La maison d'hôtes, le Jardin des secrets près de Namur. © le jardin des secrets

Ouvrir une chambre d’hôte, un rêve qui exige quelques sacrifices

Qui n’a jamais imaginé changer de vie pour ouvrir une chambre d’hôte? Mais l’idée qu’on se fait de cette activité ne correspond pas toujours à la réalité!

Au retour de vacances, c’est le genre de rêve que tout le monde, ou presque, s’est déjà plu à imaginer. Celui d’envoyer tout valdinguer pour acquérir une jolie bicoque en Ardenne ou à la Côte, afin de la réaménager de fond en comble. Ou bien de donner une nouvelle vie à certains espaces de la maison familiale, devenue trop grande depuis que les enfants ont quitté le nid, tout en se ménageant un petit complément de pension. Avec, dans les deux cas, l’idée de s’y muer en hôte, d’y ouvrir une ou plusieurs chambres pour accueillir touristes et voyageurs de passage.

Beaucoup ont d’ailleurs déjà franchi le pas. En Belgique, on ne compte pas moins de 1.660 bed & breakfast, chambres d’hôtes et autres structures de ce type, labellisés par les pouvoirs régionaux en charge du tourisme, auxquels il faut rajouter un bon millier de chambres chez l’habitant enregistrées mais non reconnues (voir encadré). De quoi laisser penser que la démarche s’avère assez simple. D’autant plus que les belles histoires, qui inciteraient presque à se lancer, ne manquent pas.

Des récits le plus souvent à base de coup de foudre, comme celui éprouvé par Nicole Willems au détour des années 2000. A l’époque, la Bruxelloise est de passage à Sommerain. Un de ces minuscules villages d’Ardenne typiques, presque une simple rue plantée dans la nature, avec ses façades de pierre et sa petite église bordée d’un cimetière. « Là, je suis tombée amoureuse d’une ruine, une folie », se souvient la pétillante septuagénaire. Face à elle, une vieille maison de 1859 à vendre. À part le toit, tout est à refaire. « J’avais besoin de me lancer dans un grand projet: sur un coup de tête, sans trop y réfléchir, j’ai fait une offre d’achat avec l’envie d’y créer des chambres d’hôtes, un concept qui n’était alors pas très développé en Belgique. »

L’offre est acceptée. Après de lourds travaux, l’intérieur de la vieille bâtisse se barde de teintes colorées, d’objets chinés, de meubles anciens. La maison d’hôtes « Haute en couleur » est née. « J’ai créé à partir de rien une atmosphère cosy où tout était en place pour que je puisse accueillir des gens, m’occuper d’eux. Pendant dix ans, j’ai toujours eu du monde sans payer un franc de publicité, le bouche-à-oreille et quelques articles ont suffi. J’ai fini par arrêter, pour raisons personnelles, mais c’était une magnifique expérience. »

Ces quelques lignes donnent envie, pas vrai? « Ouvrir des chambres d’hôte, ça fait rêver tout le monde, reconnaît Evelyne Vaernewyck qui, après avoir travaillé dans de nombreux métiers de services et en hôtellerie, propose depuis 2020 une dizaine de places dans le « Jardin des secrets », à deux pas du centre de Namur. Et c’est vrai qu’il y a un côté très chouette à cette activité! Vous créez un univers qui vous correspond, vous rencontrez plein de gens... Je me suis fait beaucoup d’amis dans la clientèle et je suis désormais invitée chez certains, aux quatre coins du monde. Et puis, quand vous accueillez bien, il y a un retour plaisant: les gens sont généralement très reconnaissants du bien-être que vous leur apportez. Et ça, on fait difficilement plus gratifiant. »

Pour autant, il existe un revers à cette médaille... « Les gens ont tendance à oublier le travail que ça peut représenter au quotidien, surtout si vous avez plusieurs chambres et qu’il s’agit de votre activité principale, fait remarquer Evelyne Vaernewyck. Vous arrivez facilement à prester 14 heures par jour: il faut nettoyer, changer les draps, faire les courses, préparer le buffet du petit-déjeuner, répondre aux mails, faire les éventuelles réparations entre deux hôtes, assurer votre présence sur les réseaux sociaux...

Que vous ayez un client ou dix, vous devez offrir la même prestation: le buffet du petit-déj’ ne doit pas être moins appétissant, le jardin doit être impeccable... Il faut tout soigner, toujours. Et même si, par hasard, vous n’avez pas grand-chose au programme, vous devez rester disponible. Avec le sourire, même quand certains clients se montrent peu respectueux. »

À horaires décalés

Si l’objectif est d’assurer une certaine rentabilité, il faut y ajouter l’obligation de se calquer aux habitudes des vacanciers: une maison d’hôtes se doit de tourner en saison touristique, en période de vacances et les week-ends. « Cela représente donc un véritable sacrifice au niveau familial et amical: je dois décliner beaucoup d’invitations, notamment en soirée, car il faut rester disponible et faire en sorte que tout soit prêt le matin quand les clients se lèvent. Mon petit-fils vit à l’étranger et je ne crois pas l’avoir vu cinq fois depuis ses deux ans... J’ai décidé de fermer une semaine par mois pour retrouver un peu de liberté, mais financièrement, c’est une semaine de perdue. »

Enfin, parmi les obligations liées à une chambre d’hôte, il faut que celle-ci soit située dans la résidence habituelle de l’exploitant. Il faut donc se résoudre à croiser des étrangers dans son propre espace de vie. « Il existe des établissements où vous ne pouvez accéder au salon et à la salle à manger que le temps du petit-déjeuner, déplore Nicole Willems. Mais je trouve que ça va à l’encontre du principe même d’une chambre d’hôte, où l’idée est de se sentir un peu comme chez soi. J’ai toujours préféré donner la clé aux gens pour les laisser déambuler à leur guise dans la maison. » Une confiance payante, selon elle, puisque les clients, responsabilisés, n’ont jamais dépassé les bornes.

