Violence familiale : « Plus cette situation s’éternise, plus il est difficile de s’en sortir »

Les travailleurs sociaux en ligne remarquent depuis un certain temps que le nombre d’appels signalant des violences familiales a augmenté depuis le début de la crise. « C’est très inquiétant. Plus cette situation s’éternise, plus il est difficile d’en sortir », explique Conny Ielegems (53 ans), thérapeute familiale et experte en la matière. Elle-même a été victime de violences émotionnelles, physiques et sexuelles pendant de nombreuses années.

La maison, cocon familial, devrait être l’endroit le plus sûr. Mais ce n’est pas toujours le cas pour ceux qui vivent avec un partenaire, un parent ou un autre membre de la famille qui les maltraite ou les humilie. Les travailleurs sociaux ont tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises au cours des dernières semaines, car ils craignaient – à juste titre – que les victimes ne souffrent davantage de la crise actuelle. Les mesures de confinement ont encore limité les possibilités d’agir pour aider ces personnes. Beaucoup en ont souffert.

La psychothérapeute Conny Ielegems connaît mieux que quiconque l’impact considérable de ces années d’abus. Elle a d’ailleurs raconté son histoire personnelle dans un livre. « Je l’ai avant tout fait pour mes propres enfants et petits-enfants, qui me l’ont demandé. J’ai toujours eu du mal à en parler. Faire le récit de mon histoire sur papier m’a aidé. Même les personnes qui souffrent aussi de ces violences peuvent s’y retrouver. Je remarque souvent que les langues se délient, lorsqu’ils prennent conscience de ma propre expérience. Ils osent aborder des sujets tabous comme l’inceste. Et aussi épouvantable et surréaliste que soit mon passé, j’ai finalement réussi à transformer quelque chose de misérable en un message d’espoir positif ».

Enfant non désiré

Toute personne qui lit l’histoire de la vie de Conny Ielegems se rend compte que parler d’épreuve est un euphémisme pour décrire l’horreur qu’elle a vécue depuis sa naissance. Déjà dans le ventre de sa mère, elle était une enfant non désirée et a vécu dans une famille perturbée, avec un père alcoolique et violent qui était aussi un homme d’affaires prospère, et une mère qui ne s’occupait pas d’elle et ne lui donnait jamais aucune preuve d’amour.

« À l’école primaire, j’ai commencé à réaliser que ce que je vivais n’était pas normal. Mais quand on est enfant, on reste très fidèle à nos parents. Même aujourd’hui, j’ai encore du mal à entendre les autres dire du mal de mon père, même alors qu’il a fait de ma vie un enfer. Je n’ai pas eu un seul moment sincère et chaleureux avec lui. C’était une succession de violences, d’humiliation, de viol et de négligence. Jeune fille, il a menacé de me tuer en fonçant avec sa voiture contre un mur de garage. Par pure peur de la mort, j’ai par la suite développé un tic. Après le divorce de mes parents, il a même été jusqu’à me traquer à l’école. Cela m’a tellement angoissée que j’avais souvent peur lorsque je marchais en rue. Dans la maison de sa petite amie, il m’a fait boire de force et m’a fait subir des abus sexuels.

Un jour, mon père m’a emmené en vacances au Luxembourg, où il m’a « jeté » dès le premier jour dans une pension sans un mot d’explication. Il a ensuite disparu sans laisser de traces et lorsque la propriétaire allemande a appelé ma mère pour qu’elle vienne me chercher, j’ai été prise de court là aussi. Personne ne voulait que je revienne. Cette famille allemande où j’ai fini par me retrouver s’est mieux occupée de moi et a pris soin de moi avec plus d’amour que ma propre famille. La haine que je ressentais envers moi-même et mon embarras n’ont alors cessé de grandir ».

Mariage abusif

Conny n’était pas non plus la bienvenue dans la nouvelle famille de sa mère. Pour tenter d’échapper à cette terreur émotionnelle, elle se retrouve alors dans une relation abusive et un mariage forcé. « Aveugle comme une taupe, je suis passé d’une mauvaise relation à une autre. Comme ce fut le cas dans mon enfance, je finirai aussi par être manipulée et humiliée verbalement et physiquement dans mon mariage. Le jour même de mon mariage, je me sentais déjà abandonnée parce que mon nouveau mari a préféré faire la fête avec ses amis à Centerparcs. Cette journée a donné le ton à ce qui devait suivre. Comme beaucoup de mes compagnons d’infortune, j’ai subi cette situation en silence pendant des années. Et pour causes : le divorce était financièrement impossible et je voulais à tout prix offrir à mes enfants ce nid douillet que je n’avais jamais connu moi-même », poursuit Conny.

Lit de mort

« J’entends encore aujourd’hui ces mêmes arguments. Et en effet, cette situation n’est pas facile. Mais subir une vie pleine de violence vous « vide », au sens propre comme au sens figuré, et vous avez donc encore moins d’énergie pour franchir ce pas. Plus c’est long, plus il est difficile de s’en sortir. De plus, ce sont des années perdues que l’on gaspille à jamais. C’est ainsi que j’essaie de le présenter aux victimes. Imaginez que plus tard, sur votre lit de mort, vous vous remémorez cette période de votre vie. Que voulez-vous raconter à ce sujet ? Quelles valeurs et normes voulez-vous donner à vos enfants ? En restant dans une situation de maltraitance, cela devient une terrible histoire. Mais si vous travaillez sur votre confiance en vous, et prenez quelques responsabilités, vous pouvez modifier le reste de votre vie et l’orienter dans une direction complètement différente. J’en suis moi-même l’exemple vivant. La moitié de ma vie a été difficile, mais en observant ce que je peux faire pour aider les autres aujourd’hui, je me rends compte que cela n’a pas été en vain. Je ne veux plus jamais prononcer les mots suivants : « J’aurais du le faire avant ».

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