Anne Vanderdonckt

Sifflements et transparence

Anne Vanderdonckt
Anne Vanderdonckt Directrice de la rédaction

Anne Vanderdonckt observe la société, ses évolutions, ses progrès, ses incohérences. Partage ses doutes, ses interrogations, ses enthousiasmes. Quand elle se moque, ce n’est jamais que d’elle-même.

L’autre jour, j’ai répondu à un sondage par internet sur la situation des femmes en 2023. Harcèlement de rue. Pourquoi ai-je spontanément coché cette case pour qualifier « l’inégalité vous paraissant la plus choquante » et suis-je passée à la question suivante sans me retourner un instant sur mon choix? Violences conjugales, inégalités des salaires et pensions, paupérisation après un divorce, non partage des tâches ménagères et de la charge mentale, étaient, au choix, d’autres cases à cocher en priorité. Ces faits de société graves ne cessent pourtant de me révolter depuis des années, même si je n’ai jamais été concernée.

Le harcèlement de rue, manifestement, mon inconscient s’en est souvenu et a voulu le faire savoir. A l’époque où mon âge ne m’avait pas encore transparentifiée, j’ai appris à répondre par un silence méprisant, le plus souvent. Ou en aboyant comme un toutou en réponse aux sifflements, à l’occasion, quand la coupe était pleine. Ce qui provoquait parfois des réactions à la limite de la violence. Je n’oserais plus aujourd’hui. Mais à l’époque, je courais très vite. De sales moments quand même... Qui restent ancrés quelque part dans un coin de cerveau.

Il y a deux ou trois ans, en ville, je lèche les vitrines. J’entends siffler bruyamment, de manière très vulgaire, dernière moi. Rotation brusque du buste. Mon sang ne fait qu’un tour ; ma langue aussi, au lieu d’attendre sagement les sept tours recommandés aux gens désireux d’éviter les ennuis. Un « C...! », pas très classe il est vrai, commence sa course et trébuche juste à temps sur mes lèvres gonflées d’adrénaline mauvaise pour me sauver du ridicule. Car évidemment, ce n’est pas la 50+ invisible que sifflent les c... dans leur voiture tunée, mais deux donzelles aux ongles démesurés garnis de paillettes qui pouffent et semblent ravies. Oui, ça existe aussi.

Il m’est également arrivé sur une plage de me dire « Oh zut, je dois passer devant ces deux garçons qui vont me faire des remarques » et d’enfiler mon armure, à savoir mon genre le plus pimbêche. Rien. Les garçons ont continué à s’occuper de leur planche de surf comme si la plage était déserte. Peut-être des garçons pas siffleurs, peut-être mon invisibilité 50+. Sûrement les deux. Car des gars fidèles à leur planche à voile et respectueux de la mer et de l’humanité, ça existe aussi. Evidemment. En grand nombre.

Il y a un moment où on se dit que l’un des avantages de l’âge pour une femme, c’est de ne plus être confrontée à ce harcèlement qui n’est pas de l’admiration, qui est bien loin de l’hommage au charme ou à la beauté. Qui est juste une violence. Alors, game over, oui, on le pense parfois dans d’autres circonstances qui ont à voir avec les jeux de la séduction, mais dans ce cas-là, tant mieux. Franchement, tant mieux. Il n’en reste pas moins que la mémoire des harcelées n’est pas nettoyée pour autant. Et que cela peut parfois faire partie de l’explication de résultats de sondage inattendus.

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