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L’IG bas, chouchou des régimes santé

Les régimes à IG bas suggèrent de sélectionner les aliments suivant leur propension à faire augmenter le taux de sucre dans le sang. Mais quel est l’intérêt de cette méthode, parfois contre-intuitive?

Dans quel mesure un aliment peut-il faire grimper le taux de sucre dans notre sang? C’est devenu le point d’attention de nombreux influenceurs santé, comptes Instagram consacrés à la healthy food et livres de cuisine saine promouvant une alimentation «à index glycémique bas». L’idée est ici de favoriser des aliments provoquant une hausse modérée et ralentie de la glycémie – l’autre nom du taux de sucre sanguin – afin d’éviter de trop fortes variations. Avec à la clé, selon les promoteurs de la méthode, moins de fringales (et donc une éventuelle perte ou une stabilisation du poids), une meilleure santé, plus d’énergie, voire une diminution du risque de développer des maladies cardiovasculaires ou un diabète de type II.

L’essence du corps

Mais comment fonctionne ce régime IG bas? Pour y voir plus clair, le mieux est encore de reprendre la problématique à la base. Tout tourne en réalité autour d’un sucre: le glucose. C’est le carburant préféré de notre corps. Ou, pour être plus précis, la façon la plus efficace de transporter l’énergie vers nos cellules, via le réseau sanguin, afin d’assurer le bon fonctionnement de nos muscles, de nos organes et de notre cerveau. Suivant les besoins, le glucose peut être stocké sous forme de glycogène dans le foie, relargué dans le sang ou stocké dans les muscles. «On peut vraiment faire la comparaison avec l’essence dont un moteur a besoin pour tourner, illustre le Pr Laurent Crenier, médecin spécialiste en endocrino-diabétologie, chef de la clinique de diabétologie à l’hôpital Erasme et président de l’Association belge (francophone) du diabète. L’organisme consomme du glucose en permanence, même au repos, mais il ne lui en faut ni trop, ni trop peu. Pour lui permettre de bien fonctionner, le taux de sucre dans le sang doit rester relativement stable.»

Pour le commun des mortels, il est presque impossible de s’y retrouver précisément, tant les subtilités sont nombreuses.

Une stabilité notamment assurée par une hormone, l’insuline. «À la base, cette hormone permet d’indiquer à l’organisme si on est en état de jeûne, ou si on vient de manger, poursuit le Pr Crenier. Après un repas qui contient des glucides (sucres, féculents, fruits...), la glycémie monte, ce qui entraîne une libération d’insuline, qui donne le signal au corps que plutôt que de fabriquer du glucose, il va falloir en stocker. A contrario, si le taux d’insuline est bas, le foie va libérer ou fabriquer du glucose.» Quand tout ce petit système fonctionne bien, le corps est capable de faire des ajustements très fins pour que le taux de sucre sanguin se maintienne dans une fourchette constante, autour de 70-110 mg/l, que vous fassiez du sport ou un repas pantagruélique au restaurant. Il arrive toutefois que le corps devienne insensible à l’insuline ou qu’il n’en produise plus ou plus assez. L’hyperglycémie – un taux de sucre élevé dans le sang – grimpe alors en flèche: au-delà d’une constante supérieure à 126mg/l, on parle de diabète. Voilà pour le cadre général.

Sucré, mais IG bas

En situation normale, manger des aliments qui contiennent des glucides fait donc temporairement grimper la glycémie, le temps que l’insuline fasse son office. «Certains aliments font rapidement monter assez haut ce taux de sucre, d’autres beaucoup moins», souligne Serge Pieters, professeur de diététique à la Haute Ecole Léonard de Vinci et qui a notamment travaillé au service de diabétologie de l’Hôpital des enfants. Cette variable, c’est l’index glycémique (IG) et les aliments peuvent être classés en trois catégories: IG élevé, moyen ou faible (voir tableau). Plus un IG est élevé, plus vite et plus haut l’aliment fera monter le taux de sucre sanguin. L’idée d’un régime IG bas donc est de favoriser les aliments à IG bas ou moyen par rapport aux éléments à IG élevé, pour lisser au maximum le pic de glycémie.

Simple? Pas tout à fait. D’une part, parce que le classement des aliments selon leur IG est parfois contre-intuitif. Les glucides que le grand public qualifie de «sucres rapides» peuvent tout à fait être IG bas ou moyen, au contraire de certains «sucres lents» ou légumes, par exemple. La distinction entre sucres lents et rapides n’est d’ailleurs plus pertinente, selon les professionnels de l’alimentation. «Le chocolat est ainsi considéré comme IG bas, signale Serge Pieters. Même s’il s’agit de chocolat à 50%, plein de sucre, il y a aussi de la graisse, qui ralentit fortement la hausse de la glycémie. Le sucre que vous mettez dans votre café? IG moyen! Il s’agit de saccharose, qui n’est composé qu’à 50% de glucose, l’autre moitié, c’est du fructose, qui ne fait pas monter la glycémie.» Le potiron, le navet, la pastèque ou une pomme de terre simplement cuite au four affichent par contre un IG élevé. Davantage que le coca. Hé oui! Un aliment à IG bas ou moyen n’est pas par essence sain, et un régime IG bas peut être totalement déséquilibré. Attention, donc, aux blogs proposant des recettes de pâtisseries sans sucres et IG bas: il s’agit parfois de véritables bombes caloriques riches en graisse. IG bas ou pas, ces douceurs sont à consommer avec modération.

