de cellules dendritiques. Certaines sont corrompues, mais deux types semblent être d’excellentes alliées pour détecter les cellules cancéreuses et recueillir des preuves. Après cette découverte, nous avons également mis au point une technique permettant d’isoler les cellules dendritiques spécifiques à une tumeur. Comme elles portent en elles de petits morceaux de matériel cancéreux, elles peuvent indiquer aux soldats, qui sont partout dans l’organisme, à quel endroit éliminer les cellules cancéreuses. Et ce n’est pas tout car elles peuvent également déclencher la mémoire immunitaire. Si le cancer devait réapparaître, vous disposez déjà d’une armée de cellules immunitaires prêtes à l’attaquer. Lors d’expériences sur des souris, nous avons pu démontrer de manière approfondie que cela fonctionne.

Les chances de guérison sont aujourd’hui beaucoup plus favorables pour un grand nombre de tumeurs.

Vous avez réussi à traiter des souris contre les métastases, mais pas encore de patients humains?

Nous savons que ces mêmes cellules dendritiques se trouvent également dans les tumeurs humaines et qu’elles fonctionnent selon le même principe. Voici brièvement ce que nous voulons tester chez l’humain. Supposons que vous ayez une tumeur au sein. Après l’ablation de la tumeur, nous sélectionnons uniquement les bonnes cellules dendritiques de la tumeur et les réinjectons ensuite dans l’organisme, comme un vaccin ou une thérapie personnelle. Elles vont le scanner à la recherche d’éventuelles métastases, impossibles à détecter par les médecins, et les élimineront. Si cette méthode fonctionne sur l’humain comme elle fonctionne chez la souris, elle changera définitivement la donne dans le traitement du cancer.

Provoque-t-elle également des effets secondaires à l’image d’autres thérapies anticancéreuses?

Nous n’en avons constaté aucun chez les souris. Il s’agit d’un matériel qui appartient à l’organisme dans lequel il est réintroduit. Chez l’humain, nous prévoyons de pré-stimuler les cellules dendritiques avant de les retirer de la tumeur de sorte qu’elles soient plus actives.

Cette opération est possible en stimulant la moelle osseuse pour qu’elle en produise davantage. Nous savons, grâce à d’autres applications, que la pré- stimulation fonctionne bien même si elle peut provoquer une légère gêne très temporaire.

Cela ne fonctionne-t-il que pour les tumeurs du sein?

Non. Nous l’avons déjà testé avec succès sur des souris atteintes de tumeurs pulmonaires et nous travaillons actuellement à une étude sur les cancers de l’ovaire. Il s’agit également d’un type de cancer pour lequel peu de thérapies sont disponibles aujourd’hui. Peut-être que d’autres tumeurs solides seront éligibles.

Pourquoi faut-il autant de temps pour passer de la souris à l’humain?

Je pensais qu’après cette découverte en 2016, nous pourrions passer rapidement à l’humain mais il y a beaucoup d’étapes à franchir. De l’approbation éthique à l’établissement de protocoles, en passant par des exigences de qualité strictes et, bien sûr, le financement.

Actuellement, un membre de l’équipe travaille à plein temps pour régler les questions éthiques et administratives afin que nous puissions commencer à travailler avec des patients en 2026, du moins si le budget est au rendez-vous. Nous sommes actuellement financés par, entre autres, le Fonds Yamina Krossa de la VUB, Kom op Tegen Kanker et la Fondation contre le cancer. Nous avons encore besoin d’environ du double de ce dont nous disposons déjà pour démarrer l’essai clinique, mais nous avons bon espoir.

Aujourd’hui, les immunothérapies fonctionnent pour 30% des patients atteints d’un cancer du poumon.

Pouvez-vous déjà aider des patients aujourd’hui?

Non. C’est déjà techniquement possible, mais nous devons absolument recevoir l’approbation éthique de l’essai clinique. Je reçois régulièrement des demandes de patients qui souhaitent essayer. Je les comprends d’autant mieux qu’ils sont le véritable moteur de notre engagement. S’il nous arrive parfois de travailler jusque minuit, c’est parce que nous pensons d’abord à eux. Même si je ne peux sauver qu’un seul patient, j’aurai atteint mon objectif.

Les progrès pourraient être plus rapides avec davantage de moyens financiers, mais comme il s’agit d’une thérapie utilisant du matériel prélevé dans l’organisme, elle ne présenterait pas d’intérêt pour l’industrie pharmaceutique?

C’est effectivement parce qu’il n’est pas possible de produire cette thérapie à grande échelle, que nous n’attirons pas de partenaires industriels. Les grandes sociétés pharmaceutiques recherchent d’autres types de vaccins. Lorsqu’une cellule mute en cellule cancéreuse, elle produit certaines substances, les antigènes. Les laboratoires étudient les antigènes les plus courants dans les tumeurs et tentent de mettre au point un vaccin ARNm qui déclenche une réponse immunitaire contre ces antigènes. Cela pourrait constituer un vaccin curatif pour de nombreux patients mais certainement pas pour tous. BioNTech tente même de mettre au point un vaccin préventif contre le cancer utilisant le même modus operandi.

Quelles sont les autres grandes tendances à venir en matière de lutte contre le cancer?

La possibilité d’analyser rapidement et à moindre coût les tumeurs jusqu’au niveau cellulaire constitue une avancée capitale. Les données recueillies nous permettront de mettre beaucoup plus rapidement au point des thérapies personnalisées. Aujourd’hui, les immunothérapies fonctionnent pour 30% des patients atteints d’un cancer du poumon, mais nous ne pouvons pas prévoir pour qui elle fonctionnera. L’analyse des tumeurs permet de mieux prédire ce qui a des chances de fonctionner. Un patient chez qui on constate l’inefficacité du traitement après trois mois a perdu un temps précieux. Le choix de l’horaire de la thérapie anticancéreuse fait également l’objet d’une attention croissante. En effet, de plus en plus d’études montrent que le rythme circadien – l’horloge interne qui régule tous les processus de l’organisme – joue un rôle majeur et qu’un médicament administré le matin ou le soir a un effet différent parce que les cellules sont dans un état différent à ces moments-là.

Et si votre vaccin n’avait finalement aucun succès sur l’humain?

Nous y croyons beaucoup, mais un problème peut toujours survenir. Nous l’anticipons déjà. Par exemple, sur des souris très résistantes aux traitements anticancéreux, nous étudions des combinaisons avec certaines immunothérapies existantes. Par ailleurs, nous suivons plusieurs axes de recherche qui pourraient également déboucher sur des avancées significatives.

Serons-nous un jour en mesure d’éradiquer le cancer?

Je ne le pense pas, mais j’espère qu’avec le temps, nous apprendrons à vivre avec, comme avec d’autres maladies chroniques. Les gens mourront avec un cancer et non plus du cancer. C’est déjà le cas pour certains types de cancer de la prostate.

Damya Laoui, scientifique belge d’origine algérienne

– 12 mars 1985: naissance
– 2016: Découverte d’un vaccin anticancéreux pour la souris (VUB)
– 2017: Désignée comme l’une des principaux innovateurs européens parmi 35 autres.
– 2020: Obtention de la prestigieuse bourse Collen-Francqui start-up

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