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Pourquoi devient-on complotiste?

Face à une pandémie déroutante pour tous, nombreux sont ceux qui cherchent en ligne des réponses à leurs interrogations. Au risque d’être entraînés dans un engrenage complotiste.

Si vous êtes présent sur les réseaux sociaux, le phénomène ne vous aura pas échappé: ces derniers mois, la crise du Covid-19 y occupe une place prépondérante. Au-delà des articles de presse et des statuts plus ou moins désespérés, un nombre conséquent d’utilisateurs partagent leurs doutes sur l’innocuité des futurs vaccins, l’efficacité du confinement ou les chiffres de l’épidémie. Mais d’autres vont bien plus loin, allant jusqu’à affirmer que la pandémie est le fruit d’une conspiration mondiale, visant à asservir la population, à tuer volontairement un maximum de personnes, voire à implanter des puces électroniques dans l’organisme des citoyens via la vaccination. Difficile d’ouvrir le dialogue avec ces personnes tant elles sont persuadées d’être dans le vrai: la moindre contradiction entraîne une fin de non-recevoir. Dans le meilleur des cas, le contradicteur sera qualifié – pour rester poli – d’aveugle, de mouton suiveur ou d’idiot utile au complot.

Ces prises de position conspirationnistes ne manquent pas d’étonner, d’autant plus lorsqu’elles émanent de connaissances, proches ou amis: comment ces personnes, pourtant sensées et éduquées, peuvent-elles en arriver à croire et à relayer ce type d’informations? « On ne devient pas complotiste du jour au lendemain, répond Julien Giry, chercheur en sciences politiques, qui a notamment travaillé sur les théories du complot. Cela se fait petit à petit, c’est une trajectoire. »

Dans le cas précis de la pandémie de covid-19, celle-ci début par un questionnement somme toute bien légitime. « Les gens ont été pris de cours par la situation actuelle et se sont retrouvés dans une incompréhension totale. C’est tout à fait logique, vu la soudaineté de la pandémie et les mesures privatives de liberté, tout aussi soudaines, qui ont été mises en place pour la contrer. » À cela, il faut ajouter un manque de communication forte, cohérente et univoque dans la gestion de la crise (difficile de ne pas se poser de questions lorsque le masque est d’abord présenté comme inutile, avant d’être rendu obligatoire!) et une défiance de plus en plus grande envers les médias, les politiques et le monde scientifique.

Plus facile à croire

Coincés de longues semaines à la maison, nombreux sont ceux qui ont tenté de répondre à leurs interrogations en faisant des recherches en ligne. « Et face à une situation compliquée, aux conséquences compliquées, le discours complotiste est finalement le seul à offrir des réponses assez simples: la situation est telle car elle a été voulue par des gens. Le virus a été inventé, au choix, par les Chinois, par les États, par les industries pharmaceutiques pour arriver à leurs fins. Pour une partie du public, cette explication est plus facile à accepter que le fait que la situation soit incontrôlable ou mal gérée... »

Le complotiste pose des questions légitimes, mais son raisonnement critique est incorrect.

Initialement, le conspirationniste se revendique donc de la démarche critique: il cherche simplement à vérifier ce que les instances officielles et institutionnelles lui disent. « La critique de ces informations est saine et légitime, poursuit Julien Giry. Vérifier ce qu’on nous dit est une bonne chose. Le problème est ici que la démarche du conspirationniste est biaisée: elle est à la fois hypercritique et contre- balancée par une position infra-critique. En d’autres termes, le complotiste doute de tout, ne tient rien pour acquis mais, en contrepartie, il est intimement persuadé de l’existence d’un complot. » La majorité des informations officielles, journalistiques ou académiques seront donc automatiquement qualifiées de mensongères, au contraire des sources ou des informations allant dans le sens de l’existence d’un complot, dont l’authenticité ne sera presque jamais remise en doute. « Le raisonnement critique n’en est donc pas un, il est forcément accusatoire (« On nous ment! ») et victimaire (« On veut nous empêcher de découvrir la vérité! »). »

Prendre le temps de discuter

Problème: les théories du complot s’apparentent à une pelote de laine. « Plus vous tirez sur le fil, plus la bobine se défait, plus de nouveaux « complots » apparaissent et plus votre confiance envers la société et les institutions se délite. » Un phénomène favorisé par les réseaux sociaux et leurs algorithmes, qui fournissent aux utilisateurs des contenus sur-mesure, allant systématiquement dans le sens de leurs attentes. Il n’est pas impossible qu’une personne devenue conspirationniste en cherchant des informations sur le coronavirus finisse non seulement anti-vaccin, mais soit aussi persuadée que le 11 septembre était un coup monté ou qu’un groupuscule secret dirige le monde... De fil en aiguille, le complotiste peut se radicaliser, se créer une vision complètement déformée de la réalité, et s’enfermer dans ses convictions.

Dès lors, comment réagir face à un proche qui commence à relayer des informations complotistes? « S’il est radicalisé, il devient très difficile de maintenir un dialogue à ce propos, répond le chercheur. Mais s’il est encore dans le questionnement ou le doute, il faut que les proches prennent ce questionnement au sérieux et prennent le temps d’en discuter, sans a priori. » Même si cela s’avère chronophage, il n’est pas inutile de vérifier toutes les sources, toutes les affirmations, et d’initier une véritable réflexion critique avec lui, en mettant de côté l’idée préconçue d’un complot. Pour ce faire, on ne peut que conseiller de garder à l’esprit cette phrase de l’ancien ministre français Michel Rocard: « Toujours préférer l’hypothèse de la connerie à celle du complot. La connerie est courante. Le complot exige un esprit rare. »

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