La façon dont un aliment est préparé ou son degré de cuisson peuvent aussi faire varier l’IG. Une simple pomme de terre cuite et écrasée à la fourchette aura ainsi un IG supérieur… aux frites. «Bref, l’IG n’est pas suffisant pour assurer un bon équilibre alimentaire, il ne se suffit pas à lui-même.»

Ce n’est pas tout: la valeur théorique des IG n’est pas toujours utilisable dans la vie quotidienne. «Tous les tableaux que vous pouvez consulter sont basés sur les aliments consommés seuls, poursuit le diététicien. Or, vous mangez rarement un aliment de façon isolée. Des pâtes sans sauce, un féculent sans viande ni légumes…»

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Ig mélangés

Lors d’un repas, tous les aliments se mélangent dans l’estomac et, in fine, l’IG qui importera pour l’organisme sera celui de l’ensemble du bol alimentaire. Des aliments avec un IG élevé, comme des pommes de terre, cuisinés avec d’autres aliments pauvres en glucides ou riches en graisse, comme du poulet rôti et de la salade, ne feront pas bondir en flèche la glycémie. Ajoutez-y les variables corporelles propres à chaque organisme et autant le dire tout de suite: pour le commun des mortels, il est impossible de s’y retrouver précisément, tant les subtilités sont nombreuses et complexes. La plupart des ouvrages et sites consacrés aux régimes IG bas se contentent d’ailleurs de résumer le concept en quelques conseils basiques et finalement assez faciles à suivre (voir encadré).

Il reste bien évidemment possible de suivre des recettes dans les livres ou sur des sites dédiés, qui s’avèrent à la fois saines et IG bas. Mais pour quels bienfaits? Si l’impact délétère d’une alimentation trop sucrée ou riche en glucides ne fait aujourd’hui plus débat, l’intérêt de favoriser des aliments à IG bas ne fait pas consensus. «Plutôt que de raisonner en termes d’index glycémique, ce qui s’avère très compliqué, mieux vaut peut-être privilégier les sucres complexes, dans des aliments qui contiennent par ailleurs des fibres et des nutriments intéressants, par rapport aux sucres dits simples, estime le Pr Crenier. Pour la population générale, il n’y a pas à ma connaissance de bases scientifiques solides confirmant un éventuel bienfait des régimes IG bas. Tout ce que je peux dire, c’est que même une personne qui mange des aliments à IG élevé ne verra finalement pas beaucoup sa glycémie monter, par rapport à un diabétique. La nature est bien faite: sa glycémie restera dans des valeurs «physiologiques», que le corps peut parfaitement gérer.»

Des effets à long terme?

Circulez, y a rien à voir? Pas si vite. Si le corps est en mesure de gérer une glycémie élevée suite à la digestion et de faire revenir les taux à la normale, la biochimiste Jessie Inchauspé, connue sur Instagram sous le nom de @glucoseGoddess (ça ne s’invente pas), a relevé dans la littérature scientifique plusieurs études qui laissent entendre de possibles effets délétères aux pics de glucose à répétition: augmentation du stress oxydatif et des troubles de la ménopause, baisse de l’immunité et de la qualité du sommeil, accélération du vieillissement… Des études souvent à prendre avec des pincettes, tant il est compliqué de mener des études bien étayées sur l’alimentation, a fortiori sur ce sujet, dans lesquels les potentiels biais sont nombreux.

Même en mangeant des aliments à IG élevé, la glycémie reste dans des valeurs que le corps peut gérer.

Adieu, fringale!

La biochimiste relève aussi d’autres troubles moins polémiques: fatigue, migraine, fringales intempestives… «Une alimentation riche en glucose peut en effet provoquer une hypoglycémie réactionnelle, reconnaît Serge Pieters. Lorsque la glycémie monte, le corps libère toujours un peu plus d’insuline que ce dont il a besoin, ce qui peut provoquer une chute du taux de sucre en-deçà de la normale, provoquant tremblements, sueurs froides… On sera au final tenté de remanger du sucre: c’est typiquement le cas avec les petits-déjeuners sucrés, les céréales qui ont un IG très élevé, et qui provoquent la petite fringale de 10 h.»

Bref, tout n’est peut-être pas à jeter dans les préceptes des régimes IG bas et lisser un tant soit peu sa courbe de glycémie pourrait avoir un intérêt, ne serait-ce que sur le bien-être. Mais plutôt que de surveiller attentivement sa glycémie et de s’équiper de tables d’index glycémiques, mieux vaut se limiter à quelques grands principes!

Les bases du régime IG bas

• Pour baisser l’IG d’un aliment contenant des glucides, il est important de le mélanger avec d’autres ingrédients: gras, protéines, fibres... ralentissent la digestion et le passage du sucre dans le sang. Une purée de pomme de terre nature aura un IG plus élevé qu’une purée avec beurre et jaune d’œuf. La présence de légumes (stoemp) diminuera davantage l’IG.
• Mieux vaut prendre un petit dessert qu’un goûter trop sucré.
• Plus un aliment est transformé, plus il va être dégradé, rendu digestible, et plus il aura un IG élevé. L’IG du blé complet est moindre que celui du blé tendre type Ebly, qui est lui-même moindre que celui du blé soufflé. Une purée instantané est plus glycémiante qu’une purée maison. Les aliments ultra-transformés sont donc à limiter, au contraire des aliments «complets».
• L’IG d’un aliment peut fortement varier selon sa préparation, sa maturité, sa cuisson. Une banane très mûre aura un IG plus élevé qu’une banane encore un peu verte. Idem pour une pâte bien cuite par rapport à une pâte al dente.
• Le petit-déjeuner salé limite le risque de coup de pompe-fringale de 10 h.

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