L'élan d'aide consécutif aux terribles inondations de juillet dernier montre que la solidarité n'est pas morte. © Getty Images

Pourquoi on devient solidaire

Aider son prochain, ce n’est pas inné. La tradition familiale, un accident de la vie ou une mise à la pension ouvrent la voie.

Outre la fabuleuse solidarité immédiatement constatée lors des innondations, et qui ne faiblit pas, l’envie d’aider s’est aussi manifestée lors des dernières éditions du Télévie ou de Viva for Life. Du côté des chaînes de télévision organisatrices de ces grands événements, on explique que le contexte sanitaire a même dopé la générosité des téléspectateurs, permettant de recueillir des dons record. « Les gens ouvrent leur portefeuille et leur coeur aussi, se réjouit un responsable, ils savent qu’ils font un geste utile. Ils se disent que nous sommes dans le même bateau et qu’il faut faire progresser notre société vers plus de solidarité. »

Même son de cloche chez les Kiwanis, Lion’s, le Rotary, Fifty-One... La solidarité fait toujours mouche. Ici, des ventes de gaufres en faveur d’orphelinats haïtiens. Là, une opération champagne pour un centre pour handicapés. Des exemples parmi des centaines de mobilisations pour de belles causes.

Quelque 1,8 million de Belges consacrent une partie de leur temps à faire du bénévolat, à aider les autres. Un chiffre en constante augmentation dans une société que l’on dit, pourtant, de plus en plus repliée et égoïste. Marco Martiniello, sociologue à l’Université de Liège, y voit une lueur d’espoir. Il trace les quelques points communs de tous ces citoyens qui se consacrent aux autres. Interview.

Pensez-vous que l’on puisse tirer le portrait type de la personne solidaire?

Les parcours sont divers, mais un certain type de personne revient souvent dans nos recherches. C’est une personne qui a pu bénéficier de la solidarité des autres à un moment où sa vie était compliquée (un décès, une rupture amoureuse, des problèmes d’argent, une dépression, etc.). Alors, face aux injustices, elle va agir. C’est pour elle une opportunité de faire le bien et de rendre la pareille. Ce type de personne va souffrir de voir une maman à la rue avec ses enfants, des migrants rejetés à la mer, des victimes des inondations qui ont tout perdu... Elle va donc s’engager pour combattre ses situations intolérables à ses yeux.

« La solidarité fait aussi tomber les frontières linguistiques »

« On semble vivre dans une société qui est divisée, polarisée et individualiste, expose le sociologue Marco Martiniello. Je trouve dès lors attachant de voir que dans certaines circonstances particulières, les clivages tombent. Je l’ai vu avec la question des demandeurs d’asile, un de mes sujets d’étude de prédilection. J’ai également été étonné de voir le nombre impressionnant de Flamands qui sont allés donner un coup de main en Wallonie après les inondations. Cela donne une autre image des relations entre les Belges. »

Cet engagement est-il aussi, parfois, de nature religieuse?

Oui, d’une certaine manière. On constate que beaucoup de ces personnes qui s’engagent sont animées, de près ou loin, par des valeurs associées à leur tradition religieuse. Ça ne signifie pas qu’elles sont nécessairement pratiquantes, mais elles ont baigné dans un univers spirituel où les valeurs de partage et de solidarité étaient fort présentes.

Et puis donner aux autres, c’est extrêmement gratifiant à titre personnel...

Absolument, et cela peut aussi venir de notre héritage chrétien conscient ou inconscient. C’est en faisant du bien aux autres qu’on se fait aussi du bien. Une de mes étudiantes qui a travaillé sur la jungle de Calais (bidonville peuplé par des migrants qui tentaient de passer Angleterre) a constaté que, derrière chaque engagement solidaire, il y avait aussi une grande gratification personnelle.

Une gratification que l’on recherche davantage à l’âge de la retraite...

C’est vrai. Nous constatons souvent que l’engagement est plus fort à la fin d’une carrière professionnelle. On arrive à un certain âge dans la société. On est moins « productif » pour la société, j’insiste sur les guillemets, et du temps professionnel comme familial se libère. Certains vont donc profiter de ce temps retrouvé pour s’engager dans des mouvements de solidarité et donner ou redonner du sens à leur nouvelle vie. Ces personnes vont se construire une nouvelle utilité sociale dans une société où, quand on est plus dans le système productif, on se sent vite déclassé. Alors oui, très clairement, s’engager, c’est aussi rester dans le coup.