Un rêve à réfléchir

L’un dans l’autre, ouvrir une chambre d’hôte s’apparente donc à un véritable choix de vie, avec son lot d’avantages et d’inconvénients. « Quand je vois des jeunes qui quittent leur boulot et se lancent dedans, je crois que certains doivent avoir de fameuses surprises. Entre les attentes et la réalité, il y a parfois une grosse différence: tout le monde n’est pas apte ou prêt à accueillir les gens. Selon moi, il faut un peu d’expérience de la vie pour faire cela correctement, quelque chose qui s’acquiert avec l’âge. Et si c’est vraiment un rêve, il faut que ce soit un rêve réfléchi: ce n’est pas toujours le bon plan, j’en connais qui ont arrêté très vite...

Il faut aussi bien se dire qu’on ne gagnera jamais des fortunes: c’est enrichissant sur le plan humain, mais pas sur le plan financier. Bien souvent, cela paie une partie des charges, un supplément de confort, mais guère plus. » En 2014, une étude de la Fédération des chambres d’hôtes et des gîtes de Wallonie révélait ainsi que 75% des chambres rapportaient moins de 15.000€ par an. « De manière générale, la rentabilité d’un hébergement touristique est très fluctuante car elle dépend de nombreux éléments (coûts d’exploitation, tarifs, taux d’occupation) », fait d’ailleurs remarquer Khevyn Torres, porte-parole de la fédération.

Il est même probable que la rentabilité ait baissé depuis lors: la hausse du prix de l’énergie et le succès sur le marché d’acteurs tels qu’Airbnb a un peu compliqué la donne. « Beaucoup de gens qui ont une chambre sur Airbnb ne respectent pas la législation, s’insurge Evelyne Vaernewyck. Même avec pignon sur rue, ils passent entre les mailles du filet, ne comptent pas de taxes de séjour et bradent les prix, alors qu’en tant que chambres d’hôte certifiées, nous sommes contrôlés et répondons à un cahier des charges de plus en plus strict. Même si les chambres d’hôtes se démarquent sur plusieurs points, au niveau de l’accueil principalement, et que la plupart des clients tiennent à ces spécificités, elles souffrent de concurrence déloyale. » D’ailleurs, si le nombre de chambres d’hôte reste plutôt stable à Bruxelles et en Flandre, il a fortement diminué (presque -20%! ) en Wallonie entre 2019 et 2022. Signe que le marché se contracte? Raison de plus pour bien réfléchir à un éventuel projet, avant de se lancer!

Quelles normes pour une maison d’hôte?

Tout qui propose une chambre à la location, sous quelle forme que ce soit, doit remplir un certain nombre de démarches (voir « Je veux proposer une chambre sur Airbnb, à quoi dois-je faire attention? »).

Mais pour pouvoir être labellisé « chambre d’hôte », Bed&Breakfast, ou toute appellation dérivée, un établissement doit être reconnu par le Commissariat général au tourisme wallon, Bruxelles économie et emploi ou Toerisme Vlaanderen. Pour ce faire, il doit répondre à des obligations supplémentaires, variables selon les trois Régions.

Quelques constantes, tout de même:

  • les chambres proposées doivent être situées dans la résidence principale de l’exploitant (ou une annexe contiguë),
  • un petit-déjeuner doit être proposé, ainsi qu’un accueil personnalisé.
  • le nombre chambres est limité (cinq à Bruxelles et en Wallonie, quinze en Flandre)
  • toutes les chambres doivent disposer d’un équipement minimal détaillé, comme une porte qui ferme à clé, une armoire de rangement, des places assises et un éclairage naturel (fenêtre).
  • les sanitaires communs sont autorisés, bien qu’assez peu prisés par la clientèle.
  • une grille permet de classer les établissements (avec des « épis » en Wallonie, des « étoiles » en Flandre) en fonction des équipements mis à disposition.
  • puisqu’un petit-déjeuner est proposé, un enregistrement auprès de l’Afsca est nécessaire, combiné à certaines règles d’auto-contrôle (thermomètres dans les frigos, etc.).
  • tout appareil émetteur (radio, télévision...) mis à disposition des visiteurs doit par ailleurs être déclaré à la Sabam et donne lieu à une redevance. Une exonération peut toutefois être prévue s’il n’y a qu’une ou deux chambres d’hôtes.
  • en contrepartie de ces obligations, une chambre d’hôte certifiée peut parfois bénéficier de subventions et est gratuitement répertoriée sur les plateformes touristiques liées aux régions.
Ouvrir une chambre d'hôte, un rêve qui exige quelques sacrifices

Infos: www.tourismewallonie.be, economie-emploi.brussels www.toerismevlaanderen.be

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