
Le sel est-il toujours dangereux pour la santé?
Longtemps considéré comme l’ennemi n°1 en cas d’hypertension, le sel a aussi été suspecté de nuire à toute la population. Des affirmations aujourd’hui nuancées par la recherche…
Quel est l’impact du sel de cuisine sur l’hypertension et la santé cardiovasculaire? La question semble basique, mais est actuellement fort débattue au sein de la recherche. Pour bien comprendre le débat, une remise en contexte sur la pression artérielle (PA) s’impose… Communément appelée «tension», la PA est indispensable à la vie: tout comme un réseau de chauffage a besoin d’être sous pression pour amener l’eau chaude jusqu’aux étages les plus élevés, une pression dans les vaisseaux sanguins est nécessaire pour parvenir à irriguer correctement l’ensemble des organes, même les plus éloignés ou périphériques.
Dans le corps humain, c’est le cœur qui génère cette pression, en se contractant et en propulsant le sang dans les veines et artères. «Or le cœur n’est pas une pompe continue mais pulsatile, intermittente, explique le Pr Fabian Demeure, cardiologue et spécialiste en prévention cardiovasculaire au CHU UCL Namur. Pourtant, quand il se relâche, une certaine pression persiste, sinon nous passerions d’une tension de 150 à 0 mmHg entre chaque battement.»
L’âge avant tout
Cette continuité de pression est due à une certaine élasticité des vaisseaux: ceux-ci accueillent la surpression lors de la contraction cardiaque, avant de la restituer lors du relâchement. C’est ce qui explique que la PA, si elle est continue, n’est pas constante, et qu’il existe deux valeurs pour la quantifier: la pression systolique (le maximum atteint pendant la contraction du cœur) et la diastolique (le minimum, lorsque le cœur se relâche).
Tout comme une surpression dans un réseau de chauffage, une pression sanguine trop élevée est délétère pour l’ensemble du système: elle «fatigue» le cœur et peut être source d’arythmie, d’infarctus ou d’insuffisance cardiaque, mais elle endommage aussi les conduits sanguins (avec risques d’AVC ou de rupture d’anévrisme) et les organes (surtout les yeux et les reins). «Or plus on avance en âge, plus la pression va avoir tendance à augmenter, souligne le cardiologue. Ce n’est pas une maladie en soi, c’est dû aux vaisseaux qui deviennent plus rigides. Cela explique aussi pourquoi l’écart entre pression systolique et diastolique tend à se creuser avec le temps.»
Le double effet du sel
Le principal facteur de risque de l’hypertension est donc le vieillissement. D’autres sont liés à la génétique ou à l’origine ethnique. Faute de pouvoir agir sur ces éléments, et au-delà d’un éventuel traitement médicamenteux, il va falloir miser sur d’autres leviers pour faire baisser la tension: l’hygiène de vie et une alimentation équilibrée. Parmi les aliments qui posent un problème, on retrouve le sel de cuisine, ou chlorure de sodium (NaCl), longtemps pointé du doigt car capable de faire monter la tension via plusieurs mécanismes.
«Pour le dire de façon assez simple, le sel retient l’eau, détaille le Pr Demeure. En favorisant cette rétention, il fait augmenter le volume sanguin dans les veines et artères. Et qui dit plus de volume, dit plus de pression.»
Une consommation maximale de 5g de sel/jour reste pleinement justifiée chez les personnes hypertendues.
Cette rétention va aussi venir perturber le fonctionnement du système rénal: celui-ci a la capacité de produire davantage d’hormones pour éliminer un excès d’eau et de sodium via les urines mais, en cas d’apports élevés et constants en sel, il va se dérégler. «Non seulement les hormones vont être produites de façon excessive, ce qui aura un impact sur la rigidité des vaisseaux sanguins, mais petit à petit, le mécanisme va s’épuiser: les reins vont finir par tolérer une pression plus élevée comme «normale», sans enclencher de correction.» D’après une récente étude parue dans Nature, l’excès de sel influencerait également la flore intestinale, là encore avec une possible hypertension à la clé.
Un coupable trop facile
Le constat a dès lors longtemps semblé simple: en cas d’hypertension, il suffisait de limiter au maximum, voire de supprimer, sa consommation de sel pour espérer voir sa tension baisser et limiter les risques cardiovasculaires. C’est le célèbre «régime sans sel», très contraignant, en vigueur il y a quelques décennies.
On sait désormais que la réponse à ce type de régime est variable d’une personne à l’autre: la sensibilité au sodium et son impact sur l’hypertension est en partie génétiquement déterminée. «Le sel, considéré seul, n’a plus tellement d’importance: ceux qui en consomment le plus sont d’ailleurs souvent ceux qui ont une alimentation déséquilibrée, puisqu’on retrouve de grandes quantités de NaCl dans les fastfoods ou les plats préparés, nuance le professeur. Mieux vaut donc viser en priorité une alimentation équilibrée (comme le régime DASH, proche du régime méditerranéen), une éventuelle réduction du poids et une bonne hygiène de vie (arrêt du tabac, etc.), même si une diminution des apports salés peut optimaliser les effets.»
