Démences: un défi pour demain
Les démences sont aujourd’hui l’un des plus grands défis de la recherche. Si l’espoir d’une thérapie médicamenteuse est encore loin, les facteurs de risque sont aujourd’hui mieux connus. Les maîtriser permettrait d’éviter une démence sur trois.
En janvier 2018, la société pharmaceutique Pfizer annonçait mettre fin à ses recherches de médicaments contre la maladie d’Alzheimer et la maladie de Parkinson. » La R&D (recherche et développement) n’a pas fourni les résultats escomptés afin d’aider les patients « , a déclaré à la presse Danny D’Hulster, directeur médical de l’unité belge, en référence aux essais cliniques qui avaient nécessité des millions d’euros d’investissement. Faut-il y voir un signe de découragement ? » Il n’y a plus eu d’avancées importantes dans la compréhension de la maladie depuis au moins une dizaine d’années, « résume le Pr Philippe van den Bosch de l’UCL. » Il y a beaucoup d’effets d’annonce autour des études parce que les chercheurs sont en quête de financement. Mais la plupart du temps, les tests sont effectués sur des souris et les résultats ne peuvent être facilement extrapolés « , explique Margaux Leroy, chargée de communication pour la Ligue Alzheimer. Pourtant, la fréquence des démences ne cesse d’augmenter. Aujourd’hui, ces maladies concernent déjà 9 % des plus de 65 ans et jusqu’à 34 % des plus de 90 ans. Compte tenu du vieillissement de la population, elles pourraient toucher quelque 132 millions d’individus dans le monde d’ici 2050 contre 50 millions actuellement.
Les traitements disponibles contre la maladie d’Alzheimer sont purement symptomatiques
Les biomarqueurs en question
La maladie d’Alzheimer est désormais clairement définie par la présence de trois types de lésions : la perte neuronale, l’accumulation de peptides bêta-amyloïdes (qui forment les plaques amyloïdes), et l’agrégation des protéines tau, qui engendre une dégénérescence neurofibrillaire. L’arrivée des » biomarqueurs « , détectés grâce à une analyse du liquide céphalorachidien, recueilli par ponction lombaire, a par ailleurs permis d’établir des diagnostics beaucoup plus fiables. Chez une personne malade, la protéine tau se retrouve en effet dans ce liquide à des taux anormalement élevés, tandis que les peptides amyloïdes, enfermés dans les » plaques « , sont absents. » Ce n’est cependant pas un test qu’on effectue en routine mais seulement chez les personnes jeunes, en cas de démence précoce, ou quand il y a un sérieux doute « , précise le Pr Philippe van den Bosch. D’autant que les biomarqueurs ont aussi amené sur le devant de la scène un problème éthique : détectables bien avant les premiers signes de la maladie, ils permettent de prédire son apparition... alors qu’il n’existe actuellement aucun traitement curatif. Dans la plupart des cas, ils sont donc aujourd’hui cantonnés au rôle d’oiseau de mauvais augure...
Du vaccin aux polyphénols
Actuellement, les traitements disponibles contre la maladie d’Alzheimer sont purement symptomatiques : ils peuvent améliorer la qualité de vie des patients mais sont incapables d’empêcher l’évolution de la maladie. Leur efficacité, tout comme leurs effets secondaires, est par ailleurs très variable d’une personne à l’autre. Ces médicaments se divisent essentiellement en deux familles – les inhibiteurs de la cholinestérase et le chlorhydrate de mémantine – et sont parfois associés ensemble (bithérapie). » Ces thérapies s’adressent presque à tous les patients en début de maladie, quand il y a un trouble cognitif léger. Ils améliorent la situation pendant quelques années mais ensuite, ça devient plus compliqué « , commente le Pr van den Bosch. Très coûteux, ces médicaments doivent d’ailleurs prouver leur efficacité chez le patient via une évaluation régulière auprès d’un neurologue : s’ils ne sont pas ou plus efficaces, ils ne seront pas remboursés.