« Chez nous, c’est une tradition familiale »

L’été dernier, alors que plusieurs coins de Belgique étaient ravagés par d’importantes inondations, Isabelle Fouarge et son mari Marc, des sexagénaires de Kraainem, ont récupéré 300 pièces de mobilier de bureau en très bon état dans une entreprise. Ces meubles étaient excédentaires pour cause de télétravail généralisé. Le couple et d’autres bénévoles se sont organisés pour les livrer dans plusieurs écoles sinistrées. Une opération logistique d’envergure avait alors été mise sur pied.

« Cette solidarité, c’est finalement une tradition familiale qui se perpétue, raconte Isabelle Fouarge. Ma maman, qui a aujourd’hui 89 ans, a toujours été active dans le bénévolat. Elle organisait des livraisons de repas pour les plus démunis dès les années 70. Elle était aussi fort impliquée dans les actions paroissiales. Papa, qui était médecin, était très attentif au bien-être de ses patients. Il faisait preuve de beaucoup d’empathie. Cette ambiance a façonné ma jeunesse et me façonne toujours. Alors, quand j’ai eu l’opportunité de redistribuer du mobilier et de faire plaisir, je n’ai pas hésité une seconde. »

« Ce qui m’a fortement touché dans cette action, poursuit-elle, ce sont les paroles de maman. Elle m’a dit regretter de ne plus avoir la force de participer à cet élan de générosité. Je l’ai rassurée, lui remémorant tout ce qu’elle avait fait pour les autres durant sa vie. Je lui ai rappelé combien elle pouvait être fière d’avoir transmis de belles valeurs à ses enfants. Tu sais maman, lui ai-je dit, c’est toi qui nous as passé le flambeau. D’une certaine manière, c’est toi aussi qui es venue en aide aux sinistrés en m’insufflant ta force. »

Pourquoi on devient solidaire

C’est pourquoi le bénévolat gagne en popularité...

C’est difficile de l’affirmer. Certaines associations se plaignent de ne pas trouver assez de bénévoles. Il faut voir les conditions aussi. C’est compliqué de répertorier la solidarité, de la quantifier et de dire qu’il y a de plus en plus de citoyens qui s’engagent. Ce que je constate, c’est qu’il y a une forme d’engouement pour la solidarité. Et il ne faut pas faire partie d’une association ou d’un mouvement spécifique pour être solidaire.

Des exemples?

Dans mon quartier, au début de l’épidémie de Covid, des voisins ont fait les courses alimentaires pour des personnes plus âgées. Aujourd’hui, d’autres voisins solidaires vont imprimer le Covid Safe Ticket de ces aînés qui sont perdus avec le numérique. Il s’agit là aussi d’expressions d’une solidarité informelle qui n’apparaissent pas dans les statistiques. Les gens ne s’engagent pas que dans des mouvements structurés. Ils agissent selon les circonstances et c’est très bien ainsi. Surtout si on pense que dans nos sociétés modernes, on vous laisserait mourir dans la rue. Même si je suis d’un naturel pessimiste, je me dis qu’il y aura toujours une main tendue. Et je trouve cela extrêmement réconfortant.

« C’est un burn-out qui m’a rendu solidaire »

« J’ai un adage, lance Dany Leus, un retraité de l’armée qui vit en Hesbaye. Si tu donnes un poisson à un homme, il mangera un jour. Apprends-lui à pêcher, il mangera toute sa vie. » C’est selon cet état d’esprit que le gaillard est parti à Arbolé, au Burkina Faso, pour « y construire et financer un poulailler en dur et l’équiper afin d’y élever des poules pondeuses et des poulets de chair. Ce poulailler sera autonome et pourra engranger des bénéfices et faire vivre mes nouveaux amis. »

L’Afrique, Dany l’a connue en tant que membre de l’association Yalla! qui parraine des enfants afin de leur garantir l’accès à la nourriture, aux soins et à l’éducation. « Je n’ai pourtant pas toujours été bienveillant à l’égard de l’Étranger. Loin de là, soupire-t-il. On peut même dire que, plus jeune, j’étais nationaliste à l’excès pour ne pas dire raciste. Mais lors d’un burn-out, mon logiciel a complètement changé. Je me suis interrogé sur ma vie, sur le sens de celle-ci et sur les valeurs que je véhiculais. La solidarité a été pour moi comme une évidence. Aujourd’hui, une de mes plus grandes fiertés, c’est d’avoir entraîné mon épouse et ma fille sur ce chemin. » Et quand on reproche à Dany d’aider des gens qui habitent loin, alors qu’il y a aussi de la misère chez nous, il répond que « souvent les critiques viennent de personnes qui restent assises dans leur canapé. Et puis, une solidarité n’en empêche pas une autre. » L’ancien militaire était d’ailleurs sur le front des inondations cet été pour aider les sinistrés.

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