Les recommandations de l’OMS (maximum 5g de sel/jour) restent donc pleinement justifiées chez les personnes hypertendues, chez qui l’effet bénéfique global d’une réduction de sodium – via un régime «pauvre en sel» – est bien documenté. «Dans les faits, il est difficile d’estimer sa consommation de sel et d’atteindre des quantités si basses, reconnaît le cardiologue. Ce que je dis aux patients, c’est que le sel auquel ils ont droit, ils le trouvent déjà dans leurs aliments, sans devoir en apporter davantage. En d’autres mots: oubliez la salière à table et faites de votre mieux.»
Tension: plutôt 120 que 130
Selon les recommandations de la Société européenne de cardiologie, on parle d’hypertension lorsque la tension va au-delà de 140 mmHg systolique et 90 mmHg diastolique. «Ce n’est pas parce qu’on est en-dessous qu’on est dans des valeurs normales: l’idéal est d’être en-dessous de 120-70», souligne le Pr Demeure.
Conso modérée : OK ?
Quid de la population qui n’est pas hypertendue? «La chose est un peu plus compliquée ici: on a peu de données sur la dose optimale de sodium à consommer.» Une étude de 2018, publiée dans le Lancet, a remis en question la dose théorique maximale recommandée de 5g de sel/jour (2g de sodium), qui prévalait depuis des dizaines d’années: chez les patients consommant des quantités de sel faibles ou modérées (jusqu’à 10g/jour), il n’y aurait aucun bénéfice cardiovasculaire à les réduire dans leurs habitudes alimentaires. Chez les plus petits consommateurs, un apport trop faible en sodium pourrait même augmenter les risques de mortalité. A l’inverse, une grande consommation de sel (au-delà de 12,5g par jour) est tout de même corrélée à une augmentation des risques d’AVC.
Des résultats peu ou prou confirmés par d’autres études depuis lors, mais décriés par une partie de la communauté scientifique, pour qui cette dédiabolisation partielle du sel pourrait avoir des effets délétères. Le sujet reste donc fort débattu. Mais faute de réponse claire, peut-être pourrait-il être intéressant de se pencher sur sa propre consommation?
On l’a dit: il est difficile d’estimer ses apports en sodium et il n’est pas impossible qu’ils ne soient pas si «modérés» que cela, même en prenant l’étude du Lancet pour argent comptant. «Il y a beaucoup d’aliments riches en sel de manière détournée, confirme Serge Pieters, professeur de diététique à la Haute-Ecole Leonard de Vinci. Le pain, les charcuteries, les fromages, les conserves, les plats préparés, de nombreux produits sucrés. En moyenne, les enquêtes de consommation montrent que le Belge mange encore trop de sel, jusqu’à 12g par jour.»
Un mois pour s’habituer
Sans bannir totalement le NaCl, en s’autorisant de temps à autre un petit plaisir trop salé, il pourrait être intéressant de limiter son usage au quotidien. Car c’est bien l’usage immodéré sur le long terme qui pose problème.
«L’important, c’est de conserver un plaisir gustatif et donc de ne pas être trop strict non plus. Un exemple? On peut garder le pain salé, mais peut-être mettre dessus un effiloché de poulet, une tranche de roastbeef plutôt que de jambon. La viande est alors naturellement salée, suffisamment que pour être gouteuse, mais pas trop non plus. Et puisque le sel est avant tout utilisé comme exhausteur de goût, on peut aussi chercher du côté des herbes, des épices, des aromates pour ajouter de la saveur aux aliments… Gardez à l’esprit qu’il y a un temps d’adaptation quand on réduit sa consommation de sel. Mais comme pour le sucre, on peut estimer qu’en un mois, on arrive à se déshabituer.»
Des réflexes d’autant plus intéressants à acquérir que la consommation excessive de sodium est aussi associée à d’autres maladies, comme des cancers digestifs.
Sel de potassium: une alternative ?
Le sel de potassium (en réalité un sel mixte à base de chlorure de sodium et de chlorure de potassium) est parfois présenté comme une option pour saler ses aliments tout en réduisant l’apport de sodium. Pour le Pr Demeure, ce peut être une bonne alternative au sel, pour autant qu’il soit utilisé avec parcimonie. La consommation de potassium (via l’alimentation ou le chlorure de potassium) a démontré un bénéfice cardiovasculaire, mais est déconseillée à certains profils, notamment en cas de problèmes rénaux. Discutez-en toujours avec votre médecin avant d’en utiliser.
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