Beaucoup de molécules et de stratégies thérapeutiques ont donc été testées ces dernières années, à commencer par l’immunothérapie. Celle-ci consiste à créer des anticorps capables de cibler les peptides amyloïdes, à l’origine des plaques. Un processus similaire à celui du vaccin dans lequel les chercheurs avaient placé beaucoup d’espoirs mais qui a échoué à montrer une efficacité sur le processus de dégénérescence. Une autre stratégie thérapeutique consiste à intervenir avant la formation des plaques, pour empêcher leur développement, en ciblant une enzyme particulière, la bêta-sécrétase, qui participe à la formation des peptides amyloïdes. En bloquant cette enzyme, la cascade de réactions entraînant la maladie pourrait ainsi être endiguée. Enfin, certaines recherches tentent d’empêcher l’agrégation de tau, grâce à une molécule qui stabiliserait la protéine et l’empêcherait d’entraîner des dégénérescences neurofibrillaires. Les chercheurs s’intéressent en particulier aux polyphénols (présents dans le thé vert, le curcuma ou le vin rouge), même si ces substances restent aujourd’hui difficilement métabolisables par le foie. » Les perspectives thérapeutiques existent, résume le Pr Philippe van den Bosch, mais elles reposent sur une compréhension du métabolisme de la maladie qui est encore incomplète. «
Des facteurs de risque mieux connus
Aujourd’hui, l’attention se concentre donc aussi sur les facteurs de risque de la maladie. Une étude publiée en 2017 par le journal médical The Lancet faisait ainsi état de neuf facteurs de risque, du plus dommageable au moins dommageable : la perte d’audition au milieu de la vie (45-65 ans), le fait de ne pas avoir fini ses études secondaires, le tabagisme, la dépression, l’inactivité physique, l’isolement social, l’hypertension, l’obésité et, enfin, le diabète. En agissant sur l’ensemble de ces facteurs, les chercheurs estimaient dans cette étude qu’un cas de démence sur trois pourrait être évité !
Veiller à ce que les capacités auditives ne baissent pas entre 45 et 65 ans diminue les risques de démence
Veiller à ce que, grâce à une approche ciblée, les capacités auditives ne baissent pas entre 45 et 65 ans, diminuerait les risques de cas de démence. » De nouvelles études à grande échelle démontrent qu’un début de baisse d’audition non corrigé entraîne une détérioration des capacités cognitives trois fois plus importante que chez une personne qui entend bien, analyse le Pr Paul Van de Heyning, ORL. Lorsqu’on entend moins bien, on a aussi tendance à s’isoler, ce qui peut entraîner une dépression. En s’équipant trop tard d’une aide auditive, on ne rattrape pas les capacités cognitives perdues. «
Accroître l’éducation au début de la vie réduirait par exemple les cas de démences de 8 %. Préserver l’audition au milieu de la vie (45-65 ans) par une prise en charge adaptée réduirait ce chiffre de 9 %. Quant à l’arrêt du tabac chez les plus de 65 ans, il permettrait de faire baisser le nombre de cas de 5 %. Par comparaison, contrer le facteur de risque génétique principal de la maladie d’Alzheimer, caractérisée par la présence de la version d’un gène appelé » APOE4 « , réduirait, lui, le risque de 7 %. » Il est important que ces facteurs de risque soient connus de la population : le mode de vie peut faire beaucoup, notamment l’activité physique et le maintien d’une vie sociale « , estime le Pr Philippe van den Bosch, qui souligne par ailleurs l’influence de facteurs environnementaux. Des perturbateurs endocriniens bien connus comme les parabènes, le bisphénol A, les phtalates ou certains pesticides pourraient en effet être impliqués dans le développement des maladies d’Alzheimer et de Parkinson.
Alzheimer dans la cité
Pour l’heure, les énergies se concentrent sur la prise en charge, avec différentes initiatives qui visent à préserver la qualité de vie des personnes concernées. » Nous avons beaucoup progressé ces dernières années par rapport à la perception qu’on peut avoir de la maladie. Avant, la démence était quelque chose de complètement tabou. Le diagnostic était perçu comme la fin de tout. Notre combat est au contraire de montrer qu’il est possible de maintenir une bonne qualité de vie, même avec Alzheimer « , explique Margaux Leroy. La Charte » Ville Amie Démence « , mise en place pour encourager les pouvoirs locaux à inclure les personnes malades dans la cité, témoigne de cette évolution. Tout comme le » Protocole Disparition Seniors » initié par la police fédérale avec la Ligue Alzheimer pour répondre au problème fréquent des » fugues « . » La prise en charge est un enjeu majeur. Idéalement, bien sûr, il faut être encadré par des parents proches : c’est cela qui permet le maintien des souvenirs, des activités, des relations « , conclut le Pr Philippe van den Bosch